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mardi, 31 octobre 2006

Des fenêtres, des portes et des portes-fenêtres

J’ai déjà expliqué ici, citation de Renaud Camus à l’appui, que la carte topographique satisfaisait mon besoin d’ordonner le territoire, de rendre logique une promenade, d’organiser les chemins et les routes, d’assurer une cohérence à tous les éléments remarquables – sources, calvaires, châteaux, chapelle... – tout cela par l’esprit, naturellement.

J’ai déjà aussi signalé mon appétence pour les vues et les points de vues, et plus encore pour les points de vues avec vues préservées des nuisances du monde moderne tel qu’il va.

A cet égard, il me semble que la fenêtre, et ses dérivées que sont la porte-fenêtre et la porte, constitue, à l’instar de la carte, un cadre permettant d’ordonner et d’organiser le paysage, outre qu’elle présente l’avantage, dans le meilleur des cas, et le meilleur des angles, d’éliminer certaines scories de l’activité humaine.

Ce n’est pas une découverte, les meilleurs architectes l’ont bien compris, sans parler des intellectuels qui ont conçu les plus beaux jardins chinois.

En voici quelques exemples tirés de mes pérégrinations plus ou moins récentes :


La fenêtre du bureau de Jules Roy, donnant sur la campagne de Vézelay



La fenêtre du bureau de Romain Rolland, conservé dans le cadre du musée Zervos



Les portes-fenêtres de Malagar, avec vues traversantes sur les vignes et la vallée de la Garonne


Une table, une fenêtre, une table près d'une fenêtre, et la vue, les vues.
Qu'est-ce que c'est qu'une fenêtre, si elle n'est un projet d'existence ?
(Renaud Camus)



La porte du château de Bazoches et la chapelle de Saint Aubin des Chaumes en arrière plan. La brume nous empéchât d'apercevoir Vézelay des fenêtres du bureau du maréchal de Vauban.



La fenêtre du salon de billard du château de Montigny-le-Ganelon, et la vallée du Loir

lundi, 02 octobre 2006

L'architecte et son oeuvre

Mes lecteurs les plus fidèles se souviennent peut-être de la fantaisie que j’avais rédigée au sujet de la façade de la cathédrale de Strasbourg.
Contrairement au billet similaire consacré à Chartres, ces manipulations d’image n’étaient en fait pas du tout fantaisistes, même si, certes, l’histoire des différents projets de la façade strasbourgeoise et de leur réalisation est plus complexe que le rapide résumé que j’ai pu en faire.


Outre la lecture des ouvrages savants consacrés à la question, la visite du musée de l’œuvre Notre-Dame est très éclairante sur ce sujet.
Ici il convient certainement d’ouvrir une parenthèse pour expliquer aux français de l’intérieur, et même aux autres, peut-être, la particularité de l’œuvre Notre-Dame, qui fait la joie de tout amateur de traditions ancrées solidement dans les siècles passés.
La construction de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, comme toutes les cathédrales, a été confiée dès l’origine à une œuvre chargée, sous la responsabilité de nombreux maîtres d’œuvre successifs, de l’élaboration des projets, de leur financement, de la réalisation des travaux, et de l’entretien des bâtiments. L’œuvre Notre-Dame de Strasbourg s’est ainsi installée près du chantier de la cathédrale, dans deux bâtiments (l’un gothique, l’autre renaissance) qui abritent aujourd’hui le passionnant musée cité plus haut, dans lequel on peut toujours voir la salle de réunion de la loge des maçons et tailleurs de pierre, le bureau du receveur et ses coffres-forts… ainsi que les originaux de plusieurs statues remplacées, pour des raisons de protection, par des copies sur le monument lui-même (en particulier les fameuses vierges folles et vierges sages, les vices terrassant les vertus, ainsi que l’église et la synagogue).
Pendant longtemps, par le biais de donations, l’œuvre Notre-Dame a été, avec les Hospices de Strasbourg, le plus gros propriétaire terrien d’Alsace : terres agricoles, forêts et vignes, dont le revenu a servi à construire, puis à entretenir la cathédrale.


Cette institution a été naturellement placée dès l’origine sous l’autorité de l’évêque ; de ce fait elle aurait dû disparaître à la révolution comme toutes ses homologues françaises.

