vendredi, 06 mai 2005
Un regret à ma ceinture
C’est en 1991, lors d’un voyage à Rome, que j’ai découvert Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage. Nulle précocité, ni originalité de ma part, me direz-vous, et vous aurez raison !
La vision de la Crucifixion de Pierre et de la Conversion de Paul dans l’église Santa Maria del Popolo fut pour moi un grand choc. La confrontation de l’ombre et de la lumière, la dramaturgie de la composition, l’humanité des personnages bibliques, les corps…
Je n’aurais certainement pas la prétention d’analyser pourquoi ces tableaux sont des chefs-d’œuvres, d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais le faire (vous pouvez lire le classique Roberto Longhi). Je pense cependant qu’il est nécessaire de se méfier d’une interprétation par trop psychologique et autobiographique (les faits divers, la sexualité, la vie dissolue…) de l’œuvre caravagesque.
C’est à Rome, où il exerça essentiellement son activité jusqu’en 1606, que peuvent s’admirer une grande partie des toiles du Caravage : c’est ainsi que j’ai vu, entre autres, la Vocation et le Martyre de Saint Matthieu à Saint Louis-des-Français, la Madone de Lorette à Sant’Agostino, la Mise au tombeau à la pinacothèque vaticane, Saint Jérôme, David et Saint Jean-Baptiste à la galerie Borghèse.
Hors de Rome (orbi), ses œuvres sont présentes dans diverses collections en Europe et aux Etats-Unis. Depuis 1991, je n’ai jamais manqué, lors de mes quelques pérégrinations européennes, d’aller contempler les tableaux présents ici ou là : au Louvre bien sûr, à Nancy, à Madrid, à Dublin. Je ne pouvais donc manquer la grande exposition Caravage, les dernières années organisée par la National Gallery à Londres.
En effet, si l’on peut avoir à Rome une vision cohérente du travail du Caravage jusqu’en 1606, la période suivante, de 1606 à sa mort en 1610, comprend des œuvres dispersées sur les lieux même où l’artiste a peint (Naples, la Sicile, Malte) et dans divers musées européens et américains. L’exposition londonienne est donc une occasion unique de confrontation des tableaux. Dès la première salle mettant côte à côte la version du Souper à Emmaus de Londres (1601) et celle de Brera (1606), la pertinence du thème les dernières années apparaît comme une évidence.
Le Caravage évolue vers un assombrissement de la lumière, une raréfaction des couleurs, une gravité plus grande des personnages, une mise en scène moins spectaculaire, qui se retrouveront de façon absolument cohérente dans toutes les œuvres exposées.
Il manque seulement à ce remarquable panorama, pour être complet, les œuvres maltaises : la Décollation de Saint Jean-Baptiste et Saint Jérôme, trop difficiles à transporter semble-t-il (quoique cela paraisse étonnant pour ce dernier tableau).
Voilà une absence qui va perpétuer une frustation déjà ancienne.
«Je porte à la ceinture des regrets sans partage / enfouis avec moi dans la marée des jours»
«Monterchi n'est rien sans la madone del Parto, ni Urbin sans la flagellation, Padoue sans l'Arena, Volterra ou Borgo San Sepolcro sans Rosso, Colmar sans Grünewald, Tolède sans le Greco, Malte sans le Caravage, etc.»
(Renaud Camus Vaisseaux brulés 2-2-37-1)
Eh oui, je fus à Malte, je visitai la cathédrale Saint Jean de la Valette. Mais en 1989, ignorant, je ne vis point le Caravage. Depuis, je porte à la ceinture un regret sans partage.
16:00 Publié dans Peinture, Renaud Camus, Vu, lu, entendu | Lien permanent | Commentaires (2)
mercredi, 27 avril 2005
L'échelle de Jacob
L’esprit de l’escalier fonctionne souvent au cours des spectacles auxquels j’assiste, vous avez déjà pu le constater. C’est ainsi que le commentaire de LKL sur ma note La huitième parole du Christ en croix m’est revenu à l’écoute du dialogue entre le doyen et Brand au cinquième acte de Brand d’Ibsen, vu le samedi 16 avril dernier.
Brand est une pièce étrange, en raison de la difficulté de percevoir, aujourd’hui, ce qu’elle peut nous dire et ce que l’auteur a voulu transmettre, par delà la situation particulière de son époque.
