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samedi, 18 juin 2005

Rothko et Thursz




On songe beaucoup à Rothko en observant les peintures de Thursz, et cela bien que Thursz préférât Soutine, si ma mémoire est exacte. De Soutine on ne trouve aucune trace directe, dans son œuvre, que des allusions à Chartres, assez fréquentes ; tandis qu’à Rothko on pense à tout moment, par un effet de fascination assez comparable, chez les deux artistes, produit en l’un et l’autre cas par la pure matérialité colorée de la peinture, par la couleur faite matière, étant immédiatement matière, indissociable de la matière : et il se trouve que cette matière, chez l’un comme chez l’autre, compte parmi les plus belles de toute l’histoire de la peinture - et chez Thursz elle est encore plus somptueuse, peut-être, plus profonde, plus variée, plus moirée, mieux inépuisable encore que chez Rothko.
Renaud Camus Outrepas Journal 2002


Frederic Matys Thursz Fuchsin 1986-1988-1989

Qu’est-ce que la lumière ?


Il rêva qu’il ouvrait les yeux, sur des soleils
Qui approchaient du port, silencieux
Encore, feux éteints ; mais doublés dans l’eau grise
D’une ombre où foisonnait la future couleur.

Puis il se réveilla. Qu’est-ce que la lumière ?
Qu’est-ce que peindre ici, de nuit ? Intensifier
Le bleu d’ici, les ocres, tous les rouges,
N’est-ce pas de la mort plus encore qu’avant ?

Il peignit donc le port mais le fit en ruine,
On entendait l’eau battre au flanc de la beauté
Et crier des enfants dans des chambres closes,
Les étoiles étincelaient parmi les pierres.

Mais son dernier tableau, rien qu’une ébauche,
Il semble que ce soit Psyché qui, revenue,
S’est écroulée en pleurs ou chantonne, dans l’herbe
Qui s’enchevêtre au seuil du chäteau d’Amour

Yves Bonnefoy Ce qui fut sans lumière
Claude Gellée dit Le Lorrain Psyché devant le château d'Amour




lundi, 13 juin 2005

Un dernier détail


Paysage avec Noli me tangere (détail)
Claude Gellée dit Le Lorrain

15:20 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (5)

samedi, 11 juin 2005

Outils de jardin


Pour conclure cette semaine consacrée à Noli me tangere, je vous propose un jeu. Futilités, me direz-vous ; mais, outre le fait que j'aime jouer et que je ne m'en prive pas, il y a probablement matière à réflexion dans l'exercice que je vous propose.

En effet, j'ai extrait de plusieurs tableaux ayant pour sujet l'apparition à Marie Madeleine, le détail représentant un outil de jardin. Le jeu consiste à attribuer à chaque détail l'artiste qui l'a peint.

Ce signe, qui peut paraître anodin, cristallise en réalité la question de la représentation de Jésus dans cette épisode: faut-il le voir avec les yeux de Marie-Madeleine, c'est-à-dire en jardinier, comme la majorité des peintres ; ou plutôt en Christ-Roi, déjà installé à la droite de son Père, à l'instar de Giotto ? Faut-il peindre le corps nu de celui qui vient de sortir du tombeau, ou le corps glorieux du ressuscité sur le point de monter vers son Père ?

Mais ce n'est pas ici la question que je vous pose ! A vos outils de jardin et de recherche !
















































Mise à jour le 13 juin à 23h30
Les réponses sont les suivantes:
1: Anonyme (Eglise de Saint Maximin en Provence)
2: Bronzino
3: Jean Poyer
4: Fra Angelico
5: Attribué à Pontormo
6: Le Titien
7: Dürer
8: Rembrandt

mardi, 07 juin 2005

Noli me tangere- Ne me touche pas - Rühre mich nicht an

J’ai pris l’habitude, lorsque je me rends à un spectacle où le placement est libre, de partir tôt, et de prendre avec moi un livre pour tromper l’attente.
C’est ainsi que samedi soir dernier, je me suis retrouvé au Temple du Hâ à feuilleter Noli me tangere de Jean-Luc Nancy en attendant le début du concert de Sagittarius consacré à deux cantates de Bach (BWV 198, Laß, Fürstin, laß noch einen Strahl, magnifique ode funèbre, et la bien connue BWV 147 Herz und Mund und Tat und Leben).

