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dimanche, 22 janvier 2006

Pianolistes

Je sacrifie une fois encore à la manie des listes:

Malcom Bilson – Stephen Bishop-Kovacevich – Claudio Arrau – Pascal Devoyon – Paul Badura-Skoda – Abdel Raman El Bacha - Keith Jarret – François-René Duchâble – Rudolf Serkin – Radu Lupu – Katia Labèque – Marielle Labèque – Martial Solal – Vlado Perlemuter - Mikhaël Rudy – Gerhard Oppitz - France Clidat – Bruno-Leonardo Gelber – Kristian Zimmermann – Maria-Joao Pirès – Alicia de Larrocha – Murray Perahia – Alfred Brendel - Nikita Magaloff – Jean-Louis Clément – Kristin Merscher – Lethea Cifarelli – Anders Brunsvik – Caroline Haffner – Joseph Villa – Sviatoslav Richter – Annie Fischer – Philippe Corre – Edouard Exerjean – Shura Cherkassky – Nelson Freire – Catherine Collard – Jean-Claude Pennetier – Jean-Marc Luisada – Christian Zacharias – Lazar Berman – Ivo Pogorelich – Martha Argerich – Alexandre Rabinovitch – Benoit Ziegler – Dmitri Antonovitch – Nicholas Angelich – Jean-Efflam Bavouzet – Frank Braley – Claire Désert – François-Frédéric Guy – Emmanuel Strosser – Barry Douglas – Alain Planès – Alexandre Tharaud – Piotr Anderszewski – Andreas Staier – Andreas Haefliger – Gary Ohlsson – Francesco Tristano Schlimé – Maurizio Pollini – Evgueni Kissin





Précisons la règle du jeu de la liste : il s'agit de tous les pianistes que j'ai vus et entendus en concert - récital ou concerto -, dans de la musique classique ou contemporaine, dans l'ordre chronologique de leur apparition, sans répétitions (j'en ai vu certains plusieurs fois), à l'exclusion de la musique de chambre (sauf deux pianos ou quatre mains) et des accompagnateurs de chanteurs. Il n'y a pas non plus les clavecinistes, organistes ou pianistes de jazz.

jeudi, 19 janvier 2006

Quelle belle main gauche !


Hier soir, premier essai d’un aller-retour Chartres Paris pour assister à un concert (en passant, une remarque à l’attention de la région Centre et de la Sncf : pas de train entre 22h30 et 0h30, c’est assez peu opportun).
Donc, Francesco Tristano Schlimé dans la grande salle de l’Unesco (Ben et M. Gvgvsse y sont aussi, je m’en doute, mais je ne les connais pas, et je n’ai pas eu le temps de prévenir l’un ou l’autre de ma présence, m’étant décidé à la dernière minute) et dans un programme qui suscite à lui seul déjà l’intérêt : Frescobaldi, Bach, Haydn, Francesconi, Schlimé.

Autant dire tout de suite que je suis moins enthousiaste que Gvgvsse, mais je pense comme lui que ce jeune homme a un grand avenir devant lui s’il évite quelques écueils.

Je n’ai jamais été fou de Frescobaldi, mais en plus la prestation de FTS, malgré ses qualités de virtuosité, de clarté, de dynamique, ne fait que confirmer, pour moi, que cette musique a tout à perdre à être jouée au piano. Certes, elle y gagne une certaine modernité, mais au prix d’apparaître selon les moments, soit confuse, soit d’une grande pauvreté, les rares passages intéressants rappelant Bach, en moins bien.

La sixième suite française de Bach est justement le premier sommet du concert – tant mieux, c’est en grande partie pour cela que j’ai fait le voyage. Je commence à y percevoir les caractéristiques du jeu du pianiste : une sonorité magnifique et très variée, une volonté de rechercher les ruptures, et de les accentuer (dramatisation des silences et des attaques, dynamique importante des nuances et des tempos, jeu de la main droite assez sec), au risque de déstructurer la pièce, risque évité par le jeu de la main gauche, présent sans dominer, nuancé, plus legato, et qui assure la tenue et la cohérence de l’ensemble. Une lecture de Bach intelligente, dramatique et émouvante.

