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mardi, 12 juillet 2005

Jeu de clef

Le tableau de Jan Steen La leçon de clavecin m'a tout de suite frappé lors de ma visite à la Wallace Collection de Londres, quoiqu'il ne soit pas un chef-d'oeuvre. En effet, contrairement à Vermeer, par exemple, il ne transcende pas la peinture de genre, en l'occurence ici à caractère plutôt humoristique.
Cependant, je ne vis que la clef, comme le nez au milieu de la figure. Ce détail, qui ouvre à la compréhension de la scène où la concupiscence convoite la virginité, est peu discret, et de ce fait ne dissimule guère la véritable leçon aux yeux du spectateur.
Est-ce pour cette raison, et un excès de pruderie victorienne, que la clef a disparu de la reproduction figurant sur le site de la Wallace Collection ?


Sur les cimaises de la Wallace Collection



Sur le site internet de la Wallace Collection

Pour vous consoler de mon absence pendant une semaine, et concurrencer Kozlika, je vous propose d'exercer votre verve en proposant, par mail ou dans les commentaires, un texte d'accompagnement de ce tableau, visant à l'édification du public.
Vos productions seront publiées ici à mon retour, et aussi, peut-être, envoyées à la Wallace Collection !

dimanche, 10 juillet 2005

Où il est question (4)

Où il est question de moi et de la musique ancienne.


Je suis issu d’une famille pour laquelle l’art n’est pas une modalité de la présence au monde, ni un choix d’existence. Peu de musique, peu de cinéma, pas de théatre, pas de peinture ; des livres, mais je n’irai pas jusqu’à dire de la littérature.
Je me suis construit en autodidacte, d’abord en lisant un peu tout et n’importe quoi : Guerre et paix, Ray Bradbury, Françoise Mallet-Joris, Isaac Asimov, Marguerite Duras, Racine, Alejo Carpentier…

La découverte de la musique est passée par la lecture d’un guide de disques classiques édité par Diapason vers 1979, je pense - je ne l’ai malheureusement pas conservé.
Cet ouvrage était très bien fait, avec des petites notices biographiques des compositeurs, une sélection discographique et une brève description des œuvres et des interprétations. Ma première éducation musicale s’est faite là, et pas du tout dans les cours de piano et solfège que je suivais à l’époque, où l’on enseignait tout sauf la musique.

Un monde s’est ouvert devant moi, d’abord par les mots : mon premier achat fut un disque de Jean-Philippe Rameau, les pièces de clavecin en concert, choisi uniquement en raison de l’attrait exercé par le mot clavecin. Je continuai dans cette voix : Bach, Monteverdi, Haendel, Couperin, Charpentier.
C’est à cette époque que j’ai acheté mon premier numéro de la revue Diapason : le n° 245 daté de décembre 1979.


1980 a été une période charnière pour l’interprétation de la musique ancienne – à cet égard je signale, mais trop tard, une excellente série d’émission de France Musiques la semaine dernière sur le sujet. La cause était entendue pour la musique antérieure à Bach, pour Bach lui même la défaite des opposants aux «baroqueux» était proche, la bataille allait s’engager pour Mozart et Beethoven.

Je dois bien avouer qu’à l’époque j’étais totalement intégriste et je vouais aux gémonies tout écart par rapport aux canons d’interprétation à l’ancienne admis à l’époque.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai assisté à la création des Boréades de Rameau au festival d’Aix en Provence en 1982, qui a lancé le renouveau de l’interprétation de la musique française baroque - et éclipsé le pionnier Jean-Claude Malgoire ; le règne de Gardiner advint, puis celui de Christie.


Ce fut ensuite mon arrivée à Strasbourg avec la découverte de la musique symphonique romantique, de la musique de chambre, de la musique contemporaine – j’étais au premier festival Musica. Et aussi, le cinéma, le théatre, la peinture…

Aujourd’hui, j’écoute toujours Jean-Sébastien Bach par Harnoncourt, Herreweghe, Hantaï mais aussi par Tharaud, Celibidache ou Furtwängler. Et je pense être plus authentique que jadis.



<Où il est question
de moi et de la musique
ancienne.

samedi, 09 juillet 2005

Où il est question (3)

Où il est question d'authenticité.


