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dimanche, 03 avril 2005

Question - Réponse


J’ai assisté, jeudi soir dernier, au Café Pompier, à une projection de Pork and Milk, de Valérie Mréjen.

Dès le générique, un court texte explique le sujet : en Israël, des hommes et quelques femmes ayant quitté leur milieu ultra-orthodoxe juif et ses règles rigoureuses témoignent en plans fixes.












Il s’agit là d’un objet hybride (ce sont les plus intéressants) : ni un pur documentaire, ni une fiction véritable.
A bien des égards, Valérie Mréjen se situe dans le droit fil de ses Portraits filmés, et met en scène ses interlocuteurs, qui deviennent les interprètes de leur propre vie : travail préparatoire (sans aller ici jusqu’à la répétition), sélection des propos, choix des lieux et des cadrages.
Des évolutions sensibles se font jour, naturellement : moins de concision, plus de respiration, un fil conducteur plus apparent, une utilisation différente des temps morts, des silences.

Dans Pork and Milk il n’y a aucune morale, aucun psychlogisme, aucun militantisme ; il y est question de retenue, d’empathie, de respect pour celui qui s’exprime et pour celui qui regarde.



Vous aurez compris que j’apprécie le travail de Valérie Mréjen, cependant je voudrais vous faire partager la perplexité dans laquelle m’a plongé une phrase du propos liminaire, que je retranscris de mémoire :

«En hébreu, devenir religieux se dit littéralement aller vers la réponse. Quitter la religion se dit aller vers la question»


Dans son bloch-notes, Muriel Bloch semble émettre un doute sur la justesse de la traduction (Bonnes questions). [Add.: ses doutes sont infondés, m'indique Valérie Mréjen.]
Sans aller jusque là – je n’en nullement les compétences – j’aurais souhaiter plus de précisions sur les sources de ce texte. [Add.: En hébreu, "hozer betchouva" (hozer = aller / be = vers, à /tchouva = réponse) est employée par les religieux eux-mêmes. L'expression "hozer besheila" (aller vers la question) a été formée par similitude.]

Un des témoignages en confirme la véracité, en rapportant le conseil d’étudier le Talmud non pour trouver la réponse à une question, mais pour faire disparaître le besoin de poser la dite question.

Les aphorismes lapidaires ont souvent une grande séduction ; celui-là n’échappe pas à la règle et est propice à de réjouissants développements – pour l’athée que je suis encore – sur le refuge sécurisant que constitue la religion pour la plupart des croyants.
Mais c’est quand même faire bien peu de cas de siècles d’exégèse des textes sacrés qui ont produit nombre de questionnements (certes aussi nombre de réponses).

Or, les récits recueillis – choisis plus exactement – par Valérie Mréjen témoignent plus d’un rejet de règles de vie quotidienne absurdes, de la rupture avec un milieu rigide et des déchirements subséquents, que d’un passage de la religion à la laïcité avec tout ce qu’il peut entraîner comme interrogations et remises en questions. Je note en passant que le terme de laïcité est particulièrement propice à des impasses dans la communication dans le contexte israélien.


En conséquence, cet exergue me semble bien mal résumer le sens, l'esprit, la portée de Pork and Milk, en y introduisant un point de vue quasi militant totalement absent du corps de l’œuvre.

samedi, 02 avril 2005

Montbrison


Je lis dans Le sentiment géographique de Michel Chaillou ce passage tiré du Dictionnaire géographique et politique des Gaules et de la France de l’abbé Jean-Joseph Expilly :

«On remarque qu’en général les peuples du Forest ont assez de douceur, qu’à Montbrison les habitants sont peu agités de passions, préférant la vie paisible et tranquille à toute autre qui pourrait aux dépens de leur repos leur procurer une amélioration de fortune»



Après cela, il n’est guère surprenant que le plus célèbre fils de Montbrison ne revendique guère ses origines.


mercredi, 30 mars 2005

Mahler


Une réflexion en entraînant une autre, je me suis souvenu d’une anecdote mahlérienne qui m’a toujours enchanté. La voici rapportée par Renaud Camus dans son abécédaire Etc. :

