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mardi, 10 mai 2005

La salle Rothko de la Tate Modern


Rouges profonds, bruns sombres , noirs dramatiques.
La lumière et l’obscurité, l’obscurité contre la lumière, l’obscurité sous la lumière, la lumière dans l’obscurité.
Salle obscure, contemplation de la couleur, sensation de vibration, intensité, silence.







Dans le discours de Flaran, Renaud camus cite Frederic Matys Thursz ; celui ci parle de Rothko:
«Le déploiement de ces toiles demeure indélébilement gravé en moi comme l'essence même de la peinture en tant que signification
Ce n'est plus seulement la figuration, qui est ici dépassée, ou transcendée ; c'est l'abstraction elle-même : «Il y a au-dessus du physique de la peinture une spiritualité, une transcendance. Pour moi, la peinture, sa matière, sa couleur, sa lumière peuvent tout interpréter. Nous n'avons pas besoin de la figuration, de l'abstraction… La peinture par ses propres moyens peut diriger l'esprit vers l'inconnu.»
«La peinture est silence, écrit-il encore, sa couleur une intrusion comme l'est le bruit dans le royaume du silence. Pareille intrusion devient sensation, simulation, significations et dimensions simultanées qui ébranlent la fascination de l'absence vis-à-vis de la présence – un état élémentaire, mais non pas minimal, car l'élémentaire a la capacité du maximal.»

lundi, 09 mai 2005

Face à face à la Tate Modern


Jules Olitski - Instant Loveland



Claude Monet - Nymphéas


dimanche, 08 mai 2005

Saenredam et Vermeer


L’accrochage de la National Gallery de Londres est particulièrement intelligent, et offre de passionnantes rencontres et de multiples occasions à l’esprit de divaguer dans l’escalier.


C’est ainsi que l’Intérieur de la Grote Kerk à Haarlem de Pieter Saenredam est placé, sur les cimaises, entre les deux Jeunes femmes au virginal de Vermeer, l’une assise, l’autre debout.
De cette façon, la banalité de la juxtaposition simple des deux chefs-œuvres de Vermeer est évitée, tout en permettant leur rapprochement, qui est évidemment intéressant. La difficulté de trouver un tableau qui, à la fois, ait suffisamment de caractère pour ne pas pâtir d’un tel voisinage, mais ne soit pas non plus trop écrasant afin de ne pas nuire aux deux jeunes femmes s’exerçant à un art délicat dans un format modeste, a dû occasionner bien des insomnies au conservateur en charge de la question ; en tout cas je lui fait l’honneur de le croire au vu du résultat :



Une scène intimiste d’intérieur eut introduit des dissonances, un paysage hollandais eut été trop prosaïque, le genre religieux est bien entendu hors de question ; à la réflexion, un intérieur d’église s’impose ; à la fois intime – c’est la maison de Dieu – et offrant de larges espaces de respiration. Pieter Saenredam devient alors une évidence, par la précision de son dessin, et la tonalité générale de sa palette très claire, avec quelques contrastes forts.

C’est alors que me revint à l’esprit ce texte de Roland Barthes, lu récemment sur Terrains vagues:

"Il y a dans les musées de Hollande un petit peintre qui mériterait peut-être la renommée littéraire de Vermeer de Delft. Saenredam n'a peint ni des visages ni des objets mais surtout l'intérieur d'églises vides, réduites au velouté beige et inoffensif d'une glace à la noisette. Ces églises, où on ne voit que des pans de bois et de chaux, sont dépeuplés sans recours, et cette négation-là va autrement loin que la dévastation des idoles. Jamais le néant n'a été si sûr. Ce Saenredam aux surfaces sucrées et obstinées récuse tranquillement le surpeuplement italien des statues, aussi bien que l'horreur du vide professée par les autres peintres hollandais. Saenredam est à peu près un peintre de l'absurde, il a accompli un état privatif du sujet, plus insidieux que les dislocations de la peinture moderne. Peindre avec amour des surfaces insignifiantes et ne peindre que cela, c'est déjà une esthétique très moderne du silence."
Roland Barthes, Essais critiques