Mais dès la pièce suivante, les écueils d’un tel jeu apparaissent : la recherche et l’exacerbation des ruptures dans la sonate Hob. XVI n° 48 de Haydn tiennent du pléonasme. A vouloir trop renforcer les contrastes et les surprises, déjà tellement présentes, FTS aboutit à rendre bizarre une œuvre qui ne l’est certainement pas, même si elle est éminemment moderne à son époque.
Mais quelle belle main gauche !

L’andante avec variations en fa mineur du même Haydn est dans le droit fil, mais la déstructuration à l’œuvre encore une fois fait perdre la tension du discours, et donc son intérêt.

L’intérêt revient, et très fort, avec Mambo de Luca Francesconi, qui est une sorte de prolifération musicale à partir d’une cellule de base tirée du Turkish Mambo de Lennie Tristano. Toutes les qualités de puissance, de timbre, de virtuosité, mais néanmoins de clarté, de FTS contribuent à rendre disponible la langue du compositeur (cf. ma note précédente !) auprès d’un auditoire certainement guère habitué à ce genre de musique.

Après un tel apogée, les improvisations et compositions de Francesco Schlimé lui-même paraissent bien convenues, entre musique répétitive, jazz, et jeu sur les cordes façon piano préparé. Il aurait bien tort, à mon avis, à trop s’engager sur cette voie à la Friedrich Gulda.


Mais quelle belle main gauche !



18 janvier 2006 Frescobaldi, Bach, Haydn, Francesconi, Schlimé par Francesco Tristano Schlimé dans la grande salle de l'UNESCO - Paris

mercredi, 18 janvier 2006

Où il est question (6)

Où il est question de l'entretien de la langue de Jean-Sébastien Bach.


A l’écoute de plusieurs émissions récentes sur France Musique, lors desquelles éclatait l’animosité de quelques critiques ou animateurs à l’égard de certains interprètes appartenant au mouvement dit « baroque » - en particulier Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt -, j’avais envisagé la rédaction d’une note de réfutation, dans la continuité de Où il est question.
En effet, les arguments employés me semblaient d'une part parfaitement éculés, mais aussi assez symptomatiques à bien des égards d’une certaine forme de raisonnement qui, au lieu d’affirmer simplement ces préférences en matière d’interprétation, prétend en outre démontrer que toute autre proposition s’écartant de la tradition – sans bien définir en quoi elle consiste – est nulle et non avenue. J’appelle cela de la mauvaise foi et de l’intégrisme.
Mais les choses étant ce qu’elles sont, manque de temps, manque d’envie, lassitude, l’ébauche du texte restât en l’état (j’écris la présente note, à la main, dans le TGV qui me ramène à Chartres, au dos de cette esquisse).

Cependant, la lecture récente de l’Oratorio de Noël de Göran Tunström (texte magnifique dont je dois la découverte à ennairam, grâce lui en soit rendue) me fait entrevoir une perspective nouvelle pour moi, que je vais essayer de développer, et qui va me ramener à la question de la recherche de l’authenticité en matière de musique ancienne et baroque.
Au début du roman, Victor Sunne vient diriger l’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach dans sa ville natale. Avant le début de la répétition générale, il expose quelques idées à ses choristes et instrumentistes (c'est moi qui souligne) :

«Jean-Sébastien Bach se servit des vibrations de l’air pour créer un état invisible qui englobe le mande entier – l’Etat de Dieu – et il y pénétra de son vivant, tout comme le peintre chinois entre dans son tableau», écrit Oskar Loerke.
Çà, c’était Bach. Mais qui étaient-ils, ceux qui avaient suffisamment de force pour maintenir vivantes les « catégories de l’allégresse » ? Qui entretient la langue pour qu’elle reste disponible, toujours, année après année ?


