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mercredi, 30 mars 2005

Mahler


Une réflexion en entraînant une autre, je me suis souvenu d’une anecdote mahlérienne qui m’a toujours enchanté. La voici rapportée par Renaud Camus dans son abécédaire Etc. :

«Mahler. Il cite exagérement l’histoire de Mahler à la campagne, aux prises avec la composition d’une de ses symphonies (la troisième, peut-être ?).
Mahler, l’été, est avec sa famille au bord d’un lac, en Autriche, dans un paysage admirable. Mais son travail rencontre des difficultés, la composition n’avance plus. Il décide de faire venir auprès de lui Bruno Walter, dans l’espoir que le jeune chef d’orchestre l’aidera à débloquer la situation.
Il va chercher Walter au débarcadère, et tous deux marchent vers la maison de Mahler. Walter tourne la tête pour observer un splendide panorama. Mais Mahler s’impatiente : « Inutile de regarder de ce côté-là, dit-il à Walter, tout ça est déjà écrit…»
Idée récurrente qu’on écrit le monde, écrit la vie»



Evidemment, cette idée d’écriture du paysage est éminemment camusienne ; elle l’est tellement qu’un doute me vient quant à l’authenticité du propos.
La seule référence en ma possession, à défaut du monument d’Henry-Louis de La Grange, est le petit opuscule de Marc Vignal dans la collection «Solfèges». J’y trouve ceci :

«Après ses réflexions sur la Vie et la Mort [la deuxième symphonie Résurrection], Mahler, détendu, nous donne ici son Poème de la Nature [la troisième symphonie]. Recevant en 1896 Bruno Walter à Steinbach-am-Attersee, il lui a déconseillé d’admirer le paysage : C’est inutile, j’ai tout emprunté pour le mettre dans ma Troisième


Il s’agit bien de la troisième symphonie, en 1896 ; nous sommes au bord d’un lac ; l’esprit y est quoique les traductions divergent grandement. D’autres variantes figurent ici ou là :
Inutile de regarder le paysage, il est tout entier dans ma symphonie (Orchestre national des Pays de Loire)
Inutile de regarder le paysage, il a passé tout entier dans ma symphonie (Orchestre symphonique de Montréal)


Ma perplexité augmente, aucune source n’est citée : s’agit il d’un extrait d’une correspondance, d’un propos rapporté par Bruno Walter ?

Tournons nous vers l’Est gràce à Google. La NDR nous dit, en allemand dans le texte (la traduction me demanderait trop d’effort) :

Mahler schreibt an Bruno Walter:
"Ich glaube, die Herren Rezensenten engagierter und nicht engagierter Art werden wieder einige Anwandlungen von Drehkrankheit bekommen, dagegen werden Freunde eines gesunden Spaßes die Spaziergänge, die ich ihnen da bereite, sehr amüsant finden. Das Ganze ist leider wieder von dem schon so übel beleumundeten Geiste meines Humors angekränkelt, und findet sich auch oft Gelegenheit, meiner Neigung zu wüstem Lärm nachzugeben. Manchmal spielen die Musikanten auch, ohne einer auf den anderen die geringste Rücksicht zu nehmen, und es zeigt sich da meine ganze wüste und brutale Natur in ihrer nackten Gestalt. Dass es bei mir nicht ohne Trivialitäten abgehen kann, ist zur Genüge bekannt. Diesmal übersteigt es aber alle erlaubten Grenzen. Man glaubt manchmal, sich in einer Schenke oder in einem Stall zu befinden. – Also kommen Sie nur recht bald und wappnen Sie sich rechtzeitig! Sie werden Ihren vielleicht in Berlin etwas gereinigten Geschmack sich wieder gewaltig verderben …"

Diesen launigen, von überlegener Selbstironie zeugenden Brief mit seinen Zitat-Paraphrasen aus unverständigen oder böswilligen Kritiken schrieb Gustav Mahler am 2. Juli 1896 aus Steinbach am Attersee, wo er wie gewohnt seine Sommerferien verbrachte, an den damals zwanzigjährigen Kollegen Bruno Walter. Der kam auch kurz darauf nach Steinbach, um sich den gerade entstehenden ersten Satz der dritten Sinfonie anzusehen (die anderen Sätze waren schon im vorangegangenen Jahr komponiert worden).
Als Bruno Walter in Steinbach aus dem Dampfer stieg und bewundernd die majestätischen Felswände des Höllengebirges hinter dem Ort erblickte, meinte Mahler schmunzelnd: "Sie brauchen gar nicht mehr hinzusehen – das habe ich schon alles weg komponiert."



Nous y voilà, «vous n’avez pas du tout besoin de regarder, je l’ai déjà entièrement composé». Mais toujours aucune référence.

La vérité ne nuit pas à l’enchantement, mais le doute nuit à la tranquillité d’esprit.

Une âme charitable pourrait elle m’éclairer ?


Add.: vous pouvez lire l'éclairage de l'âme charitable dans les commentaires.

Commentaires

En tout cas c'est la version de Camus qui est la meilleure.

