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vendredi, 02 novembre 2007

Abs[traction] ? Abs[urdité] !

Ce matin, par la grâce de Sylvie Valayre et, surtout, par celle de Franck Ferrari, France Musique s’était muée en Rires et Chansons.
Cependant, ce n’est pas cela qui m’a fait bondir dans ma salle de bain, mais la recension, dans la revue de presse, de l’article du Nouvel Observateur consacré par Jacques Drillon à deux interprètes des Variations Goldberg (Zhu Xiao-Mei et Simone Dinnerstein).
Je suis retourné à la source pour vous livrer cette perle de la plus belle eau, malheureusement ressortissant aux clichés les plus éculés :

« Elle [Simone Dinnerstein] laisse passer des sentiments qui semblaient étrangers à cette musique, la plus abstraite du monde : la tristesse, la tendresse, et même la compassion. »
(c’est moi qui souligne)

Je pense qu’il faut être sourd, et fort sot, pour confondre ainsi la prodigieuse intelligence et la complexité de la construction de l’œuvre avec une quelconque abstraction (de façon générale, à part dans l'Art de la Fugue, et encore, Bach est vraiment très loin de toute abstraction).



L’écoute, par exemple, de la variation 25, si sensible, si frémissante, si tendre et douloureuse à la fois suffit, s’il en était besoin, à dissiper l’image d’un pur esprit imaginant in abstracto de savantes constructions musicales théoriques.


Variation Goldberg XXV par Tatiana Nikolaeva (Live in Stockholm)


15:20 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (1)

samedi, 07 avril 2007

Jamais deux sans... quarante cinq

Dein Jesus ist tot
Alors que Carolyn Sampson chante la douleur de la mort du Christ, accompagnée par les instruments à vent des Folies Françoises, Joël Suhubiette est assis sur un petit banc au pied du chœur de l’église Saint Pierre-du-Martroi ; il ne dirige plus, il écoute. Je ne sais s’il est ému, j’imagine qu’il l’est ; moi, je pleure.
Je suis à la fois bouleversé par la sensibilité de l’interprète, l’affliction du cœur meurtri par la mort du Christ qu’elle fait passer par son chant, et admiratif de son art et de sa technique.
Comme le disait Elisabeth Schwartzkopf, ce n’est que par la maîtrise absolue de sa voix et de ses émotions que les sentiments seront transmis de la partition à l’auditeur, par le truchement de l’interprète. Elle racontait qu’elle s’était laissé déborder une seule fois, dans sa carrière, par les larmes, et qu’elle estimait qu’il s’agissait de l’une de ses plus mauvaises prestations.

Es ist vollbracht
Peu de temps auparavant, pourtant, Gérard Lesne venait de faire la preuve du contraire. Abus de rock, fatigue, ou usure inéluctable du temps, l’alto ne contrôle plus totalement sa voix. Mais son engagement et l’impression qu’il donne de rendre l’âme en même temps que Jésus font que son interprétation est totalement bouleversante (et vous voudrez bien excuser l’abus de superlatifs). Il n’est pas loin de me faire penser au dernier Alfred Deller ( Die, die, die ).


Et que dire de Paul Agnew, qui interprète à la fois un évangéliste complètement concerné par le drame qu’il raconte et les airs de ténor d’une façon magnifique (un vrai ténor français, nonobstant sa nationalité). Je n’aurai garde d’oublier Stephan Imboden, qui cumule, lui aussi, le rôle de Jésus, chanté de façon très sobre et impressionnante, et les airs de basse avec une grande virtuosité (Eilt nach Golgatha) et une puissance non dénuée de sensibilité.

L’orchestre des Folies Françoises, d’une parfaite justesse (mais que l’accord fut long !) et d’une belle sonorité, et le chœur de l’ensemble Jacques Moderne (quel beau pupitre de ténors !) contribue à la grande réussite de cette soirée, le maître d’œuvre en étant Joël Suhubiette, dont la direction puissante et vive, tout en restant parfaitement claire, met en avant une affirmation très forte de la foi, sans alanguissement inutile (l’impressionnant choral final étant exemplaire à cet égard), mais sachant faire preuve de retenue quant il faut (Zerfliesse mein Herze, encore une fois).

Outre que ce fut la seule des trois Johannes-Passion entendues depuis trois semaines en situation (le soir du Vendredi Saint), je ne regrette donc pas mon déplacement à Orléans, qui avait été motivé à l’origine par l’excellent souvenir que m’avait laissé Joël Suhubiette dans la Messe en si l’année dernière à Saint-Roch.

