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jeudi, 03 août 2006

Une soirée en boîte avec Bach

La « Boîte à musique » de Jean-François Zygel semble faire l’unanimité, et il est vrai que cette émission présente des qualités, principalement celles de son animateur, en particulier un talent incontestable de communicateur ; mais pour communiquer quoi ?
Je dois en effet bien avouer que je n’ai pas été convaincu du tout.
D’une part, l’invité issu du domaine de la variété est assez mal intégré au dispositif, un cheveu sur la soupe, en quelque sorte (cela est assez largement reconnu).
D’autre part, et surtout, la volonté pédagogique et de vulgarisation qui est manifestement à l’œuvre nécessite un discours clair, simple et juste, c’est-à-dire que deux ou trois idées fortes doivent être exposées et argumentées. Or, il m’a semblé qu’il s’agissait plus de simplisme que de simplicité en l’occurrence, et souvent le fil de la pensée est perdu au fur et à mesure que des extraits, trop courts, sont donnés.
L’émission consacrée à Bach (avec Emilie Simon, que j’ai trouvé très émouvante) m’a spécialement énervée, par sa litanie de lieux communs et quelques graves erreurs, qui créent le doute sur le sérieux de l’animateur. J’en cite quatre :

« Bach était piétiste et doloriste » : bon, j’imagine bien que cette question n’intéresse que peu de personnes, mais Bach n’était certainement pas piétiste, car le piétisme réduisait la musique à l’église à la portion congrue. C’est la raison majeure de son départ de Mülhausen, un an seulement après sa nomination. Ce n’est pas un détail, et de toute manière la simplicité et la pédagogie n’exclut pas la précision et l’exactitude.

Plan de Leipzig en 1720

« Contrairement à l’Allemagne du Nord, l’opéra était interdit à Leipzig et dans sa région » : c’est complètement faux. L’opéra à Leipzig a fermé peu avant l’arrivée de Bach pour des raisons financières. Et à Dresde, capitale de l’électorat de Saxe dont faisait partie Leipzig, et où Bach se rendait souvent, existait un très important opéra (avec notamment le célèbre Hasse il caro sassone (qui n’avait rien de saxon, puisqu’il était né près de Hambourg)). De plus, Bach a composé, dans ses cantates, tellement de magnifiques aria da capo dans le style de l'opera seria, qu’il me semble bien inutile de se poser la question de savoir ce qu’il aurait pu écrire s’il avait eu un théâtre à sa disposition.

« Bach n’était pas de son temps » : c’est absurde, et démontre une connaissance superficielle de la musique de Bach. Certes, à la fin de sa vie, il s’est replié sur des œuvres spéculatives et le contrepoint, dans une sorte de refus du monde tel qu’il allait. Mais auparavant, sa connaissance de la musique de toute l’Europe, italienne et française en particulier, sa curiosité et ses connaissances encyclopédiques, font de Bach un homme absolument de son époque. Il suffit d’écouter ne serait-ce que ses concertos pour s’en convaincre dès la première note.

Et le meilleur pour la fin. Remarquant à juste titre que la musique de Bach résiste à tout (même au marimba), JF Zygel affirme que la raison pourrait en être que, confronté à de mauvais musiciens, le compositeur devait écrire une musique très solide pour pouvoir supporter de médiocres interprétations.
En premier lieu, cela n’explique pas pourquoi la musique de Bach résiste, mais pour quelle raison.
En deuxième lieu, il est erroné de dire que les instrumentistes que Bach avait à sa disposition n’étaient pas satisfaisants. Il s’est beaucoup plein des élèves de Saint Thomas, qui n’étaient pas assez nombreux pour les chœurs et pas assez bons musiciens. En revanche, il utilisait dans son orchestre, tant pour les cantates que pour les concerts du Collegium musicum au café Zimmermann, des solistes de haut niveau, soit des amis de passage, ou encore ses fils, ou bien des étudiants de l’université. Il suffit de voir la virtuosité que le compositeur exigeait de ses interprètes pour se rendre compte de l’inanité de l’affirmations de Zygel.

Bon, en fait, je ne voulais pas faire si long et être aussi critique (je vais encore passer pour un ratiocineur). Mais je trouve vraiment regrettable que sous couvert de vulgarisation, l'on propage des clichés et l'on énonce des erreurs.
C'est aussi pour moi un incitation à apporter ma réponse, si longtemps différée, à la question « Pourquoi Bach résiste à tout » (bientôt).

15:45 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (9)

jeudi, 18 mai 2006

Chocolat et Marzipan

Le Mozartkugel, créé en 1890 par Paul Fürst, tire sa légitimité de son origine, Salzbourg, lieu de naissance du compositeur.


Mais qu’en est il du Bachwürfel, imaginé par les héritiers de Paul Fürst à l’occasion de la célébration du trois-centième anniversaire du divin thuringien ?
Le marketing est décidément bien du côté d’Hermogène.

Je fus néanmoins touché que l’on ait pensé à moi pendant ce séjour tyrolien.