«Mahler. Il cite exagérement l’histoire de Mahler à la campagne, aux prises avec la composition d’une de ses symphonies (la troisième, peut-être ?).
Mahler, l’été, est avec sa famille au bord d’un lac, en Autriche, dans un paysage admirable. Mais son travail rencontre des difficultés, la composition n’avance plus. Il décide de faire venir auprès de lui Bruno Walter, dans l’espoir que le jeune chef d’orchestre l’aidera à débloquer la situation.
Il va chercher Walter au débarcadère, et tous deux marchent vers la maison de Mahler. Walter tourne la tête pour observer un splendide panorama. Mais Mahler s’impatiente : « Inutile de regarder de ce côté-là, dit-il à Walter, tout ça est déjà écrit…»
Idée récurrente qu’on écrit le monde, écrit la vie»



Evidemment, cette idée d’écriture du paysage est éminemment camusienne ; elle l’est tellement qu’un doute me vient quant à l’authenticité du propos.
La seule référence en ma possession, à défaut du monument d’Henry-Louis de La Grange, est le petit opuscule de Marc Vignal dans la collection «Solfèges». J’y trouve ceci :

«Après ses réflexions sur la Vie et la Mort [la deuxième symphonie Résurrection], Mahler, détendu, nous donne ici son Poème de la Nature [la troisième symphonie]. Recevant en 1896 Bruno Walter à Steinbach-am-Attersee, il lui a déconseillé d’admirer le paysage : C’est inutile, j’ai tout emprunté pour le mettre dans ma Troisième


Il s’agit bien de la troisième symphonie, en 1896 ; nous sommes au bord d’un lac ; l’esprit y est quoique les traductions divergent grandement. D’autres variantes figurent ici ou là :
Inutile de regarder le paysage, il est tout entier dans ma symphonie (Orchestre national des Pays de Loire)
Inutile de regarder le paysage, il a passé tout entier dans ma symphonie (Orchestre symphonique de Montréal)


Ma perplexité augmente, aucune source n’est citée : s’agit il d’un extrait d’une correspondance, d’un propos rapporté par Bruno Walter ?

Tournons nous vers l’Est gràce à Google. La NDR nous dit, en allemand dans le texte (la traduction me demanderait trop d’effort) :

Mahler schreibt an Bruno Walter:
"Ich glaube, die Herren Rezensenten engagierter und nicht engagierter Art werden wieder einige Anwandlungen von Drehkrankheit bekommen, dagegen werden Freunde eines gesunden Spaßes die Spaziergänge, die ich ihnen da bereite, sehr amüsant finden. Das Ganze ist leider wieder von dem schon so übel beleumundeten Geiste meines Humors angekränkelt, und findet sich auch oft Gelegenheit, meiner Neigung zu wüstem Lärm nachzugeben. Manchmal spielen die Musikanten auch, ohne einer auf den anderen die geringste Rücksicht zu nehmen, und es zeigt sich da meine ganze wüste und brutale Natur in ihrer nackten Gestalt. Dass es bei mir nicht ohne Trivialitäten abgehen kann, ist zur Genüge bekannt. Diesmal übersteigt es aber alle erlaubten Grenzen. Man glaubt manchmal, sich in einer Schenke oder in einem Stall zu befinden. – Also kommen Sie nur recht bald und wappnen Sie sich rechtzeitig! Sie werden Ihren vielleicht in Berlin etwas gereinigten Geschmack sich wieder gewaltig verderben …"

Diesen launigen, von überlegener Selbstironie zeugenden Brief mit seinen Zitat-Paraphrasen aus unverständigen oder böswilligen Kritiken schrieb Gustav Mahler am 2. Juli 1896 aus Steinbach am Attersee, wo er wie gewohnt seine Sommerferien verbrachte, an den damals zwanzigjährigen Kollegen Bruno Walter. Der kam auch kurz darauf nach Steinbach, um sich den gerade entstehenden ersten Satz der dritten Sinfonie anzusehen (die anderen Sätze waren schon im vorangegangenen Jahr komponiert worden).
Als Bruno Walter in Steinbach aus dem Dampfer stieg und bewundernd die majestätischen Felswände des Höllengebirges hinter dem Ort erblickte, meinte Mahler schmunzelnd: "Sie brauchen gar nicht mehr hinzusehen – das habe ich schon alles weg komponiert."



Nous y voilà, «vous n’avez pas du tout besoin de regarder, je l’ai déjà entièrement composé». Mais toujours aucune référence.

La vérité ne nuit pas à l’enchantement, mais le doute nuit à la tranquillité d’esprit.

