samedi, 16 avril 2005
Agneau ludique
Je suis la porte des brebis
Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde
Tu n'offriras en sacrifice à l'Éternel, ton Dieu, ni boeuf, ni agneau qui ait quelque défaut ou difformité
Vous, mes brebis, brebis de mon pâturage, vous êtes des hommes; moi, je suis votre Dieu
Car vous étiez comme des brebis errantes. Mais maintenant vous êtes retournés vers le pasteur et le gardien de vos âmes
Quel homme d'entre vous, s'il a cent brebis, et qu'il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve?
Dis-moi, ô toi que mon coeur aime, Où tu fais paître tes brebis
Dîtes-moi, ô vous mes chers lecteurs, sur quel porche pait ce mouton ?
Repons
A la clef de voûte de la dernière archivolte, dominant le tympan du grand portail nord du narthex, où siège le Christ en majesté, l'agneau pascal veille sur l'abbaye bénédictine de Charlieu, entre Forez et Brionnais.
10:15 Publié dans Jeux et choses sans importance | Lien permanent | Commentaires (16)
mardi, 12 avril 2005
Pour un oui ou pour un non
H.2 : Oui ou non ?…
H.1 : Ce n’est pourtant pas la même chose…
H.2 : En effet : Oui. Ou non.
H.1 : Oui.
H.2 : Non !
Depuis plusieurs jours grandit la tentation de proposer ici un parallèle entre le referendum relatif au traité établissant une constitution pour l’Europe et l’œuvre de Nathalie Sarraute Pour un oui ou pour un non.
Mon idée première était uniquement, dans une veine ludique, de faire un jeu de mots propice à vous divertir. Etant d’un naturel scrupuleux, j’ai relu la pièce en question – oh ! bien modeste effort : vingt-cinq pages dans mon édition de poche Folio.
Une évidence m’a frappé à cette relecture – «Bon sang, mais c’est bien sûr !» ; de Nathalie Sarraute au commissaire Bourrel, je ne crains pas les grands écarts - : il y a bien d’autres enseignements à tirer de cette confrontation qu’une simple plaisanterie.
Voici un bref résumé pour vous remettre en tête l’intrigue de ce chef d’œuvre :
H.1 cherche à connaître la raison de l’éloignement de son ami H.2. Il insiste, H.2 est réticent, mais il finit par avouer que la cause en est quelques mots prononcés par H.1 alors que H.2 lui avait parlé d’un succès quelconque : «C’est biiien… ça…» un accent mis sur «bien», un suspens avant «ça». L’incompréhension de H.1 est grande, les voisins de H.2, H.3 et F., appelés en tant que témoins, ne comprennent pas plus.
Les rancoeurs et les griefs remontent du passé : H.1 est un poseur qui étale sa réussite et son bonheur, qui ne comprend rien à la vraie vie, H.2 est un «poète», un raté solitaire, un jaloux.
Ils sont dans « deux camps adverses. Deux soldats de deux camps ennemis qui s’affrontent».
Ils voudraient bien rompre, mais il faut «l’autorisation de ceux qui ont le pouvoir de donner ces permissions. Des gens normaux, des gens de bons sens». Et leur désaccord est fondé sur des mots, des intonations. Ils seraient certainement déboutés de leur demande, signalés. «Chacun saura de quoi ils sont capables, de quoi ils peuvent se rendre coupables : ils peuvent rompre pour un oui ou pour un non.»
C’est d’abord la condescendance à son égard que reproche H.2 à H.1. L’autosatisfaction de H.1 exaspère H.2 : ses voyages, sa femme, ses enfants, tout est prétexte pour H.1 à poser devant H.2 et sa petite vie solitaire repliée sur elle même. D’un côté le camp des actifs et des créateurs de vie et de richesse, de l’autre celui des contemplatifs, hypersensibles aux mots, et sur-interprétant les intentions.
Condescendance, autosatisfaction, susceptibilité, surinterprétation, action, repli sur soi…
H.1 partisan du oui, H.2 partisan du non ?
A vous de juger.
H.1 : Pour un oui… ou pour un non ?
un silence
H.2 : Oui ou non ?…
H.1 : Ce n’est pourtant pas la même chose…
H.2 : En effet : Oui. Ou non.
H.1 : Oui.
H.2 : Non !
