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jeudi, 09 mars 2006

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg

Sans doute pour en rester au chiffre emblématique de 32 pages, Jean-Sébastien Bach n’a pas repris in extenso l’aria à la fin de l’édition des Variations Goldberg imprimée par ses soins en 1741. Il termine par l’indication « Aria da capo e fine ».


Cette reprise est cependant essentielle à l’équilibre de l’œuvre – arche, miroir. Mais il y a bien au delà de ces préoccupations formelles.
Après l’exposition de l’aria, l’auditeur est invité à un grand voyage ; voyage dans le temps, des formes anciennes héritées de Buxtehude jusqu’à la vocalité italienne la plus moderne ; voyage dans l’espace des goûts réunis, France, Italie, Allemagne, et même l’Espagne de Scarlatti ; voyage en profondeur dans l’expérience accumulée de toute une vie, une vie de savant et de théoricien, mais aussi une vie de rhétoricien, d’homme de foi et de culture, homme de la jouissance sonore, enfin, amateur de plaisirs simples et populaires.
Et ce voyage s’achève par cette étonnante trentième variation en forme de Quodlibet sur deux chansons populaires (des choux et des navets), à la fois une sorte de vanité, un hommage aux traditions de la famille Bach, une démonstration de son art, et un clin d’œil humoristique.


La fin du voyage ? Pas tout à fait, car voilà le retour de l’aria. Et ce retour est déchirant : ce sont exactement les mêmes notes, mais un monde d’émotions, d’étonnements, d’éblouissements, de larmes parfois, de pensées vagabondes les séparent de l’énonciation initiale. Les mêmes notes, mais rien n’est plus semblable, la mémoire s’est enrichie de trente variations, dont les souvenirs et les traces s’imposent à l’auditeur.

Jean-Sébastien Bach, auteur de la reprise de l’aria des Variations Goldberg, comme Pierre Ménard, auteur du Quichotte.

10:50 Publié dans Bach | Lien permanent | Commentaires (11)

Commentaires

Bon, et bien je vais continuer à écrire des notes absconses, puisqu'il n'y a que celle là qui vous intéressent.

Écrit par : Philippe[s] | jeudi, 09 mars 2006

Effectivement .
Quand vous donnez un article étoffé , cela m'incite à
1- ressortir des livres :
comme "les portes de Gubbio" , "fictions " (textes+essai folio), ou "le corps de l'oeuvre" de Didier Anzieu pour y lire une monographie passionnante sur les contes de Borgès.
2-réécouter des oeuvres de JS
Et alors , je n'ai plus le temps de commenter ....
(En tout cas , merci de jouer ce rôle stimulant !)

Écrit par : alph | jeudi, 09 mars 2006

tu vas dire que j'écris toujours les mêmes âneries, mais ce que tu écris sur le retour du même à la fin serait encore plus pertinent si tu l'appliquais à des variations de l'époque classique (comme le finale de l'opus 109), qui sont davantage ordonnées comme un voyage intérieur que les Goldberg, qui sont construites, elles, comme un diamant, une architecture avec ses symétries, ses périodicités, une fois sur trois, un canon à la quinte, à la sixte etc.....

Rosen entend la dernière des variations Diabelli comme un hommage aux Goldberg: retour de la valse du début (du moins de l'atmosphère de danse qui avait été largement perdue....), transformée en un menuet orné, un peu démodé et comique. Synthèse entre le retour du même (l'idée de Bach) et l'idée de transformation. J'arrête là de faire l'article pour mes chers classiques. (mais tu l'as bien cherché avec ton premier commentaire)

Écrit par : zvezdo | jeudi, 09 mars 2006

La dernière phrase demande encore à être creusée ; et je préfère (pour l'instant ...) l'idée exposée chez Sélian, de l'interprète auteur, mais réduite à l'aria finale, qui doit note après note décider comment résumer le voyage accompli, et doit également, note après note choisir celle de l'aria initiale, comme Ménard choisit mot après mot ceux du texte original.
Pour passer de là à l'étage "Bach auteur de la reprise de l'aria", il me manque quelques marches...

Écrit par : Bladsurb | jeudi, 09 mars 2006

Si j'ai écrit cette note, c'est en grande partie parce que l'idée du parallèle avec la nouvelle de Borgès me semblait intéressante, mais que son application par Sélian à l'interprète (Gould) ne me convainquait pas entièrement.
En effet, Pierre Ménard est bien l'auteur du Quichotte, comme Cervantès est aussi l'auteur du Quichotte, et Bach l'auteur des Goldberg ; et je me refuse à considérer l'interprète comme l'auteur de l'oeuvre.
Pour moi lecteur=interprète+auditeur.
Pour autant que je sache (ses écrits me rebutent), Gould ne s'est jamais mis dans la position de Pierre Ménard et n'a jamais interprété les variations Goldberg de Gould.
Que nous dit Pierre Ménard ? (je fais répondre Renaud Camus, cité en dehors de tout contexte ! ) "Toute esthétique qui s’obstine à considérer les œuvres d’art en elles-mêmes, indépendamment de leur contexte, de leur date, se coupe de cette vérité selon laquelle un roman, une toile, une sonate, sont, comme un coup dans une partie d’échecs, soumis, quant à leur valeur, à tout ce qui les précède". Précisemment, Glenn Gould considère, en tant qu'interprète, les variations Goldberg pour elles-même, en dehors de tout contexte.
Bach, pour conclure ses variations Goldberg, et on peut supposer que c'est un acte mûrement réfléchi, reprend note pour note l'aria initiale (il fait même plus fort, puisqu'il reprend virtuellement en inscrivant "Aria da capo e fine") parce qu'il a épuisé toutes les autres possibilités.
Je ne vois pas en quoi le fait que les variations Goldberg sont construites sur une architecture rigoureuse leur retire quoique ce soit de sensible, et en quoi cela en ferait plus un voyage extérieur qu'un voyage intérieur (les opp. 109 et 111 ne feraient ils pas l'objet d'une construction aussi rigoureuse, certes selon d'autres règles (classiques) ?). Bach n'a pas cessé, en pur baroque de ce point de vue, de vouloir convaincre et émouvoir, même dans ces dernières oeuvres plus spéculatives (je veux bien excepter l'Art de la Fugue, à la limite).