Parisiens, précipitez-vous ce soir au Théâtre des Champs-Élysées pour la reprise de cette Passion, vous ne le regretterez pas.


La Passion selon saint Jean BWV 245, de Johann Sebastian Bach. Avec Paul Agnew, Carolyn Sampson, Gérard Lesne, Stephan Imboden, Orchestre des Folies Françoises (Patrick Cohën-Akenine, Konzertmeister) et Chœur de l’ensemble Jacques Moderne, Joël Suhubiette (direction). Eglise Saint Pierre-du-Martroi Orléans. Vendredi 6 avril 2007.

samedi, 31 mars 2007

Herr Bach, ich will dich preisen ewiglich !

Moins que Bob Wilson (dont j’avais adoré Orlando avec Isabelle Huppert), et même moins que Lucinda Childs (qui m’avait laissé indifférent dans la Maladie de la Mort avec Michel Piccoli, toujours mis en scène par Bob Wilson), c’est Emmanuelle Haïm qui m’avait incité, en début de saison, à ne pas prendre de place pour la Passion selon Saint-Jean au théâtre du Châtelet. J’avais en effet trouvé sa direction parfaitement soporifique dans Tamerlano, et d’autre part son Orfeo, si loué par la critique qu’il soit, m’a semblé tout à fait ennuyeux. Je crois que mes a priori négatifs ont dû d’ailleurs intoxiquer Bladsurb !

Mais en farfouillant sur Ibai, je suis tombé sur deux places on ne peut mieux placées à un prix défiant toute concurrence pour la représentation d’hier soir (et j’en remercie grandement le vendeur). La Passion selon Saint-Jean étant une de mes œuvres favorites (je suis de plus en plus bouleversé par cette musique), j’ai sauté sur l’occasion.
Bien m’en a pris, car ce fut un spectacle magnifique.

Evidemment, Bob Wilson wilsonise, utilisant son répertoire habituel, mais il y aurait mauvaise grâce à le lui reprocher, tant son univers est très personnel et très fort ; si personnel et si fort que certains lui font le procès de ne pas se renouveler, ce qui est faux, à mon avis. Il est vrai que les parti-pris wilsoniens sont plus ou moins cohérents avec l’œuvre qu’il met en scène, mais en l’occurrence l’adéquation me semble très satisfaisante.
En effet, la Passion selon Saint-Jean n’est pas un opéra – malgré le drame, les arias, les dialogues entre les protagonistes de l’action – car l’évangile johannique, qui est omniprésent, dans son intégrité et son intégralité, n’est pas conçu dans un objectif de progression et d’efficacité dramatique, non plus que la présence d’un narrateur (« Jésus dit », « Pilate répond » und so weiter) imposé par le respect scrupuleux du texte.
Aussi, les images hiératiques et intemporelles de Bob Wilson conviennent parfaitement à la hauteur de vue de Bach – si l’on accepte le principe d’une représentation, bien sûr, ce à quoi personne n’est tenu, tant cette musique se suffit à elle-même – , suggérant plutôt que montrant, arrêtant le geste avant qu’il ne soit trop démonstratif, et le symbole avant qu’il ne soit trop évident (pas de croix, mais presque).
Le contrepoint de Lucinda Childs apporte peu, mais n’est vraiment superfétatoire que dans le dialogue entre Pilate et le chœur où son agitation apparaît bien inutile.


Musicalement, Emmanuelle Haïm est aux antipodes de Frans Brüggen, entendu la semaine dernière.
En incise, je note que j’ai lu les quelques recension de la première représentation de la Passion haïmienne et wilsonnienne (mercredi dernier), et que j’ai vraiment l’impression de n’avoir ni vu ni entendu la même chose.
Autant Brüggen était dans l’épure et la retenue, faisant de la Passion une grande déploration introspective sur la mort du Christ, sans théâtre, mais non sans drame, concentré dans les récits, autant Haïm est dans le registre de l’expressivité. C’est elle qui m’a le plus surpris, dès les premières notes, car c’est d’elle que j’attendais le moins, et sa direction souple et dynamique, avec une belle pulsation, m’a vraiment plu.
Le choix des chanteurs participe à cette optique lyrique, tous ayant un timbre chaleureux, et une voix vibrante, les plus représentatifs étant à cet égard Emma Bell (soprano) et Luca Pisaroni (Jésus). A noter l’impressionnant Pilate de Simon Kirkbride et la superbe basse Christian Gerhaher (époustouflant Betrachte, mein Seel). Je serai plus réservé quant au ténor encore un peu vert Finnur Bjarnason (mais s’intégrant parfaitement dans la conception d’ensemble), et dubitatif quant à Andreas Scholl (que je n’avais jamais entendu) qui a un timbre curieux et une projection limitée, mais dont l’air Es ist vollbracht était émouvant au plus haut point.
Il n'y aurait naturellement pas de Passion sans Evangéliste. Pavol Breslik n'est certes pas dans la lignée des Helden-évangélistes, mais il vit et transmet le drame de la Passion avec beaucoup d'intensité (et de voix de tête) et d'expressivité.
Le chœur était à l’unisson, moins précis que d’autres, mais plus lyrique et très expressif (et capable de remarquables nuances), et l’orchestre absolument splendide (sur ce point, je ne comprend absolument pas les critiques qui ont trouvé le Concert d’Astrée médiocre), coloré et virtuose.