21:35 Publié dans La vie est vaine et formidable, Théatre | Lien permanent | Commentaires (11)
dimanche, 10 avril 2005
Cartes postales
Un échange dans les commentaires de Montbrison m’apprend, alors que j’aurai dû le savoir depuis longtemps, que Henry Jean-Marie Levet est né dans cette «sous-préfecture de la Loire, au pied des monts du Forez : maisons anciennes, industries mécaniques, bonneterie, fabrique de jouets». Je lis peu les préfaces, de ce fait les origines foréziennes de Levet m’ont échappé alors qu’elles sont indiquées dès la première page du texte de présentation de Michel Bulteau figurant dans mon édition des Cartes postales parue à la Table ronde en 1993.
Malheureusement, je ne connais pas la Conversation à l’intérieur d’une limousine en marche sur la route nationale entre Montbrison et Saint-Etienne, le 2 Mars 1911 que tinrent Valery Larbaud et Léon-Paul Fargue au retour d’une visite aux parents d’Henri Jean-Marie, alors décédé depuis cinq ans, et qui sert de préface à certains recueils des Cartes postales, mais pas au mien.
Je ne résiste pas au plaisir de transcrire ici quelques extraits, qui me ravissent par le parfum que dégagent les noms, des villes et des contrées, des personnes et des navires.
British India
A Rudyard Kipling
Les bureaux ferment à quatre heures à Calcutta;
Dans le park du palais s'émeut le tennis ground;
Dans Eden Garden grince la musique épicée des cipayes;
Les équipages brillants se saluent sur le Red Road...
Sur son trône d'or étincelant de rubis et d'émeraudes,
S.A. le Maharadjah de Kapurthala
Regrette Liane de Pougy et Cléo de Mérode
Dont les photographies dédicacées sont là...
- Bénarès, accroupie, rêve le long du fleuve;
Le Brahmane, candide, lassé des épreuves,
Repose vivant dans l'abstraction parfumée...
- A Lahore, par 120 degrés Fahrenheit,
Les docteurs Grant et Perry font un match de cricket,-
Les railways rampent dans la jungle ensoleillée...
Outwards
A Francis Jammes
L'Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’Océan Indien…
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main.
- Miss Roseway, qui se rend à Adelaïde,
Vers le Sweet Home au fiancé australien,
Miss Roseway, hélas, n’a cure de mon spleen,
Sa lorgnette sur les Laquedives, au loin…
- Je vais me préparer – sans entrain ! – pour la fête
de ce soir : sur le pont, lampions, danses, romances
(Je dois accompagner miss Roseway qui quête
- Fort gentiment – pour les familles des marins
Naufragés !) Oh, qu’en une valse lente, ses reins
A mon bras droit, je l’entraîne sans violence
Dans un naufrage où Dieu reconnaîtrait les siens…
République argentine
La Plata
A Ruben Dario
Ni les attraits des plus aimables Argentines,
Ni les courses à cheval dans la pampa,
N’ont le pouvoir de distraire de son spleen
Le Consul général de France à la Plata !
On raconte tout bas l’histoire du pauvre homme :
Sa vie fut traversée d’un fatal amour,
Et il prit la funeste manie de l’opium ;
Il occupait alors le poste à Singapoore...
– Il aime à galoper par nos plaines amères,
Il jalouse la vie sauvage du gaucho,
Puis il retourne vers son palais consulaire,
Et sa tristesse le drape comme un poncho...
Il ne s’aperçoit pas, je n’en suis que trop sûr,
Que Lolita Valdez le regarde en souriant,
Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure
Ravagée par les fièvres d’Extrême-Orient...
Afrique occidentale
A Léon-Paul Fargue
Dans la véranda de sa case, à Brazzaville,
Par un torride clair de lune congolais
Un sous-administrateur des colonies
Feuillette les « Poésies » d’Alfred de Musset...
Car il pense encore à cette jolie Chilienne
Qu’il dut quitter en débarquant, à Loango...
– C’est pourtant vrai qu’elle lui dit « Paul je vous aime »,
À bord de la Ville de Pernambuco.
Sous le panka qui chasse les nombreux moustiques
Il maudit « ce rivage où l’attache sa grandeur »,
Donne un soupir à ses amours transatlantiques,
Se plaint de la brusquerie de M. le Gouverneur,
Et réprouve d’une façon très énergique
La barbarie des officiers envers les noirs...
Et le jeune et sensitif fonctionnaire
Tâche d’oublier et ferme les yeux...
« Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère... ? »
Egypte – Port Saïd
En rade
A Gabriel Fabre
On regarde briller les feux de Port-Saïd,
Comme les Juifs regardaient la Terre Promise ;
Car on ne peut débarquer ; c’est interdit
– Paraît-il – par la Convention de Venise
À ceux du pavillon jaune de quarantaine.
On n’ira pas à terre calmer ses sens inquiets
Ni faire provision de photos obscènes
Et de cet excellent tabac de Latakieh...
Poète, on eût aimé, pendant la courte escale
Fouler une heure ou deux le sol des Pharaons,
Au lieu d’écouter miss Florence Marshall
Chanter « The Belle of New York » au salon.
Invitation, sinon au voyage, du moins à la rêverie
22:15 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (5)
vendredi, 08 avril 2005
Anachronique
Hors du temps, ou plus exactement hors de leur temps, tels sont les anachroniques.
Renaud Camus a longtemps nourri un fantasme d’exposition de peintres anachroniques, fantasme que l’on retrouve régulièrement dans ses Journaux autour de 1990. Dans cette exposition aurait pu figurer, en position centrale, peut-être, tant il est l’archétype de l’anachronique, Alessandro Magnasco, peintre génois à la charnière entre les XVIIe et XVIIIe siècles (1667-1749).
Parmi les peintres régulièrement cités par Camus (Cecco Bravo, Luca Cambiaso, Mastelletta, fra Galgario), c’est le seul dont j’ai pu voir les œuvres, notamment les deux scènes de galériens du musée des Beaux-Arts de Bordeaux (L’arrivée des galériens dans la prison de Gènes et L’embarquement des galériens dans le port de Gènes).
Et en effet, Magnasco n’appartient pas à son époque, à l’évidence, à la fois par sa thématique (en particulier les scènes d’horreur) et sa technique (l’abandon progressif de la couleur). La confrontation avec la peinture aimable de la première partie du XVIIIe siècle est détonnante et l’on aurait du mal à l’identifier à son temps.
Magnasco, et en ceci il est remarquable, est un anachronique à la fois rétrospectif (l’influence des Désastres de la Guerre de Jacques Callot est patente), et prospectif (les peintures romantiques ne sont pas loin).
Par le plus grand des hasards, alors que je pensais à la présente note inspirée par l’écoute de différents interprètes de Bach au piano, la charmante (I presume) VS transcrivait partiellement sur le site de la Société des lecteurs de Renaud Camus le cinquième entretien entre celui-ci et Jean-Pierre Salgas, diffusé le 1er octobre 1992 sur France Culture.
Renaud Camus y développe sa conception des artistes anachroniques (ou anachronistes), notamment en évoquant sa prédilection pour Bonnefoy, Balthus, Chostakovitch, considérés par lui comme faisant partie de cette catégorie, car indifférents à leur temps, ignorés, ou ignorants, de la modernité (des anachroniques rétrospectifs, donc).
C’est précisemment ce caractère totalement anachronique qui m’a frappé à l’écoute du dernier enregistrement de Cyprien Katsaris, consacré à des transcriptions pour le piano d’œuvres de Jean-Sébastien Bach. Résolument hors de notre temps, tant pour le choix des partitions que pour les partis pris d’interprétation, ce pianiste l’est assurément.
Ecoutez son arrangement en forme de Burlesque de la Badinerie de la Suite en si mineur BWV 1067 : n’a-t-elle pas cet inimitable parfum d’autrefois, où l’on osait s’emparer à bras le corps tout à la fois de Bach et du piano ?
Ce disque m’a fait irrésistiblement pensé à une magnifique soirée à la Roque d’Anthéron, en 1991, lors de laquelle Shura Cherkassky a interprété la sixième partita BWV 830. L’élégance le disputait à la nonchalance, la liberté à la précision diabolique et à la virtuosité sans faille. Quelle classe, mais déjà à l’époque quel anachronisme !
Cependant, je fais certainement là preuve d’un excès de classification, une de mes grandes manies. Le dernier mot reviendra à Renaud Camus, répondant à Jean-Pierre Salgas:
«J’aurais le plus grand mal à me définir et je suis bien content que cette charge ne me revienne pas.»
15:40 Publié dans Bach, Peinture, Renaud Camus, Vu, lu, entendu | Lien permanent | Commentaires (21)
jeudi, 07 avril 2005
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