Une âme charitable pourrait elle m’éclairer ?


Add.: vous pouvez lire l'éclairage de l'âme charitable dans les commentaires.

dimanche, 27 mars 2005

Malheur


Alors que certains en sont réduits à regarder leur poste de télévision,








d'autres sont dans la salle de la philharmonie de Berlin

samedi, 26 mars 2005

La huitième parole du Christ en croix


En cette période de Semaine sainte, le cérémonial classique de l’église catholique, apostolique et romaine aurait voulu que l’on s’abstint de toute musique instrumentale et profane, interdiction qui fit fleurir les Leçons de ténèbres pour les Mercredi, Jeudi et Vendredi saints rien moins que virtuoses.

Cependant, un amateur de Joseph Haydn m’ayant offert, au mépris des lois et règlements sur le droit de propriété intellectuelle, un CD comportant des Nocturnes pour le roi de Naples, mon esprit vagabond s’est égaré, en ce Samedi saint, du coté des Sieben letzten Worte unseres Erlösers am Kreuze (les sept dernières paroles du Christ en croix).

Pater, dimitte illis ; non enim sciunt quid faciunt. (Luc 23, 34)
Vater, vergib ihnen, denn sie wissen nicht, was sie tun.
Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu’ils font.

Amen dico tibi, Hodie mecum eris in paradisio. (Luc 23, 43)
Wahrlich ich sage dir: Heute wirst du mit mir im Paradies sein.
En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.

Mulier ecce filius tuus, [...] Ecce mater tua. (Jean 19, 26-27)
Weib, siehe, das ist dein Sohn. [...] Siehe, das ist deine Mutter.
Femme, voici ton fils, […] Voici ta mère.

Eli, Eli, lema sabachtani ?
Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me ?
(Matthieu 27, 46) (Marc 15, 34)
Mein Gott, mein Gott, warum hast du mich verlassen ?
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ?

Sitio. (Jean 19, 28)
Mich dürstet.
J’ai soif.

Consummatum est. (Jean 19, 30)
Es ist vollbracht.
C’est achevé.

Pater, in manus tuas commendo spiritum meum. (Luc 23, 46)
Vater, ich befehle meinen Geist in deine Hände.
Père, en tes Mains je remets mon esprit.



Ces adagios sublimes se suffisent à eux-mêmes, naturellement, mais la passion du Christ me ramène inéluctablement à Jean-Sébastien Bach, en l’occurrence aujourd’hui à la Passion selon Saint-Jean.

Dans l’évangile selon Saint-Jean, la dernière parole de Jésus est «Es ist vollbracht», magnifique aria d’alto, plein d’émotion et de drame.
Puis l’évangéliste dit : «Und neiget das Haupt und verschied.»

L’air avec choral qui suit immédiatement est, pour moi, le sommet de l’œuvre, émotionnellement, musicalement, théologiquement peut-être :

Mein teurer Heiland, lass dich fragen,
Da du nunmehr ans Kreuz geschlagen
Und selbst gesagt: Es ist vollbracht,
Bin ich vom Sterben frei gemacht ?
Kann ich durch deine Pein und Sterben
Das Himmelreich ererben ?
Ist aller Welt Erlösung da ?
Du kannst vor Schmerzen zwar nichts sagen;
Doch neigest du das Haupt
Und sprichst stillschweigend: ja.



Ô, mon sauveur puis-je demander,
Maintenant que tu es en croix
Et que tu as dit toi-même «Tout est accompli»
Suis-je libéré de la mort ?
Puis-je par ta souffrance et ton martyre
Accéder au royaume des cieux ?
La rédemption du monde est-elle là ?
La douleur t’empêche de parler,
Mais tu inclines la tête
Et dis par ton silence «Oui»


Ce texte de Brockes, éminemment réthorique, pose la seule question qui vaille, celle du Salut. La voix de basse, symbolisant un ministre de l’Eglise - ainsi que l’écrit Alberto Basso à propos d’un air précédent - , interroge le Christ : Es-tu le Sauveur, ta crucifixion a-t-elle vraiment tout accompli, ressuciterai-je ?


Et Jésus, en inclinant la tête, répond silencieusement Oui; Ja, dans un entrelacement de la voix, du violoncelle et du chœur.

«Oui», la huitième parole du Christ en croix, consolante et silencieuse.