Beaucoup d’émotions, et quelques larmes !


La Passion selon saint Jean BWV 245, de Johann Sebastian Bach. Avec Luca Pisaroni, Pavol Breslik, Emma Bell, Andreas Scholl, Finnur Bjanarson, Christian Gerhaher, Simon Kirkbride, Robert Wilson (mise en scène, décors et lumières), Frida Parmeggiani (costumes), Lucinda Childs (chorégraphie et danse), Orchestre et Choeur du Concert d'Astrée, Emmanuelle Haïm (direction). Théâtre du Châtelet. Vendredi 30 mars 2007.

samedi, 24 mars 2007

La pluie et la neige tombent du ciel

Après la Passion selon Saint-Jean mercredi soir, me voilà de retour à Saint-Roch pour écouter Sigiswald Kuijken, sa Petite Bande et quelques chanteurs (Siri Thornhill, Petra Noskaoiva, Marcus Ullmann, Jan van der Crabben) dans trois cantates de Jean-Sébastien Bach (la BWV 22 ayant disparu du programme). Deux voyages successifs depuis Chartres, c’est un peu trop, mais les cantates ne sont pas souvent jouées, et je ne voulais pas manquer cela.
Comme à son habitude, Kuijken commence par une petite introduction destinée d’une part à situer les œuvres dans le temps liturgique (avant le carême pour les BWV 18 et 23, lors de l’annonciation pour la BWV 1 (en forme de cantate festive de Noël)) et d’autre part à présenter, rapidement, sa marotte actuelle, le violoncello da spalla, avec lequel il joue les sonates pour violoncelle seul. N’ayant pas le temps de faire un exposé musicologique détaillé, il demande aux spectateurs de le croire sur parole, sachant que de toutes les façons, il a raison.
Kuijken n’aime pas les compromis : aucun de ses instrumentistes à cordes n’a de mentonnière, les cors naturels n’ont pas le moindre soupçon de trous, les effectifs sont réduits (une voix par pupitre pour le chœur). Il ne va cependant pas jusqu’à choisir des enfants pour les vois de soprano et d’alto, car il est aussi réaliste, je suppose.

Trois belles cantates, très variées, qui mettent bien en évidence le génie multiforme de Bach, entre la litanie venue du fond des ages du BWV 18/3, le duo soprano/alto pergolésien du BWV 23/1, le chœur d’entrée de la cantate-choral BWV 1 et les airs da capo tout droit sortis des opéras que n’a pas écrits le Cantor de Leipzig.


Très belle qualité et homogénéité instrumentale et vocale, superbe sonorité d’ensemble, avec notamment les savoureuses couleurs des instruments à vent (très beaux cors naturels).
Je reprocherai cependant, histoire de chipoter, à Kuijken un certain manque de nerf, assez sensible dans les BWV 18 et 22, en particulier dans les récits de la basse. Il s’agit moins, de mon point de vue, de tempo, d’articulation ou d’accentuation que d’un léger manque de soutien.

Heureux de ma soirée, je m’en retournai ensuite, dans la nuit froide, vers mes pénates, non sans une discussion de A. à Z. Je dois bien avouer que la journée de vendredi fut difficile !

jeudi, 22 mars 2007

La Passion selon Frans et Markus

Quand Frans Brüggen, mercredi soir, pénètra dans la croisée du transept de l’église Saint-Roch, où étaient installés les musiciens – l’orchestre du XVIIIe siècle, la Cappella Amsterdam, Markus Schäffer (l’évangéliste), Thomas Oliemans (Jésus), Nele Gramss (soprano), Patrick van Goethem (alto), Marcel Beeckman (ténor), Geert Smits (basse) – c’est un spectre qui apparût, revenu me hanter depuis l’église Saint-Paul de mes vingt ans.