Un texte d’Edward Beyer me semble assez bien résumer l’esprit de l’œuvre, sinon son intrigue :
«Un jour, dans la cathédrale Saint-Pierre, [Ibsen] eut la révélation «avec force et avec clarté de la forme de ce que j’avais à dire», comme il l’écrit, peu après, dans une lettre. Une œuvre qu’il avait commencée devint le poème dramatique Brand, où, non seulement, il laisse des scorpions châtier ses compatriotes pour leur lâcheté et leur parjure, mais où il exprime très nettement le sentiment de vocation, l’éthique de la personnalité et l’idéalisme sans compromis qui font partie de sa nature la plus profonde.
Brand est l’un des individualistes et l’un des idéalistes les plus intransigeants de toute la littérature. Ses exigences, à l’égard des autres comme de lui-même, ont un caractère absolu, très voisin de la rigueur de Sören Kierkegaard. Pour Brand, c’est «tout ou rien», «l’esprit de compromis est Satan». Ce qu’il cherche avant tout c’est la volonté, la volonté de suivre l’appel, la vocation et de tout sacrifier ; lui-même sacrifie sa femme et son enfant quand il estime qu’il le faut, il suit sa voie jusqu’à l’ultime conséquence – jusqu’à l’Eglise de glace. Il est décrit comme une figure idéale et un héros tragique – «moi-même dans les meilleurs moments» dit l’auteur – et ses adversaires sont, pour la plupart, des caricatures. Mais, en face de son moralisme impitoyable, se dresse Agnès, l’épouse chaleureuse et aimante qu’il sacrifie sur l’autel de sa vocation. Et les mots prononcés au moment de sa mort – «Il est le deus caritatis » - peuvent être interprétés de façons bien différentes. Accordent-ils le pardon ou énoncent-ils un jugemrent ?
Par la violence des passions et le profond tragique, l’émouvante descritption des caractères, le puissant symbolisme de la nature et l’art consommé de la versification, Brand se classe parmi les très grandes œuvres de la littérature nordique. La pièce fit sensation quand elle parut et cet effet se prolongea. C’était «comme si elle sondait nos reins et nous nous trouvions à l’intérieur d’une nouvelle religion qui se dressait avec ses impératifs (…). C’était une voix de Savonarole au milieu d’une époque vouée au culte de l’art», devait écrire August Strindberg vingt ans plus tard.»
Passons sur «l’esprit de compromis est Satan» qui réjouira plus d’un partisan du non.
Mais le «moi-même dans les meilleurs moments» d’Ibsen est troublant : Brand est vraiment la personnification de la rigueur et de l’intransigeance, et confronté aux fantômes de son passé, il persiste dans le «tout ou rien». Il referait, de son plein gré, en conscience, le chemin sacrificiel. Même si, au moment ultime, il réclame «lumière et soleil et douceur, le silence paisible d’une église», il est difficilement imaginable de pouvoir s’identifier à lui.
Cependant, Brand est un lesedrama, un drame destiné à être lu. Il est probable que la représentation théatrale, si elle fait gagner en humanité, lui fait perdre une part de sa subtilité. Je réserve donc mon point de vue tant que je n’aurai pas lu le texte, dont je viens de faire l’acquisition.
Revenons au dialogue entre le pasteur Brand et le doyen, qui est son supérieur hiérarchique. Ce dernier lui indique fermement que l’influence qu’il a acquise auprès de la population doit être avant tout mise au service de l’Etat : la vie spirituelle a surtout pour but de renforcer l’ordre public :
LE DOYEN
[…]
Vous accroissez votre devoir : concourir au but que l’Etat assigne à son Eglise.
En tout, il faut suivre une règle, sans quoi le jeu des forces éparses sera comme un poulain indompté brisant les barrières et les haies, outrepassant les bornes.
Il y a dans tout ordre des choses une loi, bien que diversement nommée. En art, elle a pour nom école, et dans notre art militaire, autant qu’il m’en souvienne, le pas cadencé.
Oui, c’est le mot, cher ami ! C’est à cela que tend l’Etat.
Il trouve le pas de course trop rapide ; marquer le pas serait trop peu – un pas égal pour tous, une même cadence pour tous – C’est le but de la méthode !
BRAND
A l’aigle le ruisseau – à l’oie le vertige des nues par-delà les cimes !
LE DOYEN
On n’est pas, Dieu merci, des bêtes – mais, si nous parlons fable et poésie, le mieux est d’ouvrir la Bible.
Elle peut servir à tout ; elle fourmille de la Genèse à l’Apocalypse d’édifiantes paraboles. J’en veux pour mémoire ce projet de la tour de Babel !
Dites où cela les mena ?
Et pourquoi ? Facile à comprendre ; ils ont rompu les rangs, chacun parlant sa propre langue, ils se sont désunis sous le joug – bref, ils sont devenus des personnalités.
