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jeudi, 04 septembre 2008

Sombre fut la nuit

C’est probablement une image fantasmée et reconstruite a posteriori. J’ai pourtant un souvenir assez nette de promenades nocturnes à Strasbourg, lorsque j’y étais étudiant, au pied de la cathédrale, sans aucune illumination.
Le massif occidental était d’autant plus impressionnant et mystérieux qu’il était plongé dans l’obscurité (me semble-t-il), sa masse écrasante n’étant plus allégée par la dentelle de grès rose de la façade, invisible la nuit.
Pourtant, il serait étonnant qu’au début des années 80, la municipalité strasbourgeoise n’ait pas pourvu ce monument phare d’un éclairage destiné à le mettre en valeur (à tort à mon avis). Mais peut-être les projecteurs s’éteignaient-ils après une certaine heure, laissant aux passants noctambules (dont je fus) un moment pour la poésie et une rêverie médiévale (nonobstant les réverbères électriques).
Tout cela a bien évidemment disparu, puisque non seulement la cathédrale est éclairée en permanence, mais elle subit, comme tant d’autres désormais, les outrages d’un son et lumière bien envahissant.

Mais c’est justement un son et lumière qui m’a permis de retrouver à Chartres un peu de cette atmosphère sombre dans les alentours venteux de la cathédrale. En effet, à l’arrêt des illuminations de Chartres en lumières (vers une heure du matin), l’éclairage habituel ne réapparaissait pas (malheureusement, il y a été mis bon ordre depuis), laissant les tours – irréprochables ou non – dans l’obscurité.





Pour ajouter une touche musicale à l’atmosphère, un écho d'une répétition nocturne sur l’orgue chartrain, entendu depuis ma ci-devant fenêtre.



samedi, 01 septembre 2007

Modeste est mère de l'Eglise

L'influence française sur la cathédrale de Strasbourg est attestée tant historiquement que stylistiquement, quoique que les apports de la Bourgogne ait été mis en avant par certains historiens allemands pour des raisons idéologiques – le dôme strasbourgeois est un lieu à la fois de passage et de confrontation. La Bourgogne ayant longtemps été rattachée au Saint Empire Romain Germanique, des racines bourguignonnes sont en effet politiquement plus correctes, dans le Reichlsand allemand, que des sources parisiennes, chartraines, sénonaises ou rémoises.

La juxtaposition de Modeste, sainte locale et légendaire sculptée au portail Nord de la cathédrale de Chartres au début du XIIIème siècle, et de l’Eglise, installée postérieurement au portail du transept sud de la cathédrale de Strasbourg, est pourtant particulièrement éclairante et guère contestable.


mardi, 13 mars 2007

Un observateur éclairé

Après une interruption due à une crise aigue d’apathie procrastinatoire, je reprends une série consacrée à Strasbourg.
J’avais narré une tentative pour attiser la curiosité culturelle de mes condisciples, en leur vantant les mérites de Pigalle, de Maurice de Saxe et de l’église Saint-Thomas. A la suite de cette première expérience, j’avais envisagé de m’attaquer au pilier des anges de la cathédrale. En raison probablement d’une absence de réactions au premier billet, je n’ai pas poursuivi – je devais déjà être à l’époque passablement susceptible et paranoïaque – et le texte envisagé est resté dans les limbes.

J’y reviens donc aujourd’hui, incité à cela par mon retour automnal à Strasbourg, car le motif qui m’avait conduit à choisir le pilier des angesde la cathédrale comme sujet d’évangélisation me semble toujours d’actualité.

Un bref aperçu historique et architectural s’impose tout d’abord.
La cathédrale de Strasbourg est marquée, comme beaucoup d’autres, par une période de construction assez longue qui a entraîné une succession de maîtres d’œuvre et une évolution du projet au cours du temps. La partie orientale, commencée la première, est ainsi très nettement de style roman, notamment la partie nord du transept avec son massif pilier central soutenant les voûtes.
Si la structure du transept sud est identique, le pilier roman y est en revanche remplacé par un chef-d’œuvre de la sculpture gothique, communément appelé le pilier des anges. Il représente en fait, sur trois niveaux, une partie de Jugement dernier, avec les anges porteurs des instruments de la passion, les anges musiciens, et le Christ et les évangélistes.


