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samedi, 14 janvier 2006

De la musique et de l'inégalité

Pour faire plaisir à certains détracteurs de l'égalité du tempérament, cette citation de Pascal Quignard, extraite de Vie secrète :
Le piano n'est pas un instrument de musique. Là où l'unisson est toujours faux, l'octave de même, la sensible toujours fausse, ne peut pas régner quelque chose qui reçoive le nom de musique.

Il va sans dire que je ne suis pas d'accord !

10:30 Publié dans Brève | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

Vous nous laissez sans voix…
Je recherche en vain le passage de Vie secrète. Car il me semble – et je ne serai sans doute pas le seul à le lire ainsi – que ce petit texte dit le contraire de ce que Quignard entend dire ! que l'indianiste et musicologue Alain Daniélou formulait ainsi :
« La pauvreté théorique du système sonore européen est donc extrême, et les déviations du système employées instinctivement par les exécutants à des fins d’expression n’ont jamais été analysées scientifiquement. Il est très intéressant , par exemple, de mesurer électroniquement les intervalles utilisées par des violonistes et surtout des chanteurs lorsqu’ils sont impliqués émotionnellement dans la musique. Les gammes qu’ils emploient alors n’ont plus rien à voir avec la gamme tempérée… » (« Origines et pourvoirs de la musique », collection « Les Cahiers du Mleccha », Éditions Kailash, 2003, p. 74.)
Quignard signifierait donc qu'il est impossible de contraindre à la moindre « déviation » un piano strictement accordé au tempérament égal. Or, je lis le contraire : le piano serait organiquement un instrument qui sonne « faux ». Ce qui est absurde.
Mais nous sommes chez Quignard ! Il convient d'ouvrir son Gaffiot et sa grammaire latine…
Éclairez-nous, toutefois.

Écrit par : Dominique Autié | dimanche, 15 janvier 2006

Je n'ai pas le temps de répondre en détail, mais ce que disent à la fois Quignard et Daniélou (et vous aussi, me semble-t-il), c'est que le tempérament égal (le "système sonore européen") est peu expressif. Le piano étant un instrument rigoureusement tempéré (contrairement aux instruments à cordes, à vents...) ne peut donc pas produire de musique, selon Quignard. Il faut rappeler que ce tempérament n'a pas pour but la justesse, mais l'égalité entre toutes les tonalités (ce qui produit un grand nombre d'accords "faux").

Écrit par : Philippe[s] | dimanche, 15 janvier 2006

Ressentir comme "faux" les accords du piano, ce peut être la malédiction des oreilles absolues ; pour les autres, le cerveau est habituellement doté d'immenses capacités de post-traitement qui permet de trouver de la musique au-delà de l'exactitude mathématique pure (je me demande ce que Quignard pense des pianos préparés, ou de Helmut Lachenmann...).

Qui plus est, l'octave, sur un piano accordé en tempérament égal, est juste, il me semble (c'est le seul accord qui le soit ...).

Écrit par : Bladsurb | lundi, 16 janvier 2006

Ting !

Écrit par : John Cage | lundi, 16 janvier 2006

D.A.: Dans l'édition Folio de Vie secrète, ce passage se retrouve à la page 35.

Écrit par : Kate | lundi, 16 janvier 2006

N'étant pas musicien et n'ayant pas l'oreille absolue, j'aime le piano. Toutefois, à l'antenne de Radio-Canada, un peu plus tôt aujourd'hui, un pianiste-animateur improvisait au piano et je me suis dit que ceux qui trouvaient que le piano était un instrument barbare avaient peut-être raison ; puis je me suis vite repris en pensant que, cette fois-ci, ce n'était pas le piano qui était un instrument de chaudronnier mais le pianiste qui en jouait comme d'une casserole.

Écrit par : Alcib | lundi, 16 janvier 2006

Je vais de ce pas lire la page 35 de Vie secrète...

Écrit par : Alcib | lundi, 16 janvier 2006

Dogmatisme risible.

Écrit par : Ben | mardi, 17 janvier 2006

Merci, Kate. Je comprends mieux, désormais, pourquoi le passage reproduit ici par Philippe[s] me gênait tant. Sa brève réponse confirmait le sens que l'œuvre de Quignard – et sa pratique personnelle du vioioncelle – induisaient. Mais subsistait un vide, un "so what ?".
La lecture du passage entier de "Vie secrète" d'où il le tire (une bref passage entre deux astérisques, un fragment (quelle que soit la "gêne technique" qu'il éprouve à leur égard, celui-ci est un tout, parfaitement signifiant)) en restitue tout le sens, dès lors non seulement cohérent, mais superbe (les possessifs renvoient à celle qui initia Quignard, au piano, à l'amour) :
"Il n'y avait que sous ses doigts que le piano fût supportable.
Sa main gauche était une pure détente. C'était une percussion douloureuse, d'une efficacité insensée sur l'âme."
Némie obtient, pour Quignard encore jeune homme, que le piano les fasse accéder tous deux à ce que Daniélou nomme, dans le même texte, "l'inconvenance de l'émotion" :
"Nous observons que, dans l’échelle sonore, certaines notes ont plusieurs variantes qui, toutes, nous paraissent justes, mais d’expressions distinctes, alors que d’autres notes semblent fixes et que, dans leur cas, toute déviation apparaît déplaisante et sans but. Le meilleur système de référence que nous ayons me paraît être celui de la musique indienne, parce qu’il semble de beaucoup le plus complet. Il va sans dire que ses données positives s’appliquent entièrement aux intervalles de la musique iranienne et arabe, et aux diverses musiques populaires ainsi qu’à la musique vocale occidentale dès qu’elle peut échapper à la tyrannie instrumentale et s’abandonner à l’inconvenance de l’émotion."

Écrit par : Dominique Autié | mardi, 17 janvier 2006