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jeudi, 22 mars 2007

La Passion selon Frans et Markus

Quand Frans Brüggen, mercredi soir, pénètra dans la croisée du transept de l’église Saint-Roch, où étaient installés les musiciens – l’orchestre du XVIIIe siècle, la Cappella Amsterdam, Markus Schäffer (l’évangéliste), Thomas Oliemans (Jésus), Nele Gramss (soprano), Patrick van Goethem (alto), Marcel Beeckman (ténor), Geert Smits (basse) – c’est un spectre qui apparût, revenu me hanter depuis l’église Saint-Paul de mes vingt ans.


Il avait choisi de remettre une nouvelle fois sur le métier Jean-Sébastien Bach, et sa Passion selon Saint-Jean. C’est une œuvre totalement géniale, est-il besoin de le dire ; les chœurs de foule (les juifs, les grands prêtres…) sont particulièrement étonnants (je dirais volontiers « modernes » si cela avait un sens), et toute la fin (depuis Es ist vollbracht jusqu’au choral final, en passant par Mein teurer Heiland (et son Ja), Zerfliesse mein Herze et le chœur Ruht wohl, Ihr Heiligen Gebeine) est d’une telle intensité et d’une telle beauté qu’elle m’en devient presqu’insupportable, et qu’il me faut toujours un certain temps pour m’en remettre (d’autant plus que le public de Saint-Roch a justement fait durer le silence après la dernière note).
Le compositeur a largement développé le récit évangélique, avec de nombreuses interventions de l’évangéliste et de Jésus, bien sûr, mais aussi beaucoup de répliques d’autres protagonistes secondaires, notamment Pilate. Brüggen traite ces passages de façon très dramatique et expressive, aidé en cela par un remarquable chanteur, Markus Schäffer, digne hériter de toute la tradition de ténors allemands ayant interprété le rôle, Ernst Haefliger par exemple, pour fixer les idées (Ernst Haefliger qui vient de disparaître).

En contraste avec ce dramatisme, Brüggen a dirigé le reste de l’œuvre à la pointe sèche, et du bout des doigts (désolé, mais je crois bien que je ne sais parler de la musique que par image !), avec beaucoup de legato, de douceur et de retenue, plutôt vif dans les chorals, et plus lent dans les airs, mais sans aucun pathos ni épanchement.
Les solistes, globalement bons, se sont intégrés de manière cohérente dans cette conception, la seule faiblesse étant l’alto (souffle court, vocalisation laborieuse, aigus difficiles). Celui-ci s’est quand même honorablement tiré de son air, central s’il en est, Es ist vollbracht, le chef en ayant fait une véritable épure.

Emblématiques de la vision de Brüggen, les deux grands chœurs d’entrée et de fin, avant la méditation finale en forme de choral, véritables portiques encadrant l’œuvre, ont été traités par le chef dans une sorte de renversement de perspective ; Herr, unser Herrscher comme une berceuse, dans la résignation de la crucifixion, tout en nuance et en douceur (sauf dans la dernière reprise en un contraste saisissant) ; Ruht wohl vif et nerveux, dans l’impatience de la résurrection, avant un ralentissement en forme de déploration, assurant la transition vers la supplique finale Ach Herr, lass dein lieb Engelein.

Retour à Saint-Roch ce soir, pour quatre cantates de Bach par Sigiswald Kuijken.

Ce billet publié le lendemain du concert peut sembler en contradiction avec la note précédente, a été en fait été rédigé sur le vif dans le train du retour, ceci expliquant peut-être cela.