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samedi, 24 septembre 2005

Une visite chez le Doge

Parmi l’indénombrable théorie de lieux communs courant sur Venise, il est un qui paraît une vérité d’évidence, à tout le moins pour un touriste cultivé, c’est que cette cité est une ville de peinture.
« Ce qui fait Venise absolument sans égale, c’est la Peinture. Elle fut la patrie, la mère de quelques maîtres de premier ordre qu’on ne peut connaître que dans ses musées, ses églises et ses palais. »
Guy de Maupassant Venise, article publié dans le Gil Blas, 5 mai 1885

Suarès ne dit pas autre chose, tout en affirmant le contraire :
« Peu de peinture, selon mon goût, à Venise. Pourtant, la ville en est couverte : cent lieues carrées de toile peinte, de Chioggia à Murano, ou mille, ou dix mille, que sais-je ? »
André Suarès Voyage du Condottière


Les fresques couvrant les façades des palais - on pense bien sûr à Giorgione et au Titien au fondaco dei tedeschi – devaient, avant leur disparition totale, rendre encore plus perceptible la sensation de vivre en peinture.
Et certes, Venise, ce n’est pas la littérature, la sculpture ou la musique. Quoique cette assertion soit déjà passablement discutable - et Goldoni, Gabrieli, Monteverdi… ? -, il n’est pas niable que séjourner à Venise, ce n’est pas vivre en littérature ou en musique. Il suffit pour s’en convaincre de comparer dans l’église des Frari le monument funéraire du Titien et la plaque commémorative de la sépulture de Monterverdi, sur laquelle plane d’ailleurs une grande incertitude.
En revanche, mais nous sommes là devant le symptôme de la lettre volée, Venise est quand même, et avant tout, architecture et urbanisme.


La visite du palais des Doges est une leçon à cet égard.

En premier lieu, une leçon d’architecture gothique, le plein sur le vide, au sein du plus beau paysage urbain qui soit. Une leçon de peinture, ensuite, quoique limitée pour l’essentiel à Véronèse et Tintoret - le terme limitée étant peu adéquat cependant ! – auxquels se rajoutent au détour d’une salle quasi anonyme Bosch et Metsys.
Mais aussi, surtout peut-être, une leçon de politique, à défaut de démocratie. Car il n’est question, pour qui veut bien y être attentif, que de Grand Conseil, de Collège et d’Anticollège, de Conseil des Dix, de Sénat, et encore de la Quarantia Civil Vecchia et de la Quarantia Civil Nuova, et sans oublier le Magistrato alle Leggi, les censori, les avogadori, les notai, le bollador, et la milizia da Mar

Tout l’appareil d’un Etat de droit, rassemblé en un lieu unique, avec l’apparat et la majesté qui lui siéent, la peinture n’étant au fond qu’un des éléments contribuant à son éclat.

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Les dessins originaux ont toujours pour auteur [s].



jeudi, 22 septembre 2005

Venise gît dans les détails




pg

dimanche, 20 mars 2005

Inachèvements


Dans Bach, dernière fugue, Armand Farrachi, qui ne manque pas d’esprit d’escalier, après avoir mis en parallèle la signature du compositeur et celle du peintre, ose la comparaison entre l’Art de la fugue et une cathédrale, en l’occurrence celle de Beauvais :
«Voici déjà quarante mesures que, dans sa présomption, il a inscrit son nom en quatre notes, et sa pensée y revient comme la langue sur une dent creuse ou branlante. […] Un quatrième thème peut jaillir, puis un cinquième, un sixième, ad perpetuum. […] Un vertige le saisit, à moins que ce ne soit une peur. Où finir ? Quand ? Peut-elle seulement finir ? La main reste levée. Quatre thèmes imbriqués sont-ils encore audible ? Combien s’empileront avant de retourner au chaos ? La dernière fugue - s’il s’agit d’elle – risquerait-elle de tout désagréger à force de tout réunir et de dissoudre l’unité en épisodes ? La confusion mettra-t-elle alors un terme à l’age contrapuntique comme l’écroulement du chœur de la cathédrale de Beauvais, le plus haut jamais construit, en mit un à l’art gothique ?»

Au risque de faire preuve de cuistrerie, je rappelle que la cathédrale de Beauvais a vu l’écroulement de sa tour, la plus haute de la chrétienté, et non celui de son chœur, que l’on peut toujours admirer.

L’idée que Jean-Sébastien Bach n’aurait pas achevé l’Art de la fugue par crainte de voir s’effondrer l’art du contrepoint me paraît par trop romanesque. Cependant, rapprocher cet inachèvement de celui de nombre de cathédrales gothiques ne me semble pas dénué de pertinence.
Cela est confirmé par la lecture de la monumentale, mais néanmoins indispensable monographie d’Alberto Basso :
«Ce n’est pas à une initiation à l’art de la fugue – le Clavier bien tempéré s’était déjà chargé d’en démonter et d’en étaler tous les rouages – mais à une codification supérieure, au plus haut niveau possible, qui, à en juger par le projet envisagé des fugues quadruples, aurait amené le musicien à effleurer les barrières de l’absolu musical.
Bach dut renoncer à y atteindre, non pour avoir présumé de son intelligence, mais pour y avoir été contraint pas la maladie. Comme les superbes ébauches de la cathédrale de Sienne ou de Saint-Pierre de Beauvais, l’Art de la fugue est une cathédrale interrompue – ou peut-être engloutie (engloutie dans l’ordre qui tout catalogue et tout justifie) – mais ce qui reste est avertissement, signal de ce qui aurait dû être, et si grande en est la présence que son inachèvement même est signe de perfection.»

[Où l'on voit qu'Armand Farrachi a lu Alberto Basso, mais l'a compris de travers]

Je ne connais malheureusement pas la cathédrale de Sienne, dont l’inachèvement n’est rien moins que discret, au vu des clichés photographiques.


L’inachèvement de la cathédrale de Beauvais est en revanche trop flagrant – outre l’effondrement de la tour, la nef n’a jamais été construite – pour constituer un parallèle pertinent à celui de l’Art de la fugue.

Pour cela, la cathédrale de Strasbourg me semble parfaite.

Comme chacun sait, l’art gothique a été créé en France. Les premiers projets de façade pour Notre-Dame de Strasbourg s’inspiraient directement des grandes cathédrales d’Ile de France.
Ainsi, au milieu du XIVème siècle, les steckelburjer pouvaient probablement admirer ce chef d’œuvre de l’art français :


Le pouvoir épiscopal ayant été chassé de la ville après la bataille d’Hausbergen, et l’Œuvre Notre-Dame municipalisée, les édiles strasbourgeois sont maîtres de la cathédrale et décident d’édifier un beffroi entre les deux tours :


La perplexité dût être grande devant cette muraille imposante, et rapidement la décision fut prise d’en revenir à un plan à deux tours. Les deniers étant comptés, l’on commença par la tour Nord, qui fut couronnée d’une flèche achevée en 1439. La Renaissance arrive ; les finances manquent ; tout reste en l’état.


L’inachèvement est bien là, avec ce qu’il entraîne de déséquilibre et d’imperfection.

Mais quel signal, quel vertige, quel abîme, quelle élévation !

Quel Art de la fugue !