Il avait choisi de remettre une nouvelle fois sur le métier Jean-Sébastien Bach, et sa Passion selon Saint-Jean. C’est une œuvre totalement géniale, est-il besoin de le dire ; les chœurs de foule (les juifs, les grands prêtres…) sont particulièrement étonnants (je dirais volontiers « modernes » si cela avait un sens), et toute la fin (depuis Es ist vollbracht jusqu’au choral final, en passant par Mein teurer Heiland (et son Ja), Zerfliesse mein Herze et le chœur Ruht wohl, Ihr Heiligen Gebeine) est d’une telle intensité et d’une telle beauté qu’elle m’en devient presqu’insupportable, et qu’il me faut toujours un certain temps pour m’en remettre (d’autant plus que le public de Saint-Roch a justement fait durer le silence après la dernière note).
Le compositeur a largement développé le récit évangélique, avec de nombreuses interventions de l’évangéliste et de Jésus, bien sûr, mais aussi beaucoup de répliques d’autres protagonistes secondaires, notamment Pilate. Brüggen traite ces passages de façon très dramatique et expressive, aidé en cela par un remarquable chanteur, Markus Schäffer, digne hériter de toute la tradition de ténors allemands ayant interprété le rôle, Ernst Haefliger par exemple, pour fixer les idées (Ernst Haefliger qui vient de disparaître).

En contraste avec ce dramatisme, Brüggen a dirigé le reste de l’œuvre à la pointe sèche, et du bout des doigts (désolé, mais je crois bien que je ne sais parler de la musique que par image !), avec beaucoup de legato, de douceur et de retenue, plutôt vif dans les chorals, et plus lent dans les airs, mais sans aucun pathos ni épanchement.
Les solistes, globalement bons, se sont intégrés de manière cohérente dans cette conception, la seule faiblesse étant l’alto (souffle court, vocalisation laborieuse, aigus difficiles). Celui-ci s’est quand même honorablement tiré de son air, central s’il en est, Es ist vollbracht, le chef en ayant fait une véritable épure.

Emblématiques de la vision de Brüggen, les deux grands chœurs d’entrée et de fin, avant la méditation finale en forme de choral, véritables portiques encadrant l’œuvre, ont été traités par le chef dans une sorte de renversement de perspective ; Herr, unser Herrscher comme une berceuse, dans la résignation de la crucifixion, tout en nuance et en douceur (sauf dans la dernière reprise en un contraste saisissant) ; Ruht wohl vif et nerveux, dans l’impatience de la résurrection, avant un ralentissement en forme de déploration, assurant la transition vers la supplique finale Ach Herr, lass dein lieb Engelein.

Retour à Saint-Roch ce soir, pour quatre cantates de Bach par Sigiswald Kuijken.

Ce billet publié le lendemain du concert peut sembler en contradiction avec la note précédente, a été en fait été rédigé sur le vif dans le train du retour, ceci expliquant peut-être cela.

jeudi, 03 août 2006

Une soirée en boîte avec Bach

La « Boîte à musique » de Jean-François Zygel semble faire l’unanimité, et il est vrai que cette émission présente des qualités, principalement celles de son animateur, en particulier un talent incontestable de communicateur ; mais pour communiquer quoi ?
Je dois en effet bien avouer que je n’ai pas été convaincu du tout.
D’une part, l’invité issu du domaine de la variété est assez mal intégré au dispositif, un cheveu sur la soupe, en quelque sorte (cela est assez largement reconnu).
D’autre part, et surtout, la volonté pédagogique et de vulgarisation qui est manifestement à l’œuvre nécessite un discours clair, simple et juste, c’est-à-dire que deux ou trois idées fortes doivent être exposées et argumentées. Or, il m’a semblé qu’il s’agissait plus de simplisme que de simplicité en l’occurrence, et souvent le fil de la pensée est perdu au fur et à mesure que des extraits, trop courts, sont donnés.
L’émission consacrée à Bach (avec Emilie Simon, que j’ai trouvé très émouvante) m’a spécialement énervée, par sa litanie de lieux communs et quelques graves erreurs, qui créent le doute sur le sérieux de l’animateur. J’en cite quatre :

« Bach était piétiste et doloriste » : bon, j’imagine bien que cette question n’intéresse que peu de personnes, mais Bach n’était certainement pas piétiste, car le piétisme réduisait la musique à l’église à la portion congrue. C’est la raison majeure de son départ de Mülhausen, un an seulement après sa nomination. Ce n’est pas un détail, et de toute manière la simplicité et la pédagogie n’exclut pas la précision et l’exactitude.