Ultérieurement, le transept a été doté d’une horloge astronomique, dont les éléments décoratifs du XVIe siècle sont toujours en place pour la plupart, le mécanisme ayant été quant à lui revu entièrement au milieu du XIXe siècle.


Je conseille, entre parenthèses, et s’il en était besoin, à tout visiteur de la cathédrale de franchir le seuil du dit transept pour admirer, outre les fameuses Eglise et Synagogue (qui sont des copies, les originaux étant visibles en face, dans les collections du musée de l’Œuvre Notre-Dame), ce sommet de la sculpture médiévale qu’est la dormition de la Vierge, dont, dit la chronique, Delacroix possédait un moulage qu’il réclama sur son lit de mort.


Il est incontestable que, aujourd’hui comme hier, l’horloge astronomique est une curiosité extrêmement populaire ; tellement populaire que, la perspective d’un péché capital n’ayant jamais arrêté les marchands du temple, la cathédrale ferme ses portes entre midi et une heure, chaque jour, dans le seul et unique but de pouvoir faire payer l’accès au transept sud à midi et demie, heure à laquelle la mise en mouvement des éléments constitutifs de l’horloge est la plus spectaculaire.
Or donc, la foule éplapourdie admire les petits personnages issus de l’art populaire, la mort et sa faux, les apôtres qui passent, le coq qui chante… Mais fort peu nombreux sont les visiteurs qui voient qu’ils sont au pied d’un authentique chef d’œuvre, le pilier des anges, puisqu’au contraire, ils lui tournent le dos.


Cet aveuglement m’a toujours agacé, et c’est cet agacement qui m’avait incité à consacrer un article à ce sujet dans la revue des élèves de mon école d’ingénieurs, ce à quoi je renonçai, comme vous le savez déjà.
En revanche, je n’ai jamais manqué d’insister, lors des nombreuses visites que j’ai consacrées à la cathédrale au cours des années, sur le pilier des anges, en replaçant à sa juste valeur artistique, qui est faible, l’horloge astronomique, avec un succès inégal, je dois bien le reconnaître.

J’avais aussi plaisir, pendant ces visites, à faire remarques à mes hôtes un détail caché. En effet, accoudé à une balustrade, un petit personnage observe, avec inquiétude ou admiration, le fameux pilier.




Ah ! Enfer et damnation ! Que n’ai-je pas vu lors de mon dernier séjour !
Les « concepteurs-lumières » ont encore sévi, en éclairant a giorno ce qui devait rester dans la pénombre.


Que la peste soit sur eux jusqu’à la quatrième génération !

12:15 Publié dans Strasbourg | Lien permanent | Commentaires (5)

lundi, 02 octobre 2006

L'architecte et son oeuvre

Mes lecteurs les plus fidèles se souviennent peut-être de la fantaisie que j’avais rédigée au sujet de la façade de la cathédrale de Strasbourg.
Contrairement au billet similaire consacré à Chartres, ces manipulations d’image n’étaient en fait pas du tout fantaisistes, même si, certes, l’histoire des différents projets de la façade strasbourgeoise et de leur réalisation est plus complexe que le rapide résumé que j’ai pu en faire.


Outre la lecture des ouvrages savants consacrés à la question, la visite du musée de l’œuvre Notre-Dame est très éclairante sur ce sujet.
Ici il convient certainement d’ouvrir une parenthèse pour expliquer aux français de l’intérieur, et même aux autres, peut-être, la particularité de l’œuvre Notre-Dame, qui fait la joie de tout amateur de traditions ancrées solidement dans les siècles passés.
La construction de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, comme toutes les cathédrales, a été confiée dès l’origine à une œuvre chargée, sous la responsabilité de nombreux maîtres d’œuvre successifs, de l’élaboration des projets, de leur financement, de la réalisation des travaux, et de l’entretien des bâtiments. L’œuvre Notre-Dame de Strasbourg s’est ainsi installée près du chantier de la cathédrale, dans deux bâtiments (l’un gothique, l’autre renaissance) qui abritent aujourd’hui le passionnant musée cité plus haut, dans lequel on peut toujours voir la salle de réunion de la loge des maçons et tailleurs de pierre, le bureau du receveur et ses coffres-forts… ainsi que les originaux de plusieurs statues remplacées, pour des raisons de protection, par des copies sur le monument lui-même (en particulier les fameuses vierges folles et vierges sages, les vices terrassant les vertus, ainsi que l’église et la synagogue).
Pendant longtemps, par le biais de donations, l’œuvre Notre-Dame a été, avec les Hospices de Strasbourg, le plus gros propriétaire terrien d’Alsace : terres agricoles, forêts et vignes, dont le revenu a servi à construire, puis à entretenir la cathédrale.