Le XXIe siècle n’est pas encore sorti de la hiérarchie des genres telle qu’elle a pu exister jadis, et très formellement à certaines époques ; et cruellement pour l’ambition de Greuze par exemple.
Cependant, on peut reconnaître que le génie, et la renommée littéraire de Vermeer ne tiennent pas uniquement aux sujets qu’il a peint, mais surtout à la manière dont il l’a fait.
D’autre part, dans sa description, précise, d’églises hollandaises vides et claires – en fait vidées de leurs statues et de leurs vitraux par l’iconoclasme – Saenredam fait œuvre, en l’occurrence, de réalisme, bien plus que, par exemple, son compatriote et contemporain de Witte, beaucoup plus sujet à l’invention.

Vouloir faire de Saenredam un précurseur des dislocations de la peinture moderne et d'une esthétique du silence me semble être un anachronisme, par méconnaissance du contexte, ce qui le rend peu pertinent.

vendredi, 06 mai 2005

Un regret à ma ceinture


C’est en 1991, lors d’un voyage à Rome, que j’ai découvert Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage. Nulle précocité, ni originalité de ma part, me direz-vous, et vous aurez raison !


La vision de la Crucifixion de Pierre et de la Conversion de Paul dans l’église Santa Maria del Popolo fut pour moi un grand choc. La confrontation de l’ombre et de la lumière, la dramaturgie de la composition, l’humanité des personnages bibliques, les corps…
Je n’aurais certainement pas la prétention d’analyser pourquoi ces tableaux sont des chefs-d’œuvres, d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais le faire (vous pouvez lire le classique Roberto Longhi). Je pense cependant qu’il est nécessaire de se méfier d’une interprétation par trop psychologique et autobiographique (les faits divers, la sexualité, la vie dissolue…) de l’œuvre caravagesque.












C’est à Rome, où il exerça essentiellement son activité jusqu’en 1606, que peuvent s’admirer une grande partie des toiles du Caravage : c’est ainsi que j’ai vu, entre autres, la Vocation et le Martyre de Saint Matthieu à Saint Louis-des-Français, la Madone de Lorette à Sant’Agostino, la Mise au tombeau à la pinacothèque vaticane, Saint Jérôme, David et Saint Jean-Baptiste à la galerie Borghèse.

Hors de Rome (orbi), ses œuvres sont présentes dans diverses collections en Europe et aux Etats-Unis. Depuis 1991, je n’ai jamais manqué, lors de mes quelques pérégrinations européennes, d’aller contempler les tableaux présents ici ou là : au Louvre bien sûr, à Nancy, à Madrid, à Dublin. Je ne pouvais donc manquer la grande exposition Caravage, les dernières années organisée par la National Gallery à Londres.


En effet, si l’on peut avoir à Rome une vision cohérente du travail du Caravage jusqu’en 1606, la période suivante, de 1606 à sa mort en 1610, comprend des œuvres dispersées sur les lieux même où l’artiste a peint (Naples, la Sicile, Malte) et dans divers musées européens et américains. L’exposition londonienne est donc une occasion unique de confrontation des tableaux. Dès la première salle mettant côte à côte la version du Souper à Emmaus de Londres (1601) et celle de Brera (1606), la pertinence du thème les dernières années apparaît comme une évidence.
Le Caravage évolue vers un assombrissement de la lumière, une raréfaction des couleurs, une gravité plus grande des personnages, une mise en scène moins spectaculaire, qui se retrouveront de façon absolument cohérente dans toutes les œuvres exposées.



Il manque seulement à ce remarquable panorama, pour être complet, les œuvres maltaises : la Décollation de Saint Jean-Baptiste et Saint Jérôme, trop difficiles à transporter semble-t-il (quoique cela paraisse étonnant pour ce dernier tableau).
Voilà une absence qui va perpétuer une frustation déjà ancienne.

