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dimanche, 30 octobre 2005

Ceci est un héron


Cela est un héron, mais cela n'est pas un détail inutile. Il n'y a pas d'ailleurs de détails inutiles dans ce tableau.
Ce héron impassible nous dit que cet éclair n'est pas un éclair, que cette tempête n'est pas une tempête. Et en effet, la Tempête n'est pas une tempête, ni un simple paysage, non plus qu'une scène de genre.
Ce héron nous invite à chercher l'arrière-pays de la Tempête.
Ce héron est un signe.

14:35 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (4)

mercredi, 05 octobre 2005

Ceci n'est pas non plus une note sur Venise

Ce texte superbe est un peu long, mais je tiens à le présenter sans coupure, car il est parfaitement construit et cohérent. Evidemment, l’appréciation portée sur Tintoret, puis sur Victor Hugo, en fera réagir plus d’un.
Cependant, il n’est pas niable que la description des œuvres du Tintoret ne manque pas de pertinence, même si les conclusions qui en sont tirées peuvent paraître outrées ; mais elles sont liées à l’hostilité de l’auteur envers une certaine forme de romantisme, et à son amour de la tragédie classique.

Je ne puis me faire à Tintoret. Ce qu’on appelle sa puissance, n’est à mes yeux que de l’abondance du désordre. Il n’est ni vrai, ni au-dessus de l’image vulgaire. Il est romantique jusqu’à la frénésie.
La puissance de l’artiste, je ne la reconnais qu’à la profondeur du coup qu’il frappe ; et de même, à la beauté de la mélodie, qu’il révèle une fois pour toutes ; à l’intensité de l’harmonie qu’il est capable de produire. Un petit tableau y suffit, sur un chevalet. Mille lieues de peinture y peuvent échoue. La couleur de Tintoret est noire, lourde, monotone. Son style, plus que l’éloquence, est l’emphase continue. On n’est pas puissant parce qu’on lance cinq cents figures sur une muraille : un seul visage qui ne s’oublie plus, telle est sa force.
Cet homme est à l’art ce que l’athlète est à la beauté divine. Avec son mufle, ses muscles pareils à des tumeurs, l’athlète au front bas, aux narines camuses, le visage cousu de cicatrices et renflé de bosses, est un géant peut-être, mais aussi une brute. L’athlète a beau passer sa vie dans l’arène et dans l’exercice de ses forces : toujours, il improvise. Ainsi Tintoret est l’Improvisateur de peinture. Il vient à bout de toute surface. Il abat toute besogne. Il est virtuose prodigieux. Qu’on lui donne la Grande Muraille : il la peindra depuis la Corée jusqu’au désert de Gobi ; il y décrira toute l’histoire de la Chine.


Ce talent est énorme ; mais il est laid. Il est outré. Il n’est jamais à l’échelle, non pas de la grandeur, mais de sa propre éloquence. Il dit si fort ce qu’il veut dire, qu’on ne l’entend plus. Il a plus de pensée qu’il n’en faut pour nourrir tous les peintres de Venise ; et tant il est habile, il semble ne pas penser.
N’ose-t-on pas le mettre au rang des grands tragiques ? et qui ne parle de sa vertu pour le drame ? Telle est l’illusion du vulgaire : le geste passe pour l’action ; le tumulte, pour la tragédie ; le bruit, pour la force sonore. Mais l’éternelle agitation de Tintoret est l’aveu qu’il n’est point tragique. La véritable tragédie sera toujours dans le cœur des héros, et de leurs passions. Voilà ce qui décide souverainement de leur sort, et même des paroles capitales qu’ils disent, celles où l’homme suscite son destin, où le destin se rend visible et descend. Or ces paroles fatales, le silence qui précède et le silence qui les suit, en font seuls le prix.
Le vulgaire croit voir la tragédie dans la mêlée des personnages ; et plus ils sont, plus on se flatte de plonger dans le drame. On s’en éloigne, au contraire ; on l’oublie. La bataille n’est pas tragique, non plus que l’inondation ou le tremblement de terre. Ce ne sont que des convulsions confuses. Il n’y a de drame qu’entre un petit nombre de héros. Tout le reste est inutile ; ou pour mieux dire, tout le reste est cortège, jeu de scène et comparses. Si l’on veut que Tintoret soit tragique, il ne le fut jamais qu’à la manière de Dumas le père, et des autres énergumènes, qu’un demi-siècle a ruinés sans retour, tant ils sont vains et puérils. Tintoret, lui, a du style ; il se sauve par là, comme tous. Trop de force, en lui, trop d’éloquence, trop de chaleur pour ne point faire penser à un maître. Et, en effet, de tous les hommes, Tintoret me semble le plus voisin de Victor Hugo.
Son drame sans émotion et sans âme, n’y ayant d’émotion que de la vérité profonde, quand le cœur et les passions sont à nu ; son style formidable, et toujours un peu creux ; son éloquence qui ne saurait tarir ; son goût du contraste, jusqu’à la grossièreté ; sa manie des ombres compactes ; sa faculté de répéter cent fois ce qui ne vaut pas souvent la peine d’être dit ; sa puissance plastique et sa pauvreté intérieure : tous les dons de Tintoret me font voir en lui le Victor Hugo de la peinture.
André Suarès Voyage du Condottière (Vers Venise)