Sans vraiment en percevoir tous les tenants et aboutissants, cette phrase m’a véritablement frappée, par sa simplicité et sa qualité de précipité de notions que je ressasse depuis longtemps autour de l’interprétation des œuvres de Bach.
La postface du traducteur, Marc de Gouvenain, vient opportunément apporter un éclairage pertinent :

Entretenir : un mot qui ici convient étonnamment, dans ces différents sens : maintenir, prolonger – c’est de la vie qu’il s’agit, de survivre ; caresser : entretenir une illusion, une utopie, refuser la mort des êtres chers ; nourrir enfin, enrichir, embellir.


Tout ce que je pourrai rajouter ne sera que vaine glose. Mais tentons la gageure, car je crois le concept d’entretien fertile.
Il s’agit bien en effet, pour un interprète, de rendre disponible la langue du compositeur. Pour cela, il faut qu’il la comprenne, et pour qu’il la comprenne, il faut qu’il l’entende, et qu’il l’écoute.
Entendre, écouter, comprendre la langue de Jean-Sébastien Bach, l’entretenir, la maintenir en vie, ce n’est pas écouter Mendelssohn relisant la Passion selon Saint Matthieu, ni Brahms, ni Bruckner, ni Webern, ni Reger… C’est Bach qu’il faut écouter, la société dans laquelle il a vécu, ou contre laquelle il a lutté, et avec les moyens dont il disposait ; c’est sa foi qu’il faut entendre, c’est sa rhétorique musicale qu’il faut comprendre. C’est ce à quoi musicologues et interprètes – Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt parmi tant d’autres – se sont attachés depuis cinquante ans et plus, ce qui nous permet aujourd’hui d’approcher la langue de Bach au plus près de l’original.
Illusion et utopie, bien sûr, car la vérité est inaccessible – quelle vérité d’ailleurs –, mais illusion et utopie qu’il convient d’entretenir, car cesser de chercher, cesser de s’interroger, se contenter du déjà entendu, c’est faire mourir à coup sûr la langue de Bach.

Je me garde bien cependant de tout intégrisme, car il s’agit bien de rendre disponible, année après année, à un auditeur chaque instant contemporain, et chaque fois différent. Et pour cela, il faut aussi nourrir, enrichir, embellir – entretenir – cette langue, tant par l’écoute des traces laissées par le passé – Mendelssohn, Brahms ou Webern – que par la prise en compte de la sensibilité d’aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle les interprétations d’Harnoncourt et de Leonhardt ont été nécessaires, quoique l’on en pense maintenant, et celles d’Herreweghe et de Gardiner continuent d’être indispensables.
C’est la raison pour laquelle Furtwängler est incontournable dans la Passion selon Saint Matthieu, car il a certainement compris la foi de Bach, et Alexandre Tharaud est magnifique dans Bach comme dans Rameau, car il ajoute à une connaissance de la langue originale du compositeur, une vision contemporaine des œuvres.


<Où il est question de l'entretien de la langue de Jean-Sébastien Bach.





samedi, 14 janvier 2006

De la musique et de l'inégalité

Pour faire plaisir à certains détracteurs de l'égalité du tempérament, cette citation de Pascal Quignard, extraite de Vie secrète :
Le piano n'est pas un instrument de musique. Là où l'unisson est toujours faux, l'octave de même, la sensible toujours fausse, ne peut pas régner quelque chose qui reçoive le nom de musique.

Il va sans dire que je ne suis pas d'accord !

10:30 Publié dans Brève | Lien permanent | Commentaires (9)

lundi, 09 janvier 2006

Vocalises autour de la flamme

2005 a vu une moisson de superbes volumes écrits par Pascal Quignard et édités par les éditions Galilée, l'écriture et l'édition étant pour une fois au diapason.
Je viens d'achever Georges de La Tour, édition définitive d'un texte paru précedemment en 1991. Le feu prend au début de l'ouvrage, qui s'achève par le "plus rien" qui fait le coeur de la flamme. Cette flamme qui est l'occasion, au chapitre II, d'un rapprochement qui m'a frappé, ne m'étant jamais venu à l'esprit auparavant.