Plan de Leipzig en 1720

« Contrairement à l’Allemagne du Nord, l’opéra était interdit à Leipzig et dans sa région » : c’est complètement faux. L’opéra à Leipzig a fermé peu avant l’arrivée de Bach pour des raisons financières. Et à Dresde, capitale de l’électorat de Saxe dont faisait partie Leipzig, et où Bach se rendait souvent, existait un très important opéra (avec notamment le célèbre Hasse il caro sassone (qui n’avait rien de saxon, puisqu’il était né près de Hambourg)). De plus, Bach a composé, dans ses cantates, tellement de magnifiques aria da capo dans le style de l'opera seria, qu’il me semble bien inutile de se poser la question de savoir ce qu’il aurait pu écrire s’il avait eu un théâtre à sa disposition.

« Bach n’était pas de son temps » : c’est absurde, et démontre une connaissance superficielle de la musique de Bach. Certes, à la fin de sa vie, il s’est replié sur des œuvres spéculatives et le contrepoint, dans une sorte de refus du monde tel qu’il allait. Mais auparavant, sa connaissance de la musique de toute l’Europe, italienne et française en particulier, sa curiosité et ses connaissances encyclopédiques, font de Bach un homme absolument de son époque. Il suffit d’écouter ne serait-ce que ses concertos pour s’en convaincre dès la première note.

Et le meilleur pour la fin. Remarquant à juste titre que la musique de Bach résiste à tout (même au marimba), JF Zygel affirme que la raison pourrait en être que, confronté à de mauvais musiciens, le compositeur devait écrire une musique très solide pour pouvoir supporter de médiocres interprétations.
En premier lieu, cela n’explique pas pourquoi la musique de Bach résiste, mais pour quelle raison.
En deuxième lieu, il est erroné de dire que les instrumentistes que Bach avait à sa disposition n’étaient pas satisfaisants. Il s’est beaucoup plein des élèves de Saint Thomas, qui n’étaient pas assez nombreux pour les chœurs et pas assez bons musiciens. En revanche, il utilisait dans son orchestre, tant pour les cantates que pour les concerts du Collegium musicum au café Zimmermann, des solistes de haut niveau, soit des amis de passage, ou encore ses fils, ou bien des étudiants de l’université. Il suffit de voir la virtuosité que le compositeur exigeait de ses interprètes pour se rendre compte de l’inanité de l’affirmations de Zygel.

Bon, en fait, je ne voulais pas faire si long et être aussi critique (je vais encore passer pour un ratiocineur). Mais je trouve vraiment regrettable que sous couvert de vulgarisation, l'on propage des clichés et l'on énonce des erreurs.
C'est aussi pour moi un incitation à apporter ma réponse, si longtemps différée, à la question « Pourquoi Bach résiste à tout » (bientôt).

15:45 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (9)

jeudi, 18 mai 2006

Chocolat et Marzipan

Le Mozartkugel, créé en 1890 par Paul Fürst, tire sa légitimité de son origine, Salzbourg, lieu de naissance du compositeur.


Mais qu’en est il du Bachwürfel, imaginé par les héritiers de Paul Fürst à l’occasion de la célébration du trois-centième anniversaire du divin thuringien ?
Le marketing est décidément bien du côté d’Hermogène.

Je fus néanmoins touché que l’on ait pensé à moi pendant ce séjour tyrolien.

17:50 Publié dans Bach, Brève | Lien permanent | Commentaires (4)

jeudi, 11 mai 2006

L'ordre et la courbe, la Messe en si à Saint Roch

Restant fidèle à la ligne éditoriale de ce blogue, toute entière dans son nom, je reviens aujourd’hui, bien après les recensions qu’en ont faites Zvezdo et Martin Lothar, sur la superbe exécution de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach par le chœur Les Elements, l’ensemble Jacques Moderne, le Café Zimmermann et les solistes (Anne Magouët, Thomas Bauer, Stephan van Dick, Pascal Bertin) dirigés par Joël Suhubiette, en l’église Saint-Roch à Paris le 26 avril dernier.


