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samedi, 31 mars 2007

Herr Bach, ich will dich preisen ewiglich !

Moins que Bob Wilson (dont j’avais adoré Orlando avec Isabelle Huppert), et même moins que Lucinda Childs (qui m’avait laissé indifférent dans la Maladie de la Mort avec Michel Piccoli, toujours mis en scène par Bob Wilson), c’est Emmanuelle Haïm qui m’avait incité, en début de saison, à ne pas prendre de place pour la Passion selon Saint-Jean au théâtre du Châtelet. J’avais en effet trouvé sa direction parfaitement soporifique dans Tamerlano, et d’autre part son Orfeo, si loué par la critique qu’il soit, m’a semblé tout à fait ennuyeux. Je crois que mes a priori négatifs ont dû d’ailleurs intoxiquer Bladsurb !

Mais en farfouillant sur Ibai, je suis tombé sur deux places on ne peut mieux placées à un prix défiant toute concurrence pour la représentation d’hier soir (et j’en remercie grandement le vendeur). La Passion selon Saint-Jean étant une de mes œuvres favorites (je suis de plus en plus bouleversé par cette musique), j’ai sauté sur l’occasion.
Bien m’en a pris, car ce fut un spectacle magnifique.

Evidemment, Bob Wilson wilsonise, utilisant son répertoire habituel, mais il y aurait mauvaise grâce à le lui reprocher, tant son univers est très personnel et très fort ; si personnel et si fort que certains lui font le procès de ne pas se renouveler, ce qui est faux, à mon avis. Il est vrai que les parti-pris wilsoniens sont plus ou moins cohérents avec l’œuvre qu’il met en scène, mais en l’occurrence l’adéquation me semble très satisfaisante.
En effet, la Passion selon Saint-Jean n’est pas un opéra – malgré le drame, les arias, les dialogues entre les protagonistes de l’action – car l’évangile johannique, qui est omniprésent, dans son intégrité et son intégralité, n’est pas conçu dans un objectif de progression et d’efficacité dramatique, non plus que la présence d’un narrateur (« Jésus dit », « Pilate répond » und so weiter) imposé par le respect scrupuleux du texte.
Aussi, les images hiératiques et intemporelles de Bob Wilson conviennent parfaitement à la hauteur de vue de Bach – si l’on accepte le principe d’une représentation, bien sûr, ce à quoi personne n’est tenu, tant cette musique se suffit à elle-même – , suggérant plutôt que montrant, arrêtant le geste avant qu’il ne soit trop démonstratif, et le symbole avant qu’il ne soit trop évident (pas de croix, mais presque).
Le contrepoint de Lucinda Childs apporte peu, mais n’est vraiment superfétatoire que dans le dialogue entre Pilate et le chœur où son agitation apparaît bien inutile.


Musicalement, Emmanuelle Haïm est aux antipodes de Frans Brüggen, entendu la semaine dernière.
En incise, je note que j’ai lu les quelques recension de la première représentation de la Passion haïmienne et wilsonnienne (mercredi dernier), et que j’ai vraiment l’impression de n’avoir ni vu ni entendu la même chose.
Autant Brüggen était dans l’épure et la retenue, faisant de la Passion une grande déploration introspective sur la mort du Christ, sans théâtre, mais non sans drame, concentré dans les récits, autant Haïm est dans le registre de l’expressivité. C’est elle qui m’a le plus surpris, dès les premières notes, car c’est d’elle que j’attendais le moins, et sa direction souple et dynamique, avec une belle pulsation, m’a vraiment plu.
Le choix des chanteurs participe à cette optique lyrique, tous ayant un timbre chaleureux, et une voix vibrante, les plus représentatifs étant à cet égard Emma Bell (soprano) et Luca Pisaroni (Jésus). A noter l’impressionnant Pilate de Simon Kirkbride et la superbe basse Christian Gerhaher (époustouflant Betrachte, mein Seel). Je serai plus réservé quant au ténor encore un peu vert Finnur Bjarnason (mais s’intégrant parfaitement dans la conception d’ensemble), et dubitatif quant à Andreas Scholl (que je n’avais jamais entendu) qui a un timbre curieux et une projection limitée, mais dont l’air Es ist vollbracht était émouvant au plus haut point.
Il n'y aurait naturellement pas de Passion sans Evangéliste. Pavol Breslik n'est certes pas dans la lignée des Helden-évangélistes, mais il vit et transmet le drame de la Passion avec beaucoup d'intensité (et de voix de tête) et d'expressivité.
Le chœur était à l’unisson, moins précis que d’autres, mais plus lyrique et très expressif (et capable de remarquables nuances), et l’orchestre absolument splendide (sur ce point, je ne comprend absolument pas les critiques qui ont trouvé le Concert d’Astrée médiocre), coloré et virtuose.

Beaucoup d’émotions, et quelques larmes !


La Passion selon saint Jean BWV 245, de Johann Sebastian Bach. Avec Luca Pisaroni, Pavol Breslik, Emma Bell, Andreas Scholl, Finnur Bjanarson, Christian Gerhaher, Simon Kirkbride, Robert Wilson (mise en scène, décors et lumières), Frida Parmeggiani (costumes), Lucinda Childs (chorégraphie et danse), Orchestre et Choeur du Concert d'Astrée, Emmanuelle Haïm (direction). Théâtre du Châtelet. Vendredi 30 mars 2007.