C’est là une des moitiés de la graine dissimulée sous l’écorce de la fable – l’homme seul est sans défense, l’homme isolé près de la chute.
Celui que Dieu veut frapper, il en fait d’abord un individu.
Les romains le formulaient ainsi : les dieux lui ravissent la raison – mais «fou» et «seul» cela revient au même, et c’est pourquoi tout homme seul doit pour finir s’attendre au sort de cet Urian que David envoya aux avant-postes.
BRAND
Bien possible, oui : et après ?
La mort n’est pas un désastre. Et êtes-vous sûr et certain que ces bâtisseurs, pour finir, mus par même langue et même pensée auraient pu faire monter leur tour de Babel jusqu’au ciel ?
LE DOYEN
Au ciel ? Non, justement, impossible qu’elle s’élevât jusqu’au ciel.
C’est là l’autre moitié de la graine dissimulée sous l’écorce de la fable : toute construction est vouée à la chute qui prétend atteindre les étoiles.
BRAND
Jusqu’au ciel pourtant s’éleva l’échelle de Jacob ;
Jusqu’au ciel s’élève l’âme désirante.
LE DOYEN
Par ce bias, oui ! Certainement ! Inutile d’insister sur ce point.
Bien sûr que le ciel est la récompense d’une vie honnête, dans la foi et la prière.
Mais la vie est une chose et la foi une autre ; on fait du tort aux deux à vouloir les mêler – six jours sont consacrés au travail, le septième aux élans du cœur ;
Si l’église était ouverte à la semaine, c’en serait fini du dimanche.
[…]
Il y a là une opposition radicale entre le doyen, qui s’appuye sur la parabole de la tour de Babel, et Brand, qui fait référence à l’échelle de Jacob :
11.1 Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots.
11.2 Comme ils étaient partis de l'orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent.
11.3 Ils se dirent l'un à l'autre: Allons! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment.
11.4 Ils dirent encore: Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
11.5 L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.
11.6 Et l'Éternel dit: Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté.
11.7 Allons! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres.
11.8 Et l'Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville.
11.9 C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute la terre.
28.10 Jacob partit de Beer-Schéba, et s'en alla à Charan.
28.11 Il arriva dans un lieu où il passa la nuit; car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là.
28.12 Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle.
28.13 Et voici, l'Éternel se tenait au-dessus d'elle; et il dit: Je suis l'Éternel, le Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité.
28.14 Ta postérité sera comme la poussière de la terre; tu t'étendras à l'occident et à l'orient, au septentrion et au midi; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité.
28.15 Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays; car je ne t'abandonnerai point, que je n'aie exécuté ce que je te dis.
28.16 Jacob s'éveilla de son sommeil et il dit: Certainement, l'Éternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas!
28.17 Il eut peur, et dit: Que ce lieu est redoutable! C'est ici la maison de Dieu, c'est ici la porte des cieux!
(Genèse, Bible de Louis Segond 1910)
Construction humaine, vouée à l’échec, lieu du compromis contre oeuvre de Dieu, promesse des cieux, lieu de l’absolu ; c’est peut-être là qu’est la clé de Brand.
17:50 Publié dans Dieu ?, Théatre | Lien permanent | Commentaires (15)
lundi, 25 avril 2005
Namenlos
Jeudi soir dernier, au milieu du deuxième acte de Tristan und Isolde (un Tristan sans Isolde, malheureusement, mais où l’on vît que l’absence de mise en scène n’est guère un manque), je fus littéralement frappé par ce mot prononcé par les deux héros lors de leur duo d’amour : Namenlos.
Absence de nom ?
Si les questions toponymique et topographique sont pour moi proches du fétiche, la question patronymique me passionne moins, et l’intérêt que j’y porte est pour l’essentiel dû à ce que j’en lis chez Renaud Camus. En particulier, celui-ci évoque à maintes reprises Ulysse dans la caverne de Polyphème.
Voilà le point de départ de ma réflexion en colimaçon :
Ulysse et ses compagnons sont retenus par le Cyclope Polyphème, berger et anthropophage. Pour s’enfuir, Ulysse va commencer par enivrer Polyphème. Celui-ci lui demande son nom :
«- Kyklôps, tu me demandes mon nom illustre. Je te le dirai, et tu me feras le présent hospitalier que tu m’as promis. Mon nom est Personne. Mon père et ma mère et tous mes compagnons me nomment Personne.
Je parlai ainsi, et, dans son âme farouche, il me répondit :
- Je mangerai Personne après tous ses compagnons, tous les autres avant lui. Ceci sera le présent hospitalier que je te ferai.»