«Je porte à la ceinture des regrets sans partage / enfouis avec moi dans la marée des jours»
«Monterchi n'est rien sans la madone del Parto, ni Urbin sans la flagellation, Padoue sans l'Arena, Volterra ou Borgo San Sepolcro sans Rosso, Colmar sans Grünewald, Tolède sans le Greco, Malte sans le Caravage, etc.»
(Renaud Camus Vaisseaux brulés 2-2-37-1)



Eh oui, je fus à Malte, je visitai la cathédrale Saint Jean de la Valette. Mais en 1989, ignorant, je ne vis point le Caravage. Depuis, je porte à la ceinture un regret sans partage.

vendredi, 08 avril 2005

Anachronique


Hors du temps, ou plus exactement hors de leur temps, tels sont les anachroniques.

Renaud Camus a longtemps nourri un fantasme d’exposition de peintres anachroniques, fantasme que l’on retrouve régulièrement dans ses Journaux autour de 1990. Dans cette exposition aurait pu figurer, en position centrale, peut-être, tant il est l’archétype de l’anachronique, Alessandro Magnasco, peintre génois à la charnière entre les XVIIe et XVIIIe siècles (1667-1749).
Parmi les peintres régulièrement cités par Camus (Cecco Bravo, Luca Cambiaso, Mastelletta, fra Galgario), c’est le seul dont j’ai pu voir les œuvres, notamment les deux scènes de galériens du musée des Beaux-Arts de Bordeaux (L’arrivée des galériens dans la prison de Gènes et L’embarquement des galériens dans le port de Gènes).


Et en effet, Magnasco n’appartient pas à son époque, à l’évidence, à la fois par sa thématique (en particulier les scènes d’horreur) et sa technique (l’abandon progressif de la couleur). La confrontation avec la peinture aimable de la première partie du XVIIIe siècle est détonnante et l’on aurait du mal à l’identifier à son temps.
Magnasco, et en ceci il est remarquable, est un anachronique à la fois rétrospectif (l’influence des Désastres de la Guerre de Jacques Callot est patente), et prospectif (les peintures romantiques ne sont pas loin).

Par le plus grand des hasards, alors que je pensais à la présente note inspirée par l’écoute de différents interprètes de Bach au piano, la charmante (I presume) VS transcrivait partiellement sur le site de la Société des lecteurs de Renaud Camus le cinquième entretien entre celui-ci et Jean-Pierre Salgas, diffusé le 1er octobre 1992 sur France Culture.
Renaud Camus y développe sa conception des artistes anachroniques (ou anachronistes), notamment en évoquant sa prédilection pour Bonnefoy, Balthus, Chostakovitch, considérés par lui comme faisant partie de cette catégorie, car indifférents à leur temps, ignorés, ou ignorants, de la modernité (des anachroniques rétrospectifs, donc).


C’est précisemment ce caractère totalement anachronique qui m’a frappé à l’écoute du dernier enregistrement de Cyprien Katsaris, consacré à des transcriptions pour le piano d’œuvres de Jean-Sébastien Bach. Résolument hors de notre temps, tant pour le choix des partitions que pour les partis pris d’interprétation, ce pianiste l’est assurément.
Ecoutez son arrangement en forme de Burlesque de la Badinerie de la Suite en si mineur BWV 1067 : n’a-t-elle pas cet inimitable parfum d’autrefois, où l’on osait s’emparer à bras le corps tout à la fois de Bach et du piano ?

Ce disque m’a fait irrésistiblement pensé à une magnifique soirée à la Roque d’Anthéron, en 1991, lors de laquelle Shura Cherkassky a interprété la sixième partita BWV 830. L’élégance le disputait à la nonchalance, la liberté à la précision diabolique et à la virtuosité sans faille. Quelle classe, mais déjà à l’époque quel anachronisme !


Cependant, je fais certainement là preuve d’un excès de classification, une de mes grandes manies. Le dernier mot reviendra à Renaud Camus, répondant à Jean-Pierre Salgas:
«J’aurais le plus grand mal à me définir et je suis bien content que cette charge ne me revienne pas.»