7 octobre: la discussion se poursuit ici et


dimanche, 02 octobre 2005

Une visite à l'Académie

Paolo Veneziano Poliptyque
Paolo Venziano Vierge à l’enfant avec deux commanditaires
Jacobello Alberegno Poliptyque de l’Apocalypse
Antonio Vivarini Vierge à l’enfant
Cima da Conegliano Incredulità di San Tomaso e San Magno d’Oderzo
Cima da Conegliano Madonna d’all arancio tra i santi Lodovico da Tolosa e Girolamo
Vittore Carpaccio Crucifixion et apothéose des 10 000 martyrs du mont Ararat
Vittore Carpaccio Présentation de Jésus au Temple
Cosmè Tura Vierge à l’enfant
Giovanni Bellini Pietà
Giorgione La Tempête
Giogiorne La Vieille Femme


Cessons là cette énumération, qui pourrait devenir fastidieuse, et laisser croire que je verse dans le procédé, alors que mes lecteurs fidèles se souviennent que je suis facilement las des listes.
La liste des rencontres avec Venise « et » la Peinture est donc longue, d’intensités et de qualités diverses – éblouissement, charme, séduction, virtuosité, surprise, curiosité, émotion, étonnement, ravissement, engloutissement, submersion, réflexion -, la visite de l’Académie étant à cet égard une sorte d’apothéose, et je la recommande en fin de séjour par conséquent, contrairement à Frédéric Vitoux.

La qualité de l’effet du Tintoret, de Bellini, du Titien, de Véronèse tient en partie au fait que, in situ, dans les chiese et les scuole, l’impression, produite par l’émotion autant que par la réflexion, que ces peintres et ces œuvres sont à leur place et de leur époque, vous sautent aux yeux, au cœur et au cerveau.

Seuls deux artistes me semblent échapper à cette parfaite adéquation, et ainsi se rattacher à la catégorie – qui n’en est une que pour moi – des anachroniques, mais tandis que l’un regarde vers le passé, l’autre est regardé par l’avenir.


En effet, le luxe de détail des architectures, des paysages et des personnages des arrières plans, la somptuosité des étoffes, la représentation minutieuse de la faune et de la flore, les chevaux et les dragons, la représentation dans un même plan de plusieurs actions successives, tout cela qui fait que l’on admire Carpaccio vient - ou semble venir - des primitifs flamands, de Van Eyck, de Memmling ou encore d’Uccello.

En revanche, tout - et tentant de détailler ce tout, je m’aperçois que je ne le peux pas – nous parle par dessus le temps, devant Giorgione, et les siècles suivant le sien ont dialogué continûment avec lui.


La Tempête notamment –mais comment oser écrire quoi que ce soit sur ce tableau– la Tempête… Toute l’Histoire de l’art nous dit d’admirer la Tempête. Et l’Histoire de l’art a raison. La Tempête est une séductrice, elle m’a attiré de loin, quoique de biais, elle m’a retenu, elle m’a absorbé, un groupe de japonais m’a rejeté (emporté par la foule), je suis revenu, puis il a bien fallu partir (col tempo, va, tout s’en va).