Profitant du sommeil alcoolique du Cyclope, Ulysse lui crève son œil unique, provoquant sa fureur et des cris de douleur. Les compagnons de Polyphème s’inquiètent :
«- Pourquoi, Polyphèmos, pousses-tu de telles clameurs dans la nuit divine et nous reveilles-tu ? Souffres-tu ? Quelque mortel a-t-il enlevé tes brebis ! Quelqu’un veut-il te tuer par force ou par ruse ?
Et le robuste Polyphèmos leur répondit du fond de son antre :
- O mes amis, qui me tue par ruse et non par force ? Personne.
Et ils lui répondirent en paroles ailées :
- Certes, nul ne peut te faire violence, puisque tu es seul. On ne peut échapper aux maux qu’envoie le grand Zeus. Supplie ton père, le roi Poseidaôn.
Ils parlèrent ainsi et s’en allèrent. Et mon cher cœur rit, parce que mon nom les avait trompés, ainsi que ma ruse irréprochable. »
(traduction Leconte de Lisle)
Ainsi, Ulysse, en abandonnant son nom et ses origines, réussit-il à se sauver. Mais cet abandon n’est que temporaire. Après s’être échappés en se dissimulant parmi les brebis du troupeau de Polyphème, Ulysse et ses comparses continueront leur Odyssée, et le roi d’Ithaque retrouvera sa patrie, sa famille, ses origines, son nom. Au fond, la perte du nom n'était qu’une ruse - et demeure une source de jeux de mots inépuisable -, mais ne fut qu’une péripétie dans son voyage.
L’aveu par Lohengrin de son nom et de sa filiation eut des conséquences bien plus fâcheuses :
Ortrud et Telramund, qui convoite le titre de duc de Brabant, accusent Elsa d'avoir fait disparaître son jeune frère Godefroi, héritier légitime du duché. Le roi Henri 1er décide de soumettre le différend au jugement de Dieu. Elsa rêve au champion qui la défendra et auquel elle accorde par avance sa main. Alors, apparaît sur la rivière un cygne portant un chevalier qui s'offre à servir Elsa à condition qu'elle ne lui demande jamais qui il est, ni d'où il vient.
Nie sollst du mich befragen, noch Wissens Sorge tragen, woher ich kam der Fahrt, noch wie mein Nam’ und Art!
Le chevalier au cygne vainc Telramund, mais lui laisse la vie sauve.
Ortrud et Telramund, voyant tout le parti qu’ils peuvent tirer du mystère du nom inconnu, intriguent auprès d’Elsa pour instiller en elle le doute sur l'ampleur des méfaits qui interdiraient le dévoilement de l'identité du preux chevalier.
Tant et si bien qu’Elsa finit par poser la question fatidique. Le chevalier dévoile alors son identité : il est Lohengrin chevalier de Montsalvat, où se dresse le temple du Saint-Graal, et fils de Parsifal, roi de cette contrée lointaine.
Vom Gral ward ich zu euch daher gesandt:
mein Vater Parzival trägt seine Krone,
sein Ritter ich - bin Lohengrin genannt
Il doit désormais repartir, le pouvoir conféré par le Graal n’agissant que dans la mesure où le secret de son origine en est gardé. Pour entraîner l’embarcation dans laquelle est monté Lohengrin, une colombe a remplacé le cygne, celui-ci étant redevenu Godefroi après que le sortilège d’Ortrud a été brisé. Devant le départ définitif de son époux, Elsa meurt dans les bras de son frère.
L’anonymat de Lohengrin lui permettait de bénéficier de la force procurée par le Graal, et il pouvait ainsi, après l’avoir sauvée, rester l’époux d’Elsa. L’aveu de son nom et de l’origine de son pouvoir l’oblige à la quitter et à retourner à Montsalvat.
Comme Ulysse, ayant retrouvé son patronyme, il rejoint sa patrie, après avoir vaincu les Dieux anciens en digne serviteur du Graal ; mais contrairement au héros grec, il laisse son épouse derrière lui, qui ne survit pas à ce départ. Que trouvera-t-il au bout de son périple ?
Tout autre est l’abandon du nom, des noms, pour Tristan et Isolde.
NamenlosN’ayant plus de nom
In lieb’ umfangenEtreints dans l’amour
Ganz uns selbst gegebenEntièrement l’un à l'autre
Der Liebe nur zu leben !Vivre uniquement par l’amour !
[…]
TRISTAN
Tristan du,Tristan toi,
Ich Isolde,Yseut moi,
Nicht mehr Tristan !Plus de Tristan!
