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dimanche, 10 avril 2005

Cartes postales


Un échange dans les commentaires de Montbrison m’apprend, alors que j’aurai dû le savoir depuis longtemps, que Henry Jean-Marie Levet est né dans cette «sous-préfecture de la Loire, au pied des monts du Forez : maisons anciennes, industries mécaniques, bonneterie, fabrique de jouets». Je lis peu les préfaces, de ce fait les origines foréziennes de Levet m’ont échappé alors qu’elles sont indiquées dès la première page du texte de présentation de Michel Bulteau figurant dans mon édition des Cartes postales parue à la Table ronde en 1993.


Malheureusement, je ne connais pas la Conversation à l’intérieur d’une limousine en marche sur la route nationale entre Montbrison et Saint-Etienne, le 2 Mars 1911 que tinrent Valery Larbaud et Léon-Paul Fargue au retour d’une visite aux parents d’Henri Jean-Marie, alors décédé depuis cinq ans, et qui sert de préface à certains recueils des Cartes postales, mais pas au mien.

Je ne résiste pas au plaisir de transcrire ici quelques extraits, qui me ravissent par le parfum que dégagent les noms, des villes et des contrées, des personnes et des navires.

British India
A Rudyard Kipling

Les bureaux ferment à quatre heures à Calcutta;
Dans le park du palais s'émeut le tennis ground;
Dans Eden Garden grince la musique épicée des cipayes;
Les équipages brillants se saluent sur le Red Road...

Sur son trône d'or étincelant de rubis et d'émeraudes,
S.A. le Maharadjah de Kapurthala
Regrette Liane de Pougy et Cléo de Mérode
Dont les photographies dédicacées sont là...

- Bénarès, accroupie, rêve le long du fleuve;
Le Brahmane, candide, lassé des épreuves,
Repose vivant dans l'abstraction parfumée...

- A Lahore, par 120 degrés Fahrenheit,
Les docteurs Grant et Perry font un match de cricket,-
Les railways rampent dans la jungle ensoleillée...

Outwards
A Francis Jammes

L'Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’Océan Indien…
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main.

- Miss Roseway, qui se rend à Adelaïde,
Vers le Sweet Home au fiancé australien,
Miss Roseway, hélas, n’a cure de mon spleen,
Sa lorgnette sur les Laquedives, au loin…

- Je vais me préparer – sans entrain ! – pour la fête
de ce soir : sur le pont, lampions, danses, romances
(Je dois accompagner miss Roseway qui quête
- Fort gentiment – pour les familles des marins
Naufragés !) Oh, qu’en une valse lente, ses reins
A mon bras droit, je l’entraîne sans violence

Dans un naufrage où Dieu reconnaîtrait les siens…



République argentine
La Plata
A Ruben Dario

Ni les attraits des plus aimables Argentines,
Ni les courses à cheval dans la pampa,
N’ont le pouvoir de distraire de son spleen
Le Consul général de France à la Plata !

On raconte tout bas l’histoire du pauvre homme :
Sa vie fut traversée d’un fatal amour,
Et il prit la funeste manie de l’opium ;
Il occupait alors le poste à Singapoore...

– Il aime à galoper par nos plaines amères,
Il jalouse la vie sauvage du gaucho,
Puis il retourne vers son palais consulaire,
Et sa tristesse le drape comme un poncho...

Il ne s’aperçoit pas, je n’en suis que trop sûr,
Que Lolita Valdez le regarde en souriant,
Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure
Ravagée par les fièvres d’Extrême-Orient...

Afrique occidentale
A Léon-Paul Fargue

Dans la véranda de sa case, à Brazzaville,
Par un torride clair de lune congolais
Un sous-administrateur des colonies
Feuillette les « Poésies » d’Alfred de Musset...

Car il pense encore à cette jolie Chilienne
Qu’il dut quitter en débarquant, à Loango...
– C’est pourtant vrai qu’elle lui dit « Paul je vous aime »,
À bord de la Ville de Pernambuco.