17:50 Publié dans Bach, Brève | Lien permanent | Commentaires (4)

jeudi, 11 mai 2006

L'ordre et la courbe, la Messe en si à Saint Roch

Restant fidèle à la ligne éditoriale de ce blogue, toute entière dans son nom, je reviens aujourd’hui, bien après les recensions qu’en ont faites Zvezdo et Martin Lothar, sur la superbe exécution de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach par le chœur Les Elements, l’ensemble Jacques Moderne, le Café Zimmermann et les solistes (Anne Magouët, Thomas Bauer, Stephan van Dick, Pascal Bertin) dirigés par Joël Suhubiette, en l’église Saint-Roch à Paris le 26 avril dernier.


Comme beaucoup d’œuvre composées pendant ses dernières années, la Messe en si est un manifeste et une synthèse des connaissances musicales et théologiques accumulées par Jean-Sébastien Bach. Elle a d’autant plus ce caractère qu’elle n’a pas, contrairement aux autres grands monuments ultimes (l’Art de la fugue, les Variations Goldberg, les Variations canoniques, l’Offrande musicale), été écrite pour clavier (orgue ou clavecin (en partie pour l’Offrande musicale)), et que le compositeur a usé pour sa composition du réemploi d’œuvres antérieures, technique qui lui a été familière tout au long de sa vie (seul une partie du Credo est originale de ce point de vue).

Dénuée de toute fonction liturgique de par sa longueur, la Messe en si n’en est pas moins construite comme un discours centré sur les souffrances du Christ, et en cela est éminemment baroque. Cette inscription dans la rhétorique baroque était particulièrement bien mise en évidence par les interprètes de Saint-Roch, du fait de leur attention aux mots et aux affects, de leur expressivité fondée sur les timbres, le rythme, les accents, les phrasés. Cet éclairage faisait apparaître comme rarement la géniale appropriation par Bach de tous les styles de son époque (pour faire simple, de la plus sévère polyphonie à l’aria da capo la plus lyrique), et leur fusion au service d’une œuvre cohérente (on retrouve le même caractère fusionnel dans les Goldgerg). Cohérence, oui, car à aucun moment on ne ressent l’impression de morceaux disparates juxtaposés, ou d’une discordance entre deux manières d’écrire.

Nous sommes, avec la Messe en si, devant un grand tout, un grand monument baroque, avec ses piliers – les chœurs imposants –, et ses volutes – les arias expressives. L’ordre et la courbe, au cœur de la dialectique baroque, au cœur de la Messe en si, au cœur de l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, tout aussi bien.


L’ordre et la courbe, comme la façade de Saint Roch.

lundi, 13 mars 2006

Bach, précurseur de la forme sonate

(Gilles Cantagrel évoque le second livre du Clavier bien tempéré)

Dans le genre de l'invention à deux ou trois voix, dix sur les vingt-quatre préludes du Second Livre présentent une structure bipartite, parfois identifiée par une barre de reprise [...].
Dans la deuxième section, généralement plus importante que la première, il arrive même que Bach imagine une réexposition du motif initial - préludes n°5 ( majeur), 12 (fa mineur), 21 (si bémol majeur) -, en quoi il peut apparaître comme l'un des précurseurs de la forme sonate.
Le Moulin et la Rivière - Gilles Cantagrel

13:50 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (10)

jeudi, 09 mars 2006

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg

Sans doute pour en rester au chiffre emblématique de 32 pages, Jean-Sébastien Bach n’a pas repris in extenso l’aria à la fin de l’édition des Variations Goldberg imprimée par ses soins en 1741. Il termine par l’indication « Aria da capo e fine ».


Cette reprise est cependant essentielle à l’équilibre de l’œuvre – arche, miroir. Mais il y a bien au delà de ces préoccupations formelles.
Après l’exposition de l’aria, l’auditeur est invité à un grand voyage ; voyage dans le temps, des formes anciennes héritées de Buxtehude jusqu’à la vocalité italienne la plus moderne ; voyage dans l’espace des goûts réunis, France, Italie, Allemagne, et même l’Espagne de Scarlatti ; voyage en profondeur dans l’expérience accumulée de toute une vie, une vie de savant et de théoricien, mais aussi une vie de rhétoricien, d’homme de foi et de culture, homme de la jouissance sonore, enfin, amateur de plaisirs simples et populaires.
Et ce voyage s’achève par cette étonnante trentième variation en forme de Quodlibet sur deux chansons populaires (des choux et des navets), à la fois une sorte de vanité, un hommage aux traditions de la famille Bach, une démonstration de son art, et un clin d’œil humoristique.


La fin du voyage ? Pas tout à fait, car voilà le retour de l’aria. Et ce retour est déchirant : ce sont exactement les mêmes notes, mais un monde d’émotions, d’étonnements, d’éblouissements, de larmes parfois, de pensées vagabondes les séparent de l’énonciation initiale. Les mêmes notes, mais rien n’est plus semblable, la mémoire s’est enrichie de trente variations, dont les souvenirs et les traces s’imposent à l’auditeur.

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg, comme Pierre Ménard, auteur du Quichotte.

10:50 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (11)