Il y eut deux grandes chandelles dans notre histoire et elles ont coïncidé dans le temps : les leçons de ténèbres de la musique baroque, les chandelles des toiles de La Tour.
Les offices des Ténèbres, lors de la Semaine sainte, constituaient un rite au cours duquel on éteignait une à une, dans le chant, les lettres hébraïques qui forment le nom de Dieu et, une à une, grâce au souffle d'un enfant en robe rouge et en surplis, les bougies qui les représentaient dans l'obscurité de l'agonie. On chantait les Lamentations de Jérémie et les soupirs de Madeleine. Les versets des Lamentations étaient entrecoupés de vocalises sur les lettres hébraïques placées en acrostiche :

Aleph. Moi, il m'a conduit dans la ténèbre
Sans chandelle, il m'a fait marcher.
Bèt. Il a consumé ma chair et ma peau.
Il a cerné ma tête de fatigue :
II m'a fait habiter les ténèbres
Avec les morts de jadis.

Tomas de Victoria, Thomas Tallis, Charpentier, Lambert, Delalande, Couperin, Jean Gilles ont composé les plus belles Leçons de Ténèbres. La première moitié du XVIIe siècle fut à la fois une Renaissance poursuivie et une immense vague religieuse. Cette vague s'élève et s'accroît de la fin des guerres de Religion à la mort de Louis XIII, c'est-à-dire de 1594 à 1643, ou encore jusqu'à la mort de Mazarin, en 1661. Les images de Georges de La Tour ne peuvent se comprendre sans Bérulle, sans Saint-Cyran ou sans Esprit. Ils croyaient à l'idée d'une reviviscence de la vraie piété initiale, sévère, antique, pure, majestueuse. Pour la Contre Réforme, à l'idée de restauration du christianisme des premiers siècles s'est toujours mêlée une rêverie sur la Rome primitive.
Il fit de la nuit son royaume.
C'est une nuit intérieure : un logis humble et clos où il y a un corps humain qu'une petite source de lumière éclaire en partie.
Telle est l'unité de l'épiphanie : 1. la nuit, 2. la lueur, 3. le silence, 4. le logis clos, 5. le corps humain.


















[Aleph.] Je suis l’homme qui ai vu l’affliction par la verge de sa fureur.
Il m’a conduit et amené dans les ténèbres, et non dans la lumière.
Certes il s’est tourné contre moi, il a tous les jours tourné sa main [contre moi].

















[Beth.] Il a fait vieillir ma chair et ma peau, il a brisé mes os.
Il a bâti contre moi, et m’a environné de fiel et de travail.
Il m’a fait tenir dans des lieux ténébreux, comme ceux qui sont morts dès longtemps.

















[Guimel.] Il a fait une cloison autour de moi, afin que je ne sorte point ; il a appesanti mes fers.
Même quand je crie et que j’élève ma voix, il rejette ma requête.
Il a fait un mur de pierres de taille [pour fermer] mes chemins, il a renversé mes sentiers.
















[Daleth.] Ce m’est un ours qui est aux embûches, et un lion qui se tient dans un lieu caché.
Il a détourné mes chemins, et m’a mis en pièces, il m’a rendu désolé.
Il a tendu son arc, et m’a mis comme une butte pour la flèche.



















[He.] Il a fait entrer dans mes reins les flèches dont son carquois est plein.
J’ai été en risée à tous les peuples, et leur chanson, tout le jour.
Il m’a rassasié d’amertume, il m’a enivré d’absinthe.

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Cependant, la vraie piété sévère, antique, pure, majestueuse qu'exprime la première moitié du XVIIe siècle s'est vite transformée en des sentiments plus sensuels et moins purs. En effet, les Leçons de ténèbres ont permis, tant aux compositeurs qu'aux auditeurs, de contourner l'interdiction de la musique de théâtre pendant la Semaine sainte par l'exacerbation de la virtuosité du chant, en particulier des vocalises sur les lettres hébraïques des Lamentations de Jérémie.
Et au délà du dénuement apparent, de la nudité domestique, de l'omniprésence de la mort, ne trouve-t-on pas aussi dans les toiles de Georges de La Tour cette tentation de la virtuosité, ces vocalises autour de la flamme de la bougie ?


Georges de La Tour Pascal Quignard - Editions Galilée (Chapitre II)
Lamentations de Jérémie (Lamentations et prière du Prophète) Traduction David Martin (1744)