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mercredi, 18 janvier 2006

Où il est question (6)

Où il est question de l'entretien de la langue de Jean-Sébastien Bach.


A l’écoute de plusieurs émissions récentes sur France Musique, lors desquelles éclatait l’animosité de quelques critiques ou animateurs à l’égard de certains interprètes appartenant au mouvement dit « baroque » - en particulier Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt -, j’avais envisagé la rédaction d’une note de réfutation, dans la continuité de Où il est question.
En effet, les arguments employés me semblaient d'une part parfaitement éculés, mais aussi assez symptomatiques à bien des égards d’une certaine forme de raisonnement qui, au lieu d’affirmer simplement ces préférences en matière d’interprétation, prétend en outre démontrer que toute autre proposition s’écartant de la tradition – sans bien définir en quoi elle consiste – est nulle et non avenue. J’appelle cela de la mauvaise foi et de l’intégrisme.
Mais les choses étant ce qu’elles sont, manque de temps, manque d’envie, lassitude, l’ébauche du texte restât en l’état (j’écris la présente note, à la main, dans le TGV qui me ramène à Chartres, au dos de cette esquisse).

Cependant, la lecture récente de l’Oratorio de Noël de Göran Tunström (texte magnifique dont je dois la découverte à ennairam, grâce lui en soit rendue) me fait entrevoir une perspective nouvelle pour moi, que je vais essayer de développer, et qui va me ramener à la question de la recherche de l’authenticité en matière de musique ancienne et baroque.
Au début du roman, Victor Sunne vient diriger l’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach dans sa ville natale. Avant le début de la répétition générale, il expose quelques idées à ses choristes et instrumentistes (c'est moi qui souligne) :

«Jean-Sébastien Bach se servit des vibrations de l’air pour créer un état invisible qui englobe le mande entier – l’Etat de Dieu – et il y pénétra de son vivant, tout comme le peintre chinois entre dans son tableau», écrit Oskar Loerke.
Çà, c’était Bach. Mais qui étaient-ils, ceux qui avaient suffisamment de force pour maintenir vivantes les « catégories de l’allégresse » ? Qui entretient la langue pour qu’elle reste disponible, toujours, année après année ?


Sans vraiment en percevoir tous les tenants et aboutissants, cette phrase m’a véritablement frappée, par sa simplicité et sa qualité de précipité de notions que je ressasse depuis longtemps autour de l’interprétation des œuvres de Bach.
La postface du traducteur, Marc de Gouvenain, vient opportunément apporter un éclairage pertinent :

Entretenir : un mot qui ici convient étonnamment, dans ces différents sens : maintenir, prolonger – c’est de la vie qu’il s’agit, de survivre ; caresser : entretenir une illusion, une utopie, refuser la mort des êtres chers ; nourrir enfin, enrichir, embellir.


Tout ce que je pourrai rajouter ne sera que vaine glose. Mais tentons la gageure, car je crois le concept d’entretien fertile.
Il s’agit bien en effet, pour un interprète, de rendre disponible la langue du compositeur. Pour cela, il faut qu’il la comprenne, et pour qu’il la comprenne, il faut qu’il l’entende, et qu’il l’écoute.
Entendre, écouter, comprendre la langue de Jean-Sébastien Bach, l’entretenir, la maintenir en vie, ce n’est pas écouter Mendelssohn relisant la Passion selon Saint Matthieu, ni Brahms, ni Bruckner, ni Webern, ni Reger… C’est Bach qu’il faut écouter, la société dans laquelle il a vécu, ou contre laquelle il a lutté, et avec les moyens dont il disposait ; c’est sa foi qu’il faut entendre, c’est sa rhétorique musicale qu’il faut comprendre. C’est ce à quoi musicologues et interprètes – Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt parmi tant d’autres – se sont attachés depuis cinquante ans et plus, ce qui nous permet aujourd’hui d’approcher la langue de Bach au plus près de l’original.
Illusion et utopie, bien sûr, car la vérité est inaccessible – quelle vérité d’ailleurs –, mais illusion et utopie qu’il convient d’entretenir, car cesser de chercher, cesser de s’interroger, se contenter du déjà entendu, c’est faire mourir à coup sûr la langue de Bach.

Je me garde bien cependant de tout intégrisme, car il s’agit bien de rendre disponible, année après année, à un auditeur chaque instant contemporain, et chaque fois différent. Et pour cela, il faut aussi nourrir, enrichir, embellir – entretenir – cette langue, tant par l’écoute des traces laissées par le passé – Mendelssohn, Brahms ou Webern – que par la prise en compte de la sensibilité d’aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle les interprétations d’Harnoncourt et de Leonhardt ont été nécessaires, quoique l’on en pense maintenant, et celles d’Herreweghe et de Gardiner continuent d’être indispensables.
C’est la raison pour laquelle Furtwängler est incontournable dans la Passion selon Saint Matthieu, car il a certainement compris la foi de Bach, et Alexandre Tharaud est magnifique dans Bach comme dans Rameau, car il ajoute à une connaissance de la langue originale du compositeur, une vision contemporaine des œuvres.


<Où il est question de l'entretien de la langue de Jean-Sébastien Bach.