Commentaires

Intoxiqué sans doute, mais pas que par toi !
Par Harnoncourt chez Teldec, pour sa version du choeur introductif si puissant, qu'il m'aspire vertigineusement ; impression absolument pas ressentie au Châtelet.
Par le Ring de l'an dernier, où j'avais globalement bien apprécié les mises en scène de Wilson, et revoir tant de constantes, les costumes interchangeables, le même genre de fond lumineux, la gestion des déplacements, etc, quand tous ces artifices faisaient un contrepoint à Wagner qui en facilitait l'absorbtion, cela m'a bloqué chez Bach, m'empêchait d'entendre certains passages en les parasitant.
Par des souvenirs du Wintermärchen de Boesmans, où m'avait beaucoup plu un role muet chorégraphié par Lucinda Childs (mais non dansé par elle), si bien que j'attendais de bonnes surprises de sa participation à ce spectacle.
Mais bon. Pour les prochaines Passions (je n'ai pour l'instant vu qu'une fois la Matthaus, et une fois la Johannes !), je devrais me contenter de versions plus "low profile", sans mise en scène, afin de mieux apprécier l'étendue des interprétations possibles.

Écrit par : Bladsurb | samedi, 31 mars 2007

Pour en rester uniquement au choeur d'entrée, il y a vraiment mille et une manières de l'envisager (c'est un des signes d'un chef d'oeuvre), et il serait fort dommage que parce que tu as été impressionné par Harnoncourt, tu ne puisses plus apprécié d'autres visions : dans ce cas, tu aurais été fort déçu par Brüggen qui le joue comme une berceuse, je l'ai déjà dit (dans le style impressionant, je conseillerai Peter Schreier).
Si tu es à Paris le week-end prochain, la St-Jean de Joël Suhubiette promet d'être intéressante (je vais essayer de la voir à Orléans).

Écrit par : Philippe[s] | dimanche, 01 avril 2007

Mer ci pour ce conseil : zou, place prise.

Écrit par : Bladsurb | dimanche, 01 avril 2007

... et pas moins de 23 occurrences de Bob Wilson dans les 1600 pages du *Journal de Travers* !

*******
Au disque, quelle(s) version(s) de la Johannes-Passion recommanderais-tu ? J'aurais tendance, en suivant des inclinations dont tu sais qu'elles émanent d'un inculte, à aller soit vers Richter soit vers Koopman, donc vers deux interprétations que j'imagine très différentes...

Écrit par : Guillaume | dimanche, 01 avril 2007

Guillaume, ce n'est pas une question facile, car il y a beaucoup de (bonne) version de la St-Jean mais avec des points de vue d'interprétation différents, qui peuvent ou non correspondre à la sensibilité de chacun.
Pour une version romantique, je ne conseillerai sûrement pas Richter (trop mécanique comme à son habitude, même s'il a de très bon chanteurs), mais plutôt Eugen Jochum (Philips). Dans le registre baroque, John-Eliot Gardiner me semble très bien (il y a un coffret très intéressant avec les 2 passions, la messe ne si, et l'oratorio de Noël : 75 euros pour 9 CD).
J'avoue une préférence pour la 2ème version d'Harnoncourt (1995), très dramatique.
Peter Schreier est très étonnant (notamment dans le choeur d'entrée), mais indisponible. Frans Brüggen est aussi indisponible malheureusement.

Écrit par : Philippe[s] | lundi, 02 avril 2007

Merci beaucoup ! Je regarderai à la médiathèque de La Riche (!!!) ce que je peux dégotter, même parmi les versions épuisées.

Écrit par : Guillaume | lundi, 02 avril 2007

(Pour Fuligineuse, amoureuse des listes : 23 occurrences de Bob Wilson dans les deux tomes du Journal de TRAVERS + 23 autoportraits de Léon Spilliaert à Orsay + ...?)

Écrit par : Guillaume | lundi, 02 avril 2007

Gaëtan Naulleau, avec lequel je suis d'habitude en accord, vient de descendre Emmanuelle Haïm et Bob Wilson en flamme sur France Musique, avec des arguments d'une mauvaise foi assez époustouflante.
Cependant, et c'est cela que je voulais signaler, il a diffusé ensuite une version de "Herr, uner Herrscher" absolument laide et fausse, mais totalement renversante de noirceur et de drame (Harnoncourt 85 en DVD avec le Tölzerknabenchor, qui est une version oubliée entre la 1ère et la 2ème) qui neutralise tout le reste dans ce registre.
Mais je maintiens que d'autres visions sont possibles.

Écrit par : Philippe[s] | lundi, 02 avril 2007

Bonjour,
Cette Passion selon saint Jean sera diffusée demain soir, lundi 4 juin, à huit heures du soir sur France Musique.
D.

Écrit par : Inactuel | dimanche, 03 juin 2007

Je ai écouté cette radiodiffusion, et cela correspondait à mon souvenir (avec cependant un Andreas Scholl que j'ai trouvé moins bien, et moins émouvant qu'in vivo, et un abus de théorbe (notamment dans "Es ist vollbracht") qu'avait noté Gaëtan Naulleau, mais qui ne m'avait pas frappé dans la salle)

Écrit par : Philippe[s] | mercredi, 06 juin 2007

C'était une belle interprétation mais pas dans le registre de l'émotion pure.
D.

Écrit par : Inactuel | mercredi, 06 juin 2007