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 10 mars 2006

J'était sur le point d'écrire un commentaire dans lequel j'avouais ne pas bien comprendre la relation avec le Ménard de JLB et je constate que le maître de maison m'a devancé.
Juste quelques remarques.
1) on n'insiste peut-être pas assez sur la dimension parodique et humoristique de la nouvelle de Borgès qui se présente comme un pastiche d'une notice critique.
2) Il ne s'agit pas pour Ménard d'interprèter, ni de choisir mot à mot ceux du texte original, mais bien de faire le Quichotte en tant que Pierre Ménard tout en paradoxalement s'anéantissant comme sujet. Gould, pour ce que j'en connais, n'obéit pas à ce type de problématique. Il est un interprète.
3) A noter également que la tentative de Ménard est un échec (on ne sait d'ailleurs pas comment il s'y est pris,et peut-être est-ce un canular ?) Il n'arrive à écrire que deux chapitres du Quichotte. Mais au delà de cet échec, c'est la connaissance de l'idée qu'a eu Ménard d'écrire le Quichotte qui change notre lecture.
4) Sur le parrallèle avec la structure des variations, je ne suis pas non plus convaincu. Il s'agit d'un retour du même enrichi des précedentes variations. Chez Ménard il s'agit de créer le même.

Écrit par : Tlön | vendredi, 10 mars 2006

Jusqu'au 3, je suis d'accord (on néglige aussi l'humour de Bach).
En revanche, pour le 4, chez Ménard, il s'agit de créer le même, mais enrichi des siècles qui le sépare de Cervantès (notamment du siècle de Ménard lui-même).

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 10 mars 2006

La nouvelle ne nous dit rien des intentions de Ménard. Pour lui, il ne "s'agit pas de créer le même, mais enrichi des siècles qui le sépare de Cervantès", cette dernière proposition est celle de l'auteur de la notice, mais bien et c'est son unique intention, celle qui autorisera toutes les lectures, d'écrire le Quichotte. "Il entreprit un travail très complexe et à priori futile"
Bien entendu toute la nouvelle joue sur la proposition paradoxale qui est de "créer du même" (et non de récréer du même, on n'est pas dans la notion de reprise qu'il y a -me semble-t-il chez Bach, je précise être ignorant en musique). La proposition ne peut devenir effective que si justement toutes intentions, et l'auteur lui-même s'effacent derrière le texte.
A noter qu'à coté de la longue énumération des oeuvres visibles de Ménard (trop précise pour être honnête ?) l'auteur de la notice s'abstient volontairement de toute description physique de Ménard.

Écrit par : Tlön | vendredi, 10 mars 2006

Allez, on va dire que je n'ai pas écrit la dernière phrase.

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 10 mars 2006

très belle note.
on peut écouter une même oeuvre plusieurs fois mais à chaque fois nous entendons autre chose. Chaque nouvelle écoute des Variations est une découverte.
Chaque relecture de vos notes est une découverte. Longue vie à ce blog!

Écrit par : jean-luc | vendredi, 10 mars 2006

Intéressants , tous ces commentaires !
Pour ma part , après avoir relu la nouvelle de JLB , voilà ce que j'ai trouvé à son sujet dans deux livres :
1-Dans "Le corps de l'oeuvre (1981) de Didier Anzieu : Monographie "le corps et le code dans les contes de JLB "(1971)-p.285-286 .
2- Dans "J.Y.Pouilloux commente "Fictions" (foliothèque 19)1992
a) p. 77-78 (sur les circonstances de l'écriture de la nouvelle)
b) extraits évoquant la nouvelle : Deleuze (p.158) ; A.Compagnon (p.160) ;
Blanchot (p.176)
c)extrait de "JLG ,biographie littéraire" de E.R.Monegal (p.178-179) . Monegal s'interroge : Borgès a-t-il lu "Louis Ménard , païen mystique " de Rémy de Gourmont . Ce Louis Ménard est inventeur ( collodion) , peintre (école de Barbizon) , poète et écrivain, oncle de Jean Galtier-Boissière ( créateur du (véritable) Crapouillot en 1917 ) . Galtier -Boissière a d'ailleurs publié , un texte de Ménard sur la Révolution de 1848: "Prologue d'une Révolution-Février-Juin 1848"; (Ce récit , paru en 1849, valut à son auteur trois ans de prison tandis que l'ouvrage était confisqué . Péguy donna une nouvelle édition en 1904 dans ses "Cahiers de la Quinzaine". "Crapouillot" en donna une troisième en 1957 .
Louis Ménard publia aussi "Rêveries d'un païen mystique")

Vous avez sans doute connaissance de tout cela . C'est pour moi une première approche .

Je ne me suis pas assez littéraire , ni assez musicien , pour ajouter autre chose .

Écrit par : alph | vendredi, 10 mars 2006