Mais il se trouve que tel n’a pas été le cas. En effet, le XIIIe siècle, qui avait vu grandir de fortes tensions entre les nobles, bourgeois et marchands strasbourgeois et leur évêque, s’est conclu par la défaite de celui-ci à la bataille de Hausbergen. La ville, libérée de la tutelle épiscopale, a repris le chantier de la cathédrale et l’œuvre Notre-Dame qui en était la cheville ouvrière.
Celle-ci, devenue fondation municipale, a survécu aux vicissitudes du temps, y compris à la loi de séparation de l’église et de l’Etat (appliquée partiellement et à retardement en Alsace en raison du rattachement de celle-ci à l’empire allemand jusqu’en 1918) et continue toujours de nos jours à participer à la restauration de la cathédrale, en collaboration avec et sous l’autorité de l’architecte des monuments historiques, le bâtiment étant devenu propriété de l’Etat.
Une telle continuité, exceptionnelle, a permis la conservation d’un fonds documentaire considérable, et en particulier une rare collection de plans des projets successifs de la façade, qui ne sont malheureusement plus exposés pour des raisons de conservation.
J’ai eu cependant la chance de les voir lorsque j’étais étudiant à une époque où ils étaient encore présentés au public.


Cependant, il est un endroit à Strasbourg où l’on peut toujours voir le plan du projet « B » réalisé par Erwin de Steinbach, un des premiers maîtres d’œuvre dont on connaisse l’identité.
Je ne m’en suis aperçu que récemment, lors de mon dernier séjour qui date de la semaine dernière, alors que le monument qui porte ce plan a longtemps, dès lors que je l’eus découvert, constitué une sorte de marque personnelle de mes visites guidées (à destination de mes amis et de ma famille uniquement, je précise), tant il est peu connu, et placé à l’écart des flux touristiques (et même non touristiques).


Il s’agit de la statue de Jean Hultz de Cologne par A. Friederich (1847), située dans le quartier de l’orangerie, dans un secteur où les rues portent chacune le nom d’un architecte de la cathédrale. Jean Hultz a été en effet le maître d’œuvre de la flèche pyramidale qui couronne la tour nord de la façade, achevée en 1439. Il la tient dans ses bras, ce qui fait toute la saveur de la sculpture.


Or donc, je me suis aperçu, alors que nous nous rendions sous la pluie à un brunch dans ce quartier très chic, et que nous passions devant la susdite statue par un subreptice détour motivé par mon souhait d’en prendre une photographie (je n’ai absolument aucun cliché de Strasbourg, alors que j’y ai vécu 10 ans), de la présence sur le socle, à droite, du fameux plan « B » (rien à voir avec un quelconque référendum) gravé dans le grès rose.

Je le présente à vos yeux ébaubis (vous pourrez vous vanter de connaître une curiosité de Strasbourg que la plupart des strasbourgeois ignorent).


On remarquera que le projet d’Erwin de Steinbach comportait deux tours symétriques, couronnées de deux fléches qui donnent à l’ensemble une allure, me semble-t-il, plus germanique que ce qui a été effectivement réalisé.

Voilà, ce petit texte aurait peut-être pu, si ma volonté n’avait pas fléchi dès l’origine, continuer la série destinée à l’édification de mes condisciples élèves ingénieurs. Je ne crois pas y avoir songé à l’époque ; en revanche, je me souviens parfaitement que j’avais imaginé un deuxième épisode, après le mausolée de Maurice de Saxe, consacré au pilier des anges de la cathédrale. Cela fera un sujet pour un prochain billet !

samedi, 06 mai 2006

Un ange baroque

Il y a quelque chose d'amusant à constater qu'une des très rares oeuvres in situ du Cavalier Bernin visible en France se trouve dans l'église Saint-Bruno, à Bordeaux, archétype de la ville classique s'il en est.



Au delà de l'ironie, ne serait-ce pas là, comme dans de nombreuses résurgences françaises de l'art baroque à cette époque, une forme de résistance àu modèle dominant du pouvoir central ?

lundi, 01 mai 2006

Cathédrale[s]


La cathédrale de Chartres, telle que nous la voyons aujourd'hui, est issue d'une histoire mouvementée, faite en particulier de nombreux incendies. La partie la plus hétérogène, celle où se voient le mieux le passage du temps, est la façade occidentale :

C'est en 1506 que le sculpteur Jehan de Beauce reçoit la commande d'un nouveau clocher pour la tour Nord. Celle-ci en effet n'était surmontée que de bois et de plomb, contrairement à la tour Sud qui avait conservé son couronnement roman :

En 1194, un incendie, comme il en advînt tant, détruit la quasi-totalité de la cathédrale romane commencée en 1020 par l'évêque Fulbert. Seule subsite, outre la crypte, un partie de la façade, réalisée à l'occasion d'un précédent sinistre en 1134.
En un temps remarquablement réduit, de 1194 à 1230, une cathédrale sera reconstruite dans la nouvelle manière gothique, avec une unité de style magnifique. La façade romane sera complétée par la grande rose et la galerie des rois.