Pourquoi avais-je choisi cet ouvrage… Il était sur le haut d’une des piles de livres à lire, toujours prêtes à s’effondrer, et il m’interpellait depuis plusieurs jours déjà. En outre, je venais de classer les nombreuses cartes postales acquises à la National Gallery de Londres, parmi lesquelles figurent le tableau que Le Titien a peint sur le sujet de l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine.


Ce choix ne fut pas excellent, le brouhaha m’empêchant de lire un texte qui nécessite une certaine concentration. D’habitude, je me munis plutôt de poètes, Pierre-Jean Jouve récemment.

L’opuscule de Jean-Luc Nancy m’avait été conseillé par Dominique Autié, à la suite d’une sienne note pascale, traîtant d’une autre apparition de Jésus après sa Résurrection, aux pélerins d’Emmaüs en l’occurrence.
Entre toutes ces épiphanies, Marie-Madeleine a ma préférence, par ce qu’elle signifie de la puissance de la parole, de la parole du Christ, certes, mais tout autant de la parole humaine, et des mots.

Cependant Marie se tenait dehors près du sépulcre, et pleurait. Comme elle pleurait, elle se baissa pour regarder dans le sépulcre;
et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds.
Ils lui dirent: Femme, pourquoi pleures-tu? Elle leur répondit: Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
En disant cela, elle se retourna, et elle vit Jésus debout; mais elle ne savait pas que c'était Jésus.
Jésus lui dit: Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai.
Jésus lui dit: Marie! Elle se retourna, et lui dit en hébreu: Rabbouni! c'est-à-dire, Maître!
Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur, et qu'il lui avait dit ces choses.
(Jean XX 11-18, Bible de Segond 1910)


Au calme, je viens seulement d’entamer la lecture de Jean-Luc Nancy. Je peux en revanche vous conseiller dès à présent la lecture de l’Apparition à Marie-Madeleine de Marianne Alphand, Guy Lafon et Daniel Arasse dans la collection Triptyque de Desclée de Brouwer.
Daniel Arasse note à juste titre la difficulté de représentation picturale de l’épisode, par la prégnance de la séduction dans la relation entre les deux protagonistes, voire de son érotisation. Cela n’a pas empêché la réalisation d’un nombre relativement important de tableaux (outre Le Titien, Le Corrège, Holbein, Giotto, Le Pérugin, Pontormo Rubens, Magnasco, Rembrandt, Del Sarto,…).

L’essence de l’esprit d’escalier étant d’être lent, je me suis souvenu, à l’entracte, d’un concert précédent par les mêmes interprêtes, et dans le même lieu, au cours duquel je fus littéralement frappé, émergent d’un flot d’ennui, par ce dialogue de Schütz, notamment l’échange de la révélation, d’une grande intensité, dramatique oserais-je dire, et véritablement prenant :

Dialogo per la Pascua (SWV 443)

Jesus: Weib, was weinest du ?
Marie: Sie haben mein Herren weggenommen und ich weiss nicht, wo sie ihn hingeleget haben. Sie haben Herren weggenommen.
Jesus: Maria !
Marie: Rabbouni !
Jesus: Rühre mich nicht an, denn ich bin noch nicht aufgefahren zu meinem Vater. Ich fahre auf. Ich fahre auf zu meinem Vater und zu eurem Vater, zu meinem Gott.


Si cette œuvre est d’une grande qualité, elle est aussi remarquable par la rareté, me semble-t-il, du thème représenté : Noli me tangere. Je crois en fait ne connaître aucune autre œuvre musicale sur ce sujet – Jean-Luc Nancy signale une Marie-Magdeleine de Massenet que je ne connais pas.

Pourtant, il est probablement plus aisé à un compositeur qu’à un peintre d’éviter l’écueil de l’excessive sensualité de la rencontre. Y aurait-il donc aussi une difficulté particulière de la représentation musicale de cet épisode ?
Il y a là certainement une question à creuser.