Comme beaucoup d’œuvre composées pendant ses dernières années, la Messe en si est un manifeste et une synthèse des connaissances musicales et théologiques accumulées par Jean-Sébastien Bach. Elle a d’autant plus ce caractère qu’elle n’a pas, contrairement aux autres grands monuments ultimes (l’Art de la fugue, les Variations Goldberg, les Variations canoniques, l’Offrande musicale), été écrite pour clavier (orgue ou clavecin (en partie pour l’Offrande musicale)), et que le compositeur a usé pour sa composition du réemploi d’œuvres antérieures, technique qui lui a été familière tout au long de sa vie (seul une partie du Credo est originale de ce point de vue).

Dénuée de toute fonction liturgique de par sa longueur, la Messe en si n’en est pas moins construite comme un discours centré sur les souffrances du Christ, et en cela est éminemment baroque. Cette inscription dans la rhétorique baroque était particulièrement bien mise en évidence par les interprètes de Saint-Roch, du fait de leur attention aux mots et aux affects, de leur expressivité fondée sur les timbres, le rythme, les accents, les phrasés. Cet éclairage faisait apparaître comme rarement la géniale appropriation par Bach de tous les styles de son époque (pour faire simple, de la plus sévère polyphonie à l’aria da capo la plus lyrique), et leur fusion au service d’une œuvre cohérente (on retrouve le même caractère fusionnel dans les Goldgerg). Cohérence, oui, car à aucun moment on ne ressent l’impression de morceaux disparates juxtaposés, ou d’une discordance entre deux manières d’écrire.

Nous sommes, avec la Messe en si, devant un grand tout, un grand monument baroque, avec ses piliers – les chœurs imposants –, et ses volutes – les arias expressives. L’ordre et la courbe, au cœur de la dialectique baroque, au cœur de la Messe en si, au cœur de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, tout aussi bien.


L’ordre et la courbe, comme la façade de Saint Roch.

lundi, 13 mars 2006

Bach, précurseur de la forme sonate

(Gilles Cantagrel évoque le second livre du Clavier bien tempéré)

Dans le genre de l'invention à deux ou trois voix, dix sur les vingt-quatre préludes du Second Livre présentent une structure bipartite, parfois identifiée par une barre de reprise [...].
Dans la deuxième section, généralement plus importante que la première, il arrive même que Bach imagine une réexposition du motif initial - préludes n°5 ( majeur), 12 (fa mineur), 21 (si bémol majeur) -, en quoi il peut apparaître comme l'un des précurseurs de la forme sonate.
Le Moulin et la Rivière - Gilles Cantagrel

13:50 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (10)

jeudi, 09 mars 2006

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg

Sans doute pour en rester au chiffre emblématique de 32 pages, Jean-Sébastien Bach n’a pas repris in extenso l’aria à la fin de l’édition des Variations Goldberg imprimée par ses soins en 1741. Il termine par l’indication « Aria da capo e fine ».


Cette reprise est cependant essentielle à l’équilibre de l’œuvre – arche, miroir. Mais il y a bien au delà de ces préoccupations formelles.
Après l’exposition de l’aria, l’auditeur est invité à un grand voyage ; voyage dans le temps, des formes anciennes héritées de Buxtehude jusqu’à la vocalité italienne la plus moderne ; voyage dans l’espace des goûts réunis, France, Italie, Allemagne, et même l’Espagne de Scarlatti ; voyage en profondeur dans l’expérience accumulée de toute une vie, une vie de savant et de théoricien, mais aussi une vie de rhétoricien, d’homme de foi et de culture, homme de la jouissance sonore, enfin, amateur de plaisirs simples et populaires.
Et ce voyage s’achève par cette étonnante trentième variation en forme de Quodlibet sur deux chansons populaires (des choux et des navets), à la fois une sorte de vanité, un hommage aux traditions de la famille Bach, une démonstration de son art, et un clin d’œil humoristique.


La fin du voyage ? Pas tout à fait, car voilà le retour de l’aria. Et ce retour est déchirant : ce sont exactement les mêmes notes, mais un monde d’émotions, d’étonnements, d’éblouissements, de larmes parfois, de pensées vagabondes les séparent de l’énonciation initiale. Les mêmes notes, mais rien n’est plus semblable, la mémoire s’est enrichie de trente variations, dont les souvenirs et les traces s’imposent à l’auditeur.

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg, comme Pierre Ménard, auteur du Quichotte.

10:50 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (11)