Écrit par : Damien | mercredi, 30 mars 2005

Das Lied von der Erde demeure pour moi l'œuvre musicale totale : la symphonie, le chant… tout y est. À l'inverse de ceux qui prétendent n'accorder aucune importance à l'interprétation (soit du snobisme, soit une maîtrise de la partition — qui sait ?), j'en possède trois. Fischer-Dieskau est fantastique avec Kletzki (EMI).
Quant à Malher lui même, le pauvre, il en a chié toute sa vie, et il en a fait voir toute sa vie aux autres, aussi… Fascinant ce chef d'orchestre qui passe ses été dans une cahute au bord d'un lac, à composer les symphonies que l'on connaît.
Fascinant cette manière d'enfler la symphonie, de multiplier les mouvements, de recourir au chant, aux chœur, quand bon lui semble. Une façon quasi "géniale" d'explorer tous les possibles dans de nombreux registres.

Écrit par : sk†ns | jeudi, 31 mars 2005

"Je me réjouissais impatiemment des semaines que je devais passer avec lui à Steinbach. J'y arrivai dans le petit bateau à vapeur, par une superbe journée de juillet; Mahler était venu jusqu'au débarcadère pour m'accueillir et en dépit de mes protestations, il tint à se charger de ma valise jusqu'à ce qu'un porteur vînt le soulager. Lorsque, sur le chemin de sa demeure, je levai les yeux vers le Höllengebirge dont les parois abruptes formaient derrière le charmant paysage une toile de fond menaçante, il me dit : "Ce n'est pas la peine de regarder - j'ai déjà mis tout celà en musique!" (Das habe ich schon alles wegkomponiert."

Gustav Mahler par Bruno Walter (1936)
à l'occasion du 25ème anniversaire de la mort de Mahler
Cette scène s'est déroulée le 17 juillet 1896

j'ai eu du mal, le bouquin était au fond d'un carton de bouquins.

le l avant le h c'est du renaud camus scrupuleusement recopié?

Écrit par : L'âme charitable | jeudi, 31 mars 2005

Je remercie grandement l'âme charitable. Les "l" avant les "h" dans l'extrait de Renaud Camus sont des lamentables fautes de recopiage de ma part (réitérées, en plus!). Je les corrige sur l'instant.
Les variations subies par cette anecdote sont intéressantes, et l'absence systématique de la source (en l'occurence Bruno Walter lui même) dans les citations plutôt énervante.

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 01 avril 2005

Skoty> tu préfères donc le "Chant de la terre" au "Poème de la nature" ? Faut-il y voir l'expression d'un trait de ta personnalité ?

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 01 avril 2005

il en reste encore un. (et je ne parle pas des commentaires...)
à part ça, pour les fans, il y a une 6ème ce soir au théâtre des champs élysées.

Écrit par : L'âme peu charitable | vendredi, 01 avril 2005

Corrigé !
(vraiment, j'ai honte)

Écrit par : Philippe | vendredi, 01 avril 2005

bah... pas de quoi avoir honte. moi je fais régulièrement la faute inverse, en écrivant mahleur...

Écrit par : gvgvsse | vendredi, 01 avril 2005

Bonjour !
A la recherche de l'autobiographie de Bruno Walter "Thême et Variations ", je tombe évidemment par hasard sur votre site, et sur vos réflexions à propos de Mahler.
Au sujet de Das Lied von der Erde, j'ai le même sentiment que vous, et la même interprétation ( DFD ).
Mais je vous suggère fortement de vous procurer la version de Kathleen FERRIER, dirigée précisément par Walter, à la tête des Wiener Philhamoniker.
C'est une version de référence incontestée, encore aujourd'hui !
DECCA, Historical Recordings, CD ADD Mono, réf : 414 194 - 2
C'est la référence de ma discothèque, peut-ête changée aujourd'hui, mais certainement toujours disponible.
Cordiales salutations, et félicitations pour cette page ! (je suis en train de dévorer les trois gros bouquins de la biographie de Henri Louis De Lagrange, d'où mes recherches complémentaires).
Christian VIGUIE

Écrit par : Christian VIGUIE | samedi, 26 janvier 2008

Selon Bruno Walter, (son ouvrage : Gustav Mahler, que je vous cite ici) , Mahler aurait dit - je recopie, texto - :
" Ce n'est pas la peine de regarder -j'ai déjà mis tout cela en musique ! " (" Das habe ich schon alles wegkomponiert.")
Il s'agissait bien en effet de la troisième symphonie :
" Il commença aussitôt à me parler du premier mouvement intitulé, dans l'esquisse préliminaire, " Ce que me disent les rochers et les montagnes ". Mais je dus cependant maîtriser l'impatience que j'éprouvais d'entendre cette Troisième. "
Mahler avait invité B. Walter, par une lettre depuis Steinbach, datée du 2 juillet 1896, dans laquelle il écrivait (à propos de sa troisième symphonie) :
" Si votre goût a été affiné à Berlin, préparez vous à le voir irrémédiablement gâté ! "

Et dire qu'aujourd'hui, on la considère comme l'une de ses plus belles symphonies. En tos cas, pour ce qui me concerne.

Écrit par : Christian VIGUIE | samedi, 26 janvier 2008