ISOLDE
Du IsoldeToi Yseut
Tristan ich,Moi Tristan,
Nicht mehr Isolde !Plus d’Yseut!
BEIDE
Ohne Nennen,Plus de nom,
Ohne TrennenPlus de séparation,
Neu’ ErkennenNouvelle révélation
Neu’ EntbrennenNouvel embrasement
Ewig endlos,A jamais à l’infini,
Ein-bewusst :D’une seule conscience :
Heiss erglühter BrustLa plus intense volupté amoureuse
Höchste Liebeslust !D’un cœur brûlant d’amour !
(traduction Jean-Pierre Krop)
Mais l’arrivée du roi Marke les ramènent à leur identité, au jour et au déshonneur, et, à la fin des fins, après le retour de Tristan à Karéol, le pays de ses ancêtres, à la mort.
Ulysse, Lohengrin, Tristan : chacun s’en est retourné dans sa patrie, après avoir retrouvé son nom abandonné un instant.
Cependant Pénelope attendait, fidèle, à Ithaque ; alors qu’Elsa meurt seule dans le Brabant, et qu’Isolde rejoint à Karéol son aimé dans la mort.
Des destins amoureux bien différents, en définitive.
Mais voilà qu’apparaît Roméo, Roméo et Juliette archétype de l’amour contrarié et tragique :
«Juliette. – O Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet.
Roméo, à part. – Dois-je l’écouter encore ou lui répondre ?
Juliette. – Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’est pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y-a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s’appelerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu’il possède… Roméo, renonce à ton nom ; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière.
Roméo. – Je te prends au mot ! Appelle-moi seulement ton amour, et je reçois un nouveau baptême : désormais je ne suis plus Roméo.
Juliette. – Quel homme es-tu, toi qui, ainsi caché par la nuit, viens de te heurter à mon secret ?
Roméo. – Je ne sais par quel nom t’indiquer qui je suis. Mon nom, sainte chérie, m’est odieux à moi-même, parce qu’il est pour toi un ennemi : si je l’avais écrit là, j’en déchirerais les lettres.
Juliette. – Mon oreille n’a pas encore aspiré cent paroles proférées par cette voix, et pourtant j’en reconnais le son. N’es-tu pas Roméo et un Montague ?
Roméo. – Ni l’un ni l’autre, belle vierge, si tu détestes l’un et l’autre.»
(Acte II scène 2, traduction François-Victor Hugo)
Ainsi, Juliette exhorte Roméo à abandonner son nom, et avec ce nom le fatum et les haines ancestrales qui s’y attachent, pour accéder à l’amour, à l’instar de Tristan et Isolde. Mais Roméo restera Roméo, et tuera Tybald, précipitant le couple vers sa fin dramatique.
Puissance du nom, puissance du clan, que ne pourra pas vaincre la force de l’amour.
«Heureux qui comme Ulysse», mais son bonheur paraît bien singulier, parmi les héros.
00:15 Publié dans Littérature, Musique | Lien permanent | Commentaires (8)
samedi, 23 avril 2005
Oui
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20:00 Publié dans La vie est vaine et formidable | Lien permanent | Commentaires (4)
mardi, 19 avril 2005
Rhétorique ludique
Paraboles
Le jeune point n'avait guère le sens de l'orientation. Enfant du divorce, il s'égarait toujours entre le foyer paternel et le foyer maternel. Pris de pitié, son professeur de mathématiques lui expliqua qu'en se situant sur une hyperbole, la différence des distances avec ses deux foyers serait constante, et qu'il pourrait ainsi toujours se repérer. La constance est une grande vertu.
Entre les cônes et les plans régnait la guerre. Une jeune cône rencontra un bon plan lors d'un bal des débutants à la cour euclidienne. Ce fut le coup de foudre. Après maintes difficultés, la paix fut rétablie et de l'intersection du bon plan et de la jeune cône naquit une petite ellipse. Omnia vincit Amor.
Ellipses
Foyer directrice distance égale, parabole
Foyer foyer différence distance constante, hyperbole
Hyperboles
L'égalité des distances entre le foyer et la directrice produit une beauté sans pareille. Que de grâce dans la courbe, que de magnificence dans la quadrature, Ô parabole!
L'intersection entre un cône et un plan engendre bien des merveilles. Ellipse, tu es le Phénix des courbes planes fermées, avec ton grand axe et ton petit axe si élégants, tes foyers et ton centre si chaleureux!
15:20 Publié dans Jeux et choses sans importance | Lien permanent | Commentaires (3)