Revenu à Bordeaux, et consultant mon petit carnet, je m’aperçus que ma permière œuvre de Giogione n’était pas la Tempête, mais il Tramonto de la National Gallery à Londres, dont je n’avais pas gardé mémoire. Un instant, je crus que Saint Georges et le dragon du Tramonto allait faire le lien entre Giorgione et Carpaccio, mais non, il ne s’agit que d’un ajout d’une restauration recente. Et déçu de ne pouvoir éblouir mes lecteurs par ma merveilleuse perspicacité, je clos ici ma dernière note…


…sur Venise.


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Les liens vers le Nouvel Observateur sont en provenance de la rubrique Venise / Actualités de la Panse de l’Ours, qui m’a fait le plaisir de me citer, et que je remercie.

samedi, 24 septembre 2005

Une visite chez le Doge

Parmi l’indénombrable théorie de lieux communs courant sur Venise, il est un qui paraît une vérité d’évidence, à tout le moins pour un touriste cultivé, c’est que cette cité est une ville de peinture.
« Ce qui fait Venise absolument sans égale, c’est la Peinture. Elle fut la patrie, la mère de quelques maîtres de premier ordre qu’on ne peut connaître que dans ses musées, ses églises et ses palais. »
Guy de Maupassant Venise, article publié dans le Gil Blas, 5 mai 1885

Suarès ne dit pas autre chose, tout en affirmant le contraire :
« Peu de peinture, selon mon goût, à Venise. Pourtant, la ville en est couverte : cent lieues carrées de toile peinte, de Chioggia à Murano, ou mille, ou dix mille, que sais-je ? »
André Suarès Voyage du Condottière


Les fresques couvrant les façades des palais - on pense bien sûr à Giorgione et au Titien au fondaco dei tedeschi – devaient, avant leur disparition totale, rendre encore plus perceptible la sensation de vivre en peinture.
Et certes, Venise, ce n’est pas la littérature, la sculpture ou la musique. Quoique cette assertion soit déjà passablement discutable - et Goldoni, Gabrieli, Monteverdi… ? -, il n’est pas niable que séjourner à Venise, ce n’est pas vivre en littérature ou en musique. Il suffit pour s’en convaincre de comparer dans l’église des Frari le monument funéraire du Titien et la plaque commémorative de la sépulture de Monterverdi, sur laquelle plane d’ailleurs une grande incertitude.
En revanche, mais nous sommes là devant le symptôme de la lettre volée, Venise est quand même, et avant tout, architecture et urbanisme.


La visite du palais des Doges est une leçon à cet égard.

En premier lieu, une leçon d’architecture gothique, le plein sur le vide, au sein du plus beau paysage urbain qui soit. Une leçon de peinture, ensuite, quoique limitée pour l’essentiel à Véronèse et Tintoret - le terme limitée étant peu adéquat cependant ! – auxquels se rajoutent au détour d’une salle quasi anonyme Bosch et Metsys.
Mais aussi, surtout peut-être, une leçon de politique, à défaut de démocratie. Car il n’est question, pour qui veut bien y être attentif, que de Grand Conseil, de Collège et d’Anticollège, de Conseil des Dix, de Sénat, et encore de la Quarantia Civil Vecchia et de la Quarantia Civil Nuova, et sans oublier le Magistrato alle Leggi, les censori, les avogadori, les notai, le bollador, et la milizia da Mar

Tout l’appareil d’un Etat de droit, rassemblé en un lieu unique, avec l’apparat et la majesté qui lui siéent, la peinture n’étant au fond qu’un des éléments contribuant à son éclat.

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Les dessins originaux ont toujours pour auteur [s].



lundi, 19 septembre 2005

Cinquante centimes

Giovanni Bellini - Vierge à l'enfant avec Saints Pierre, Jérôme, Lucie et Catherine

Plutôt que l'éclairage, c'est un éblouissement que provoqua l'introduction d'une pièce de cinquante centimes dans la fente de l'appareil ad'hoc placé devant cette oeuvre dans l'église Saint-Zacharie à Venise.
Une litanie d'Ave Maria psalmodiés par le prêtre et deux paroissiennes d'âges respectables accompagnait la vision de ce chef d'oeuvre, jusqu'à ce qu'il retombe dans la pénombre.