Cette institution a été naturellement placée dès l’origine sous l’autorité de l’évêque ; de ce fait elle aurait dû disparaître à la révolution comme toutes ses homologues françaises.

Mais il se trouve que tel n’a pas été le cas. En effet, le XIIIe siècle, qui avait vu grandir de fortes tensions entre les nobles, bourgeois et marchands strasbourgeois et leur évêque, s’est conclu par la défaite de celui-ci à la bataille de Hausbergen. La ville, libérée de la tutelle épiscopale, a repris le chantier de la cathédrale et l’œuvre Notre-Dame qui en était la cheville ouvrière.
Celle-ci, devenue fondation municipale, a survécu aux vicissitudes du temps, y compris à la loi de séparation de l’église et de l’Etat (appliquée partiellement et à retardement en Alsace en raison du rattachement de celle-ci à l’empire allemand jusqu’en 1918) et continue toujours de nos jours à participer à la restauration de la cathédrale, en collaboration avec et sous l’autorité de l’architecte des monuments historiques, le bâtiment étant devenu propriété de l’Etat.
Une telle continuité, exceptionnelle, a permis la conservation d’un fonds documentaire considérable, et en particulier une rare collection de plans des projets successifs de la façade, qui ne sont malheureusement plus exposés pour des raisons de conservation.
J’ai eu cependant la chance de les voir lorsque j’étais étudiant à une époque où ils étaient encore présentés au public.


Cependant, il est un endroit à Strasbourg où l’on peut toujours voir le plan du projet « B » réalisé par Erwin de Steinbach, un des premiers maîtres d’œuvre dont on connaisse l’identité.
Je ne m’en suis aperçu que récemment, lors de mon dernier séjour qui date de la semaine dernière, alors que le monument qui porte ce plan a longtemps, dès lors que je l’eus découvert, constitué une sorte de marque personnelle de mes visites guidées (à destination de mes amis et de ma famille uniquement, je précise), tant il est peu connu, et placé à l’écart des flux touristiques (et même non touristiques).


Il s’agit de la statue de Jean Hultz de Cologne par A. Friederich (1847), située dans le quartier de l’orangerie, dans un secteur où les rues portent chacune le nom d’un architecte de la cathédrale. Jean Hultz a été en effet le maître d’œuvre de la flèche pyramidale qui couronne la tour nord de la façade, achevée en 1439. Il la tient dans ses bras, ce qui fait toute la saveur de la sculpture.


Or donc, je me suis aperçu, alors que nous nous rendions sous la pluie à un brunch dans ce quartier très chic, et que nous passions devant la susdite statue par un subreptice détour motivé par mon souhait d’en prendre une photographie (je n’ai absolument aucun cliché de Strasbourg, alors que j’y ai vécu 10 ans), de la présence sur le socle, à droite, du fameux plan « B » (rien à voir avec un quelconque référendum) gravé dans le grès rose.

Je le présente à vos yeux ébaubis (vous pourrez vous vanter de connaître une curiosité de Strasbourg que la plupart des strasbourgeois ignorent).


On remarquera que le projet d’Erwin de Steinbach comportait deux tours symétriques, couronnées de deux fléches qui donnent à l’ensemble une allure, me semble-t-il, plus germanique que ce qui a été effectivement réalisé.

Voilà, ce petit texte aurait peut-être pu, si ma volonté n’avait pas fléchi dès l’origine, continuer la série destinée à l’édification de mes condisciples élèves ingénieurs. Je ne crois pas y avoir songé à l’époque ; en revanche, je me souviens parfaitement que j’avais imaginé un deuxième épisode, après le mausolée de Maurice de Saxe, consacré au pilier des anges de la cathédrale. Cela fera un sujet pour un prochain billet !