Au début de cette année, nous avons assisté avec quelques amis à un concert Bach dirigé par Sigiswald Kuijken. Ce pionnier de la musique ancienne - après tant d’autres, et avec tant d’autres - est un musicien, évidemment, mais aussi - je serais tenté de dire essentiellement - un chercheur et un expérimentateur. C’est ainsi que nous avons eu droit à une démonstration d’une reconstitution de viola da braccia, et à la présence d’une trompette naturelle sans trous dans le concerto brandebourgeois n° 2. Nos amis, mélomanes, mais peu au fait de l’histoire de l’interprétation de la musique ancienne au cours du XXe siècle, furent assez étonnés du résultat et émirent même l’hypothèse d’une sorte de gachis. Je leur rétorquai qu’il s’agissait là, en quelque sorte, du prix à payer pour que, dans vingt ans, des spectateurs puissent apprécier sans souffrir cet instrument dans ce concerto. Il faut se souvenir en effet que la plupart des ensembles jouant sur intruments anciens, ou copies d’ancien, dans les années 60 n’étaient guère avares de fausses notes, ce qui n’est plus du tout le cas de la grande majorité des orchestres d’aujourd’hui. C’est grâce à des interprètes ayant le souci de l’authenticité que de telles évolutions sont possibles.
Mais précisément, qu’est donc que l’authencité ?

Notons tout d’abord que la notion d’authentique dépend du moment et du lieu. Suzhou, la Rome baroque ou Viollet-le-Duc nous en offriraient maints exemples.
Je parle donc ici et maintenant, et essentiellement de musique, ce qui implique une acception de l’authenticité très liée à la mise en exergue d’une certaine conception du patrimoine - les lieux de mémoire.
Précisons d’autre part que je ferai ici abstraction des lieux communs et des stéréotypes attachés à la musique ancienne, dont je renonce même à faire la liste.


Dans une tentative de définition, je retiens de la lecture du Trésor de la langue française informatisé : original, fidèle, conforme à la réalité, pur. Mais l’approche par la vérité du son me semble la plus opérante (Vous avez dit baroque ? Philippe Beaussant). En effet, il s’agit bien de d’intéresser aux vibrations de l’air à Saint-Thomas de Leipzig et à Saint-Marc de Venise, et aux résonnances dans les tympans.
C’est de la vérité du son que découlent toutes les questions techniques (diapason, tempérament, rythme, articulation, prononciation, instrumentarium…), et ses questions sont donc subalternes, quoique primordiales. Par conséquent elles ne m’intéresseront pas ici, malgré leur prévalence dans la majorité des discussions et polémiques

Il y a en fait une vérité du son pour chaque époque, pour chaque lieu, pour chaque compositeur, pour chaque œuvre, à l’extrême pour chaque interprétation particulière d’une oeuvre à l’époque du compositeur. Elle est bien entendu inatteignable, et nous serions bien en peine de la reconnaîttre si d’aventure elle se présentait à nos oreilles, car la vérité de l’émission devrait entrer en résonnance avec la vérité de la réception, bien plus hors d’atteinte s’il est possible.
Cependant, tous les efforts doivent être faits, et ils le sont, pour approcher cette vérité ; la recherche des sources, leur analyse, leur interprétation, leur vulgarisation sont du ressort du musicologue, mais le musicien y a sa part, plus expérimentale et pragmatique. Cette démarche ne se cantonne pas à la musique, mais s’ouvre au contraire à tous les domaines de l’art et de la pensée ; il en est ainsi pour le geste baroque qui touche à la musique et à la danse, au théatre, à l’architecture, à la religion et à la réthorique.

Aujourd’hui, il y aurait une grande absurdité à prétendre que Wilhem Furtwängler est plus près de la vérité du son de Johann-Sebastian Bach que Gustav Leonhardt. Toute la musicologie prouve le contraire, et elle a encore progressé avec les successeurs de Leonhardt.
Cela rend-il nulle et non avenue l’interprétation de la Passion selon Saint Matthieu par Furt ? Non, bien sûr ; il s’agit d’ailleurs de la version que j’écoute de préférence actuellement.

Alors, quoi ?

Revenons aux questions de jugement esthétique et d’interprétation, avec un soupçon de bathmologie.

Tout interprète moderne, selon moi (au fait qui suis-je pour proférer de tels conseils depuis ma chaire blogosphérique bien usurpée), devrait, pour parler la langue du compositeur, réfléchir à cette question de vérité du son, sous peine de répéter les stéréotypes appris au conservatoire, qu’ils soient jadis romantiques, ou aujourd’hui «baroqueux» - ceux-ci n’étant pas moins redoutables que ceux-la .
Mais d'autre part, les grandes œuvres demandent des interprètes intelligents. Furtwängler était de son époque, voire encore de la précédente, pour ce qui concerne la vérité du son. Mais il atteint largement à la vérité de la foi de Bach, luthérienne et humaine, pleine d’émotion et de sentiment, tandis que l’approche calviniste de Leonhardt - notamment dans la Messe en si – reste désincarnée, rigoureuse et froide.