Sous le panka qui chasse les nombreux moustiques
Il maudit « ce rivage où l’attache sa grandeur »,
Donne un soupir à ses amours transatlantiques,
Se plaint de la brusquerie de M. le Gouverneur,
Et réprouve d’une façon très énergique
La barbarie des officiers envers les noirs...

Et le jeune et sensitif fonctionnaire
Tâche d’oublier et ferme les yeux...

« Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère... ? »


Egypte – Port Saïd
En rade

A Gabriel Fabre

On regarde briller les feux de Port-Saïd,
Comme les Juifs regardaient la Terre Promise ;
Car on ne peut débarquer ; c’est interdit
– Paraît-il – par la Convention de Venise

À ceux du pavillon jaune de quarantaine.
On n’ira pas à terre calmer ses sens inquiets
Ni faire provision de photos obscènes
Et de cet excellent tabac de Latakieh...

Poète, on eût aimé, pendant la courte escale
Fouler une heure ou deux le sol des Pharaons,
Au lieu d’écouter miss Florence Marshall
Chanter « The Belle of New York » au salon.



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Invitation, sinon au voyage, du moins à la rêverie

Commentaires

Ah Levet ! On en parle bien peu... Et pourtant...

Écrit par : Rubempre | mardi, 26 avril 2005

Je suis Montbrisonnais et fier de mes origines.
Et pourtant quelle description crépusculaire et pathétique a été faite de Léon Paul Fargue et Valéry de leur viste auprès des parents de ce "poète consulaire" dont la diplomatie avait été son talon d'Achille.
D'ailleurs aimait il y revenir après ses nombreuses escales comme si les éclats de ces voyages trouvaient en ce lieu discret la réflexion indispensable.
A titre d'information, vous pourrez trouver cette conversion dans les collections poésie éditées par Gallimard qui a publié ces fameuses cartes postales.
J'aurais beaucoup de mal à en parler car le talent me manque. Tout commentaire de ma part ne viendrait qu'affadir l' impression de charme dont on retire de la lecture de es courts textes qui viennent pourtant combler, par leur mélancolie diffuse, nos existences en déshérences.
Derrière l'ambition et le luxe qu'il a toujours voulu approchés sans jamais les atteindre, tous ces voyages, tel un Ulysse bleu déteint, ne sont que des détours qui le ramènent immanquablement à la certitude désolée que nos vies nous éhappent quelque soit l'ardeur que l'on veut bien y mettre.
Je me rappelle au regret d'Alain dans le "Feu follet "de Drieu la Rochelle: "Je voudrait toucher les gens ." Henry J-M Levet a t il connu ce même sentiment impuissance mais qu'il transmute en Grâce sous le soleil implacable de contrées exotiques.

Écrit par : laffay | jeudi, 03 août 2006

Oh! un montbrisonnais !
(quoique stéphanois d'origine, je dois bien avouer n'avoir (presque) jamais mis les pieds à Montbrison)

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 04 août 2006

De l'art d'en revenir au soleil levant...

(Ces poèmes m'avaient échappé. (La "Conversation" est reproduite dans l'édition NRF-Poésie.))

Écrit par : Guillaume Cingal | dimanche, 13 mai 2007

Je n’avais jamais entendu parler de Henry J-M Levet. Mais il me plaît beaucoup. La merveilleuse légèreté de ses images—il n’appuie jamais trop fort, et ne s’attarde jamais trop longtemps sur une idée ou une image, à la manière de Hugo. Il passe rapidement d’une chose à l’autre. Levet me fait penser à Frank O’Hara, le poète américain. Ils ont, tous deux, une légèreté et une rapidité qui paraissent faciles, mais qui ne le sont pas. C’est dans le Valery Larbaud de Bernard Delvaille (Poètes d’aujourd’hui) que j’ai premièrement entendu parler de Levet, et c’est en lisant les quelques strophes citées par Delvaille que je me suis dis, ah, mais il est fantastique, ce Levet !

Écrit par : Guy Gauthier | jeudi, 21 juin 2007