mercredi, 27 septembre 2006

Si Pigalle m'était conté

Arrivant au début des années 1980 à Strasbourg pour y achever mes études, je fus passablement consterné par l’inculture de mes condisciples de l’école d’ingénieur que j’allais fréquenter pendant trois ans. J’étais d’ailleurs moins chagriné, à la vérité, par la légèreté de leur bagage culturel que par leur absence de curiosité (je généralise, bien sûr). Je ne crois pas affabuler en affirmant qu’un nombre non négligeable d’entre eux n’ont jamais franchi, tout au long de leur séjour alsacien, les portes de la cathédrale, et encore moins celles d’un quelconque musée.
Ayant à l’époque une âme de missionnaire, j’avais forgé le projet présomptueux et immodeste de faire œuvre de prosélytisme pour convertir les ignorants aux nombreuses beautés du patrimoine strasbourgeois.
L’association des élèves éditant quelques feuillets à intervalles irréguliers, je proposai à la publication un court texte consacré au mausolée du Maréchal de Saxe, sis dans l’abside de l’église Saint-Thomas.
Le peu d’écho suscité par cette initiative, et mon caractère velléitaire ont fait que cette tentative n’eut pas de suite, pour autant que je m’en souvienne.

Une récente visite à Strasbourg, et un rapide tour dans Saint-Thomas, ont ramené à ma mémoire cette anecdote – et provoqué un grand coup de nostalgie.
Je n’ai malheureusement pas gardé trace de cet écrit, grandement inspiré, si ce n’est honteusement plagié, je le crains, du document explicatif mis à disposition des visiteurs du mausolée.


Mais pourquoi avais-je jeté mon dévolu sur Maurice de saxe ? Certainement en raison d’une sorte de snobisme – à l’époque, le Mausolée de Pigalle, à défaut d’être tout à fait secret, était peu connu du commun des mortels – mais aussi parce que je ressens vraiment de l’intérêt pour cette œuvre (et pour cette église qui possède un superbe orgue Silberman), moins pour la qualité expressive de chacune des statues que pour l’architecture de l’ensemble, et la manière si réussie de résumer la vie du duc de Courlande (j’adore ce titre de noblesse) – le guerrier victorieux, le séducteur impénitent et amateur de plaisirs, l’homme courageux et éminent serviteur de la France, quoique mercenaire.
J’aime particulièrement la diagonale qui relie la Mort, la France et le Maréchal.


Implacablement, le sablier de marbre marque depuis plus de 200 ans la descente inexorable vers le tombeau.


dimanche, 22 mai 2005

Traditions

Je suis généralement fasciné par les traditions, dès lors qu’elles n’ont pas conservé de caractère totalitaire, et qu’elles ne sont pas devenues folkloriques. Elles permettent, à leur meilleur, de s’inscrire dans une histoire et une mémoire.
L’Alsace est une terre de traditions, en particulier musicales. C’est ainsi que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg fête cette année ces 150 ans, et le Chœur de Saint Guillaume ces 120 ans. Notons encore que le festival de Strasbourg a été créé en 1932.

Mon propos n’est naturellement pas de vous narrer la chronologie de ces institutions, mais simplement de vous faire partager le sentiment, très cérébral j’en conviens, que j’ai pu éprouver en assistant à l’un ou l’autre concert, en ayant à l’esprit une photographie ou un programme entrevus ici ou là.

Gustav Mahler dirige le 22 mai 1905, au Palais des Fêtes, l’orchestre de Strasbourg dans la «Neuvième Symphonie» de Ludwig van Beethoven

Programme du premier concert du premier festival de Strasbourg

Malheureusement pour l’esprit des lieux, mais heureusement pour le confort des musiciens et des spectateurs, les spectacles symphoniques ne se déroulent plus au Palais des Fêtes. L’épaisseur historique fait donc défaut aux concerts actuels de l’orchestre philharmonique.

En revanche, le chœur de Saint-Guillaume exécute toujours dans l’église éponyme, chaque Vendredi Saint depuis 1894, une Passion de Jean-Sébastien Bach – alternativement Saint-Jean ou Saint-Matthieu – comme le veut la tradition créée par Ernest Munch.