La réflexion, le travail, la sensibilité de l'interprète n'est cependant pas tout, car il reste la réception de tout cela par l’auditeur, qui n’est pas moins concerné, à mon avis, par la question de l’authenticité :

Comme s'il n'était pas moins difficile, ni moins dangereux d'échapper aux idées convenues, aux sentiments acquis, aux mœurs banales d'être, en un mot, authentique que de vaincre un instant la distance ou la pesanteur.
PAULHAN, Les Fleurs de Tarbes


Ayant fait l’effort d’approcher de la vérité du son et de la langue du compositeur, ayant échappé aux idées convenues, aux sentiments acquis, aux stéréotypes et à la banalité, l’auditeur peut alors authentiquement faire le choix de Furtwaengler dans Bach.


<Où il est question
d'authen
ticité.

vendredi, 08 juillet 2005

Où il est question (2)

Où il est question d'interprétation.


Notre ami Zvezdo revendique ne s’intéresser que peu aux questions d’interprétation (vous aurez compris qu’il s’agit ici de musique). Je ne suis pas sûr d’être entièrement d’accord avec lui.

Hormis les rares amateurs ayant le don d’entendre une partition à la lecture (j’ai connu quelqu’un qui, à lecture d’une recette de cuisine, pouvait sentir sur ses papilles le goût du plat décrit), le triptyque compositeur – interprète – auditeur reste indispendable à la transmission des œuvres musicales. La question posée par Zvezdo, mais présente aussi dans la critique musicale depuis qu’elle existe, n’est donc pas la place de l’interprète, qui est centrale, mais plutôt l’importance relative de son rôle, notamment par rapport aux compositeurs.


On remarquera que, bien souvent, l’attention de l’auditeur est d’abord focalisée sur l’interpète, au détriment de l’œuvre. Le manque de culture musicale en est la cause, mais il faut reconnaître que l’art de la composition est difficile d’appréhension, quoique l’écriture, à mon sens, s’entende – appelons cela l’intelligence de l’oreille.
La discussion portant sur le jeu du pianiste, du violoniste, de la chanteuse ou du chef d’orchestre est donc de prime abord plus facile. Mais est on si sûr de ce que l’auditeur perçoit d’une interprétation, au delà de la virtuoisté et de la performance. Mon expérience de divers publics me laisse à penser que la perception en est très superficielle.
L’effet est de piètre qualité, la plupart du temps.

Les compositeurs ont de leur coté eu des relations ambivalentes avec leurs interprètes, au moins depuis que l’on peut en juger par leurs écrits. Nonobstant les récriminations des uns et des autres sur la qualité technique des chanteurs ou instrumentistes, ou sur la méconnaissance de la voix et des instruments, on constatera plusieurs mouvements contradictoires ; d’une grande liberté d’improvisation données aux interprètes - tant à l’époque baroque que contemporaine – à un enfermement dans une surabondance d’indication de jeu ; d’une écoute des interprètes dans l’élaboration des œuvres à une ignorance volontaire des contraintes instrumentales, qui fera évoluer la technique et la facture.

L’interprète est bien au centre - en dehors des questions liées à leur mise en vedette -, nœud de toutes les contradictions ; il n’enlèvera rien aux chefs-d’œuvre, au mieux il permettra une nouvelle écoute des œuvres mille fois entendues, cependant son rôle est crucial pour les œuvres fragiles, méconnues ou contemporaines.

Alors, quoi ?

Comme l’auditeur le doit pour la qualité de l’effet produit et pour échapper au déterminisme de ses goûts, l’interprète se doit de respecter une éthique de la préparation. Au delà bien évidemment de la technique instrumentale en elle-même et de la stricte analyse de la partition, il doit, sous peine de contresens, connaître la langue du compositeur, et par conséquent l’histoire et la religion, la littérature et la peinture, le théatre et la philosophie. En un mot, il doit tendre vers l’authenticité. Qui sera le sujet de ma prochaine note.


<Où il est question
d'inter
prétation.

mercredi, 06 juillet 2005

Où il est question (1)

Où il est question de jugement esthétique.


Depuis longtemps, je me débats avec des idées confuses sur la question du jugement esthétique d’une œuvre d’art.
Il ne saurait être question pour moi d’admettre la validité d’une appréciation fondée sur la spontanéité ; je regarde, j’écoute, je lis – j’aime, j’aime pas.
En premier lieu, parce que cela clôt la discussion ; des goûts et des couleurs on ne discute pas. Ensuite, car il n’y a pas de goûts personnels ; la prétendue spontanéité n’est rien d’autre, la plupart du temps, que l’expression de stéréotypes et de lieux communs, accumulés en strates successives issues de l’éducation nationale, de la cellule familiale, et du grand magma médiatique ambiant.
D’autre part, l’abus de la sensibilité dans la critique d’art ne peut que conduire à l’autisme et à la stagnation : n’étant sensible qu’à ce qui provoque une résonnance en soi, on n’aime que ce que l’on aime. Où sont la découverte et la surprise ; comment apprécier l’art contemporain ?