Je n'ai pas encore compulsé les ouvrages savants qui m'auraient permis de proposer une reconstitution plausible de la façade romane de Chartres avant l'incendie de 1194. Voici donc une rêverie, absolument erronée (la tour Nord n'a jamais porté de clocher, mais Fulbert avait un projet gigantesque de huit tours, comme l'on peut voir encore aujourd'hui dans les grandes cathédrales allemandes) :


Une autre tentative, peut-être, plus tard, après de profitables lectures érudites...

vendredi, 17 mars 2006

De la nécessité du regard


J'ai exprimé ici combien je ressentais l'écho des traces et des empreintes transmis par les monuments du passé, et, au delà des monuments, par les villes chargées d'histoire et de culture.
La lecture de Tempo di Roma d'Alexis Curvers, que je dois au bon conseil d'un véritable Amateur, m'amène à une réflexion - dans les deux sens du terme - à partir du passage suivant (vous en excuserez la longueur).

Oreste m’attendait tous les soirs devant la grille du garage. Ou plutôt ce n’est pas moi qu’il attendait, car, longtemps après mon retour, il s’attardait à interroger encore les perspectives de la rue dépeuplée. Qu’est-ce qu’il attendait donc ? Et qu’est-ce que tous les italiens attendent avec tant de patience, ceux que je voyais de jour et de nuit à l’affût, postés par centaines dans des lieux où apparemment il ne se passait rien ? Ils avaient constamment l’air de gens arrivés en avance à des rendez-vous. […].
Sir Craven m’avait dit un jour que les Italiens ont tellement le goût du spectacle qu’il ne faut pas chercher ailleurs le moteur de leur histoire. Peu importe qu’ils donnent le spectacle ou qu’ils y assistent, ils sont heureux pourvu que le spectacle continue et malheureux quand on les contraint à l’action réelle, prétendue telle, du moins, par les autres peuples. […] Or ce qui, à la réflexion, me frappait, c’est qu’Oreste au bord du trottoir où ne passait plus un chat ne s’ennuyait pas comme quelqu’un qui attend. Il regardait. Un évènement se produisait, un cortège invisible défilait devant ses yeux un peu exorbités. Il inventait le spectacle, il le fabriquait, il y jouait son rôle modeste et indispensable. Et ce même regard si actif et dont l’objet nous échappe (ce qui fait dire aux observateurs superficiels que les Italiens ont le regard fuyant), je l’avais remarqué chez Geronima parmi les lumières ternies du marché de San Giovanni, chez Paolino penché sur la fosse de la colonne Trajane, chez tous ceux qui rôdaient ou stationnaient sans but apparent, des journées entières, dans les jardins, autour de l’Esedra ou de la place du Panthéon, au pied des ruines et des fontaines, esclaves fugitifs et patriciens confondus, tous fixant dans le vide quelque chose que moi ni Sir Craven n’apercevions jamais. Ils regardaient Rome et quelque chose au-delà de Rome. Quoi donc ? C’était un mystère. Mais ces regards innombrables avaient suscité la beauté de Rome. Pour répondre à leur muette exigence, l’Italie était devenue la patrie des arts, où tout est spectacle et promesse de spectacle […]
Voilà pourquoi les gens de mon pays [la Belgique] avaient beau envoyer ici délégations d’urbaniste et commissions d’étude, ils ne réussiraient pas à corriger la poignante laideur du cadre qu’ils donnaient à leur vie, laideur dont n’étaient d’ailleurs blessés qu’un très petit nombre d’entre eux. Il manquait à leur regard cette patience italienne, cette insistance qui provoque le miracle. Ils n’avaient pas le temps de regarder, ils croyaient plus utile d’agir. […] Or si la beauté est ce qui inspire l’amour, inversement il est besoin d’une grande force d’amour en réserve pour appeler au jour la beauté.
Tempo di Roma Alexis Curvers


Je ne sais si la qualité et la densité des regards furent nécessaires à l'apparition de la beauté, à Chartres, à Strasbourg ou à Rome - il doit bien y être aussi question de foi, de volonté, d'orgueil, de savoir-faire et de talent. Je pense aussi que Curvers est bien injuste envers sa patrie, qui recèle tant de merveilles.
Ce dont je suis certain, en revanche, c'est de l'importance des regards dans la pérennité de la beauté. Je pensais à cette idée hier soir, seul sur la place du Châtelet - seul à regarder à tout le moins -, alors que le soleil couchant faisait flamboyer la cathédrale perchée sur son promontoire.
Si personne ne porte une attention scrupuleuse à cette beauté si fragile, menacée par tant de bonne volonté de faire pratique (un lampadaire, une antenne, un arbre), si personne ne regarde vraiment, ce miracle disparaitra, comme tant d'autres, y compris en Italie.
Au delà de cette considération quelque peu prosaïque, je crois aussi profondément que les paysages, les monuments, les places et les vues ont besoin d'être regardés avec amour et respect, et que ce regard est un préalable à leur protection par la loi et l'action.