Et l’émotion est bien réelle : l’œuvre y est pour beaucoup, bien évidemment, le moment aussi, qui rend ce concert quasi liturgique – même pour un mécréant - sentiment renforcé par l’absence d’applaudissements finaux ; mais la mémoire des lieux est véritablement palpable, ou plutôt la mémoire des hommes qui ont participé à ces célébrations de Bach et de la Passion du Christ depuis plus d’un siècle : la famille Munch, Albert Schweitzer, qui tînt l’orgue, les choristes anonymes qui se sont succédés, et aussi les générations de spectateurs, fidèles pourrait-on dire.

dimanche, 20 mars 2005

Inachèvements


Dans Bach, dernière fugue, Armand Farrachi, qui ne manque pas d’esprit d’escalier, après avoir mis en parallèle la signature du compositeur et celle du peintre, ose la comparaison entre l’Art de la fugue et une cathédrale, en l’occurrence celle de Beauvais :
«Voici déjà quarante mesures que, dans sa présomption, il a inscrit son nom en quatre notes, et sa pensée y revient comme la langue sur une dent creuse ou branlante. […] Un quatrième thème peut jaillir, puis un cinquième, un sixième, ad perpetuum. […] Un vertige le saisit, à moins que ce ne soit une peur. Où finir ? Quand ? Peut-elle seulement finir ? La main reste levée. Quatre thèmes imbriqués sont-ils encore audible ? Combien s’empileront avant de retourner au chaos ? La dernière fugue - s’il s’agit d’elle – risquerait-elle de tout désagréger à force de tout réunir et de dissoudre l’unité en épisodes ? La confusion mettra-t-elle alors un terme à l’age contrapuntique comme l’écroulement du chœur de la cathédrale de Beauvais, le plus haut jamais construit, en mit un à l’art gothique ?»

Au risque de faire preuve de cuistrerie, je rappelle que la cathédrale de Beauvais a vu l’écroulement de sa tour, la plus haute de la chrétienté, et non celui de son chœur, que l’on peut toujours admirer.

L’idée que Jean-Sébastien Bach n’aurait pas achevé l’Art de la fugue par crainte de voir s’effondrer l’art du contrepoint me paraît par trop romanesque. Cependant, rapprocher cet inachèvement de celui de nombre de cathédrales gothiques ne me semble pas dénué de pertinence.
Cela est confirmé par la lecture de la monumentale, mais néanmoins indispensable monographie d’Alberto Basso :
«Ce n’est pas à une initiation à l’art de la fugue – le Clavier bien tempéré s’était déjà chargé d’en démonter et d’en étaler tous les rouages – mais à une codification supérieure, au plus haut niveau possible, qui, à en juger par le projet envisagé des fugues quadruples, aurait amené le musicien à effleurer les barrières de l’absolu musical.
Bach dut renoncer à y atteindre, non pour avoir présumé de son intelligence, mais pour y avoir été contraint pas la maladie. Comme les superbes ébauches de la cathédrale de Sienne ou de Saint-Pierre de Beauvais, l’Art de la fugue est une cathédrale interrompue – ou peut-être engloutie (engloutie dans l’ordre qui tout catalogue et tout justifie) – mais ce qui reste est avertissement, signal de ce qui aurait dû être, et si grande en est la présence que son inachèvement même est signe de perfection.»

[Où l'on voit qu'Armand Farrachi a lu Alberto Basso, mais l'a compris de travers]

Je ne connais malheureusement pas la cathédrale de Sienne, dont l’inachèvement n’est rien moins que discret, au vu des clichés photographiques.


L’inachèvement de la cathédrale de Beauvais est en revanche trop flagrant – outre l’effondrement de la tour, la nef n’a jamais été construite – pour constituer un parallèle pertinent à celui de l’Art de la fugue.

Pour cela, la cathédrale de Strasbourg me semble parfaite.

Comme chacun sait, l’art gothique a été créé en France. Les premiers projets de façade pour Notre-Dame de Strasbourg s’inspiraient directement des grandes cathédrales d’Ile de France.
Ainsi, au milieu du XIVème siècle, les steckelburjer pouvaient probablement admirer ce chef d’œuvre de l’art français :


Le pouvoir épiscopal ayant été chassé de la ville après la bataille d’Hausbergen, et l’Œuvre Notre-Dame municipalisée, les édiles strasbourgeois sont maîtres de la cathédrale et décident d’édifier un beffroi entre les deux tours :


La perplexité dût être grande devant cette muraille imposante, et rapidement la décision fut prise d’en revenir à un plan à deux tours. Les deniers étant comptés, l’on commença par la tour Nord, qui fut couronnée d’une flèche achevée en 1439. La Renaissance arrive ; les finances manquent ; tout reste en l’état.


L’inachèvement est bien là, avec ce qu’il entraîne de déséquilibre et d’imperfection.

Mais quel signal, quel vertige, quel abîme, quelle élévation !

Quel Art de la fugue !