Cependant, combien d’œuvres me restent fermées malgré toutes les raisons objectives de les admirer. Que de discours intelligents et profonds, que de démarches intellectuelles brillantes, n’engendreront que déception face à l’objet de ces discours et démarches.
La technique, la virtuosité, la connaissance du contexte, l’histoire, la filiation et la descendance, tout cela ne suffit pas pour asseoir le jugement esthétique.

Alors, quoi ?

Comme souvent, le salut vient de la lecture. Tout s’éclaire, tout s’articule parfaitement, tous les arguments sont bien balancés, rien à rajouter.
Ici, et encore une fois, il s’agit de Renaud Camus, dans deux entrées de Etc. :

EFFET. Défense de l’effet, en particulier pour son rôle (capital) dans le jugement esthétique. Plutôt que sur l’exposé des raisons prétendument objectives d’aimer ou d’admirer les œuvres, les juger sur l’effet qu’elles produisent vraiment (et d’abord sur soi-même). Ne pas céder à l’intimidation par les motifs (ce que Barthes appelait, dans un autre contexte, la « chantage au mérite »). Une œuvre n’est pas admirable parce qu’elle présente toutes les raisons d’être admirable (la perfection de son architecture, par exemple, s’agissant d’une œuvre littéraire). Elle est admirable parce qu’elle produit un effet inoubliable.
[…]
Bien entendu il y a effet et effet, et des degrés de qualité dans les effets. Ainsi on sera extrêmement reconnaissant à une saga romanesque qui vous aide à traverser une longue nuit difficile dans un couloir d’hôpital – on n’en conclura pas pour autant qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre de l’art ou de la pensée universelle, même si d’autres livres qui pourraient prétendre à ces titres ne se montrent, eux, dans les mêmes circonstances, d’aucun secours.
Il est évident qu’une critique par l’effet est menacée d’être extrêmement réactionnaire, esthétiquement, car les œuvres vraiment novatrices risquent de ne pas produire, dans un premier temps, et même dans un deuxième, d’effet heureux. Une esthétique de l’effet implique donc une éthique de la préparation, chez le lecteur, l’auditeur, le spectateur, l’amateur, etc. : eux doivent veiller, par la curiosité, par l’ouverture d’esprit, par l’étude même et l’application, éventuellement, à rendre en eux l’effet possible. Cependant, ils ne doivent jamais perdre de vue la réalité de cet effet. Si une œuvre, malgré touts leurs efforts d’appréhension, et malgré toutes les bonnes raisons qu’on leur donne de la trouver admirable, continue de ne produire en eux aucun effet positif appréciable, ils peuvent et ils doivent s’abstenir de l’admirer personnellement, même si toute l’opinion intelligente, appremment, autout d’eux, à une époque donnée, la porte aux nues […].
L’effet le plus haut (y compris pour des œuvres romanesques, philosophiques, érudites, purement intellectuelles, etc.), l’effet le plus haut serait l’effet lyrique (une sorte d’exaltation qui pousse paradoxalement, à quitter l’œuvre, à lever les yeux, à songer, à bouger, à partir en promenade, à considérer d’autres œuvres, à mettre en liaison). […]

GOÛTS. Qu’il n’y a pas de goûts, qu’il n’y a que des états culturels (vieux dada). Ce que le plus grand nombre présente comme son goût, ses goûts, ne seraient rien d’autre en fait que ce qu’à chacun dictent son âge, son milieu, le niveau de ses connaissances et de ses curiosités. Visiter une exposition de Joseph Albers, par exemple, et dire que ce qu’on y préfère, ce sont quelques dessins et peintures de jeunesse, en fait assez insignifiants, qui n’auraient valu à l’artiste que le plus profond oubli, s’il n’avait rien fait d’autre, ce ne serait pas exprimer un goût, comme on le croit, mais préciser clairement, bien qu’involontairement, où l’on en est exactement de son rapport à l’art. Etc.
Moyennant quoi le goût, chassé par la porte, s’empresse de revenir par la fenêtre, évidemment.


Je rajouterai que l'effet, le goût, le jugement esthétique devront bien sûr être passés au filtre de la bathmologie !


<Où il est question de jugement esthétique.