Commentaires

Cela n'a pas grand chose à voir : H&F me demande un mot de passe pour accéder à votre site ; je clique sur "annuler", et le tour est joué. Moi y en a pas comprendre...

Écrit par : Guillaume | mercredi, 18 janvier 2006

Monsieur Guillaume, votre cas n'est pas isolé.

Écrit par : Mauricette Beaussart | mercredi, 18 janvier 2006

idem que les autres : au secours, faites quelque chose ou donnez-nous le mot de passe ! Voulez-vous vous débarrasser de nous... je suis triste.

Écrit par : samantdi | mercredi, 18 janvier 2006

Voilà, voilà, c'est réglé. C'est tout ce que vous trouvez à dire sur cette note qui m'a demandé tellement d'efforts ?
Et puis pourquoi tout le monde me vouvoie maintenant ?

Écrit par : Philippe[s] | mercredi, 18 janvier 2006

Le vouvoiement augure bien de la qualité de vos lecteurs, Philippe[s], c'est simple. De ces gens qui chuchotent encore dès qu'ils pénètrent dans une édifice religieux, par exemple. Ils deviennent rares, ne vous plaignez pas.

Écrit par : Dominique Autié | mercredi, 18 janvier 2006

"Il s’agit bien en effet, pour un interprète, de rendre disponible la langue du compositeur. Pour cela, il faut qu’il la comprenne, et pour qu’il la comprenne, il faut qu’il l’entende, et qu’il l’écoute."
Et il faut qu'il la "parle" à son tour. Organiquement, autant que "syntaxiquemement" ou "lexicalement".
La langue, ce n'est pas seulement le dictionnaire, nous le savons bien. Ce sont des gorges, des cordes vocales, des poitrines pour la proférer, des imaginaires à l'œuvre pour la recomposer sans cesse. Écrire, sans cesse, sans relâche, la langue de Bach, la maintenir chaude et palpitante de vie, c'est bien cela. Votre cheminement dans la foulée de Göran Tunström (à qui vous venez de valoir un nouveau lecteur – j'ai commandé à l'instant L'Oratorio) chante juste à cause de cela : le lien musique, langue, vie.
Le texte fonctionne sur les mêmes assises, nous somme des mêmes impératifs : transmettre la langue organique, comme des coureurs de relais transmettraient un témoin, mais vivant, qui gigote… (c'est le relais, non les coureurs, qui est chronométré, en compétition).

Écrit par : Dominique Autié | mercredi, 18 janvier 2006

Contrairement à celles de Loussier, Lambarena-Bach to Africa... voilà une visite de Bach qui me séduit:

http://minilien.com/?P617laiH1F

A bientôt la radio "Bach, seul" ?

Écrit par : Léon | jeudi, 19 janvier 2006

Bonjour,
Je découvre ce blog, j'écoute la musique et je lis.
J'ai entendu il y a quelques années une interprétation assez calamiteuse de la passion selon St Jean à Lyon où j'habite. Mais malgré tout, j'ai ressenti ce que Bach avait voulu exprimer (du moins je l'espère en profane que je suis) car pour moi, musique ou autre, tout marche à l'émotion et celle là me touche au plus profond de mon être.
Merci pour toutes ces précisions.

Écrit par : Thelma | jeudi, 19 janvier 2006

Personne ne se dévoue pour poser la question, alors je m'y colle : où est passé le "où il est question (5)" ?

Écrit par : Bladsurb | samedi, 21 janvier 2006

merci pour le texte, surtout s'il vous a demandé tant d'efforts. Merci surtout pour la conclusion qu'il amène. Les ricanements desdits critiques m'énervent tellement que j'aura tendance à trouver plus de qualités qu'elles n'en ont sans doute à certaines interprétations. Heureusement Gardiner est souvent louangé

Écrit par : brigetoun | samedi, 21 janvier 2006

Bach "seul" risque de rester muet un certain temps...
Erreur il y eut, erreur il restera, et le (5) d'Où il est question demeurera virtuel (c'est sûrement le meilleur des 6)

Écrit par : Philippe[s] | dimanche, 22 janvier 2006

Les nouvelles suites de Rameau par Alexandre Tharaud ? Superbe. Bravo pour la note.

Heu, par contre (pour Léon) le Lambarena Bach to Africa, on me l'a offert... J'aime Bach et aussi la musique africaine. Mais le mélange s'est révélé totalement indigeste pour moi.

Écrit par : Laurent | samedi, 28 janvier 2006

Oui je n'ai pas appréçié non plus ce Lambarena (ma phrase prête à confusion)
Je parlais des "Variations Goldberg" par Uri Caine...

Écrit par : Léon | dimanche, 29 janvier 2006

Bonjour,
Je trouve l'aria des variations Goldberg très curieuse, par rapport au reste des compositions de Bach que je connais. Elle est très agréable et très simple.
Etant donné que plus j'écoute Bach, plus j'y entend les thèmes, effets et sonorités de ses prédécesseurs ou de ses contemporains (Vivaldi, Telemann, Handel, Raison), j'ai tendance à me demander si l'aria n'est pas une reprise ou une transcription.
Vous n'êtes pas sans ignorer qu'une part extrêmement importante de l'oeuvre de JS Bach est faite de copies et de transcriptions.

Écrit par : BENJ | mardi, 28 février 2006