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samedi, 09 juillet 2005

Où il est question (3)

Où il est question d'authenticité.


Au début de cette année, nous avons assisté avec quelques amis à un concert Bach dirigé par Sigiswald Kuijken. Ce pionnier de la musique ancienne - après tant d’autres, et avec tant d’autres - est un musicien, évidemment, mais aussi - je serais tenté de dire essentiellement - un chercheur et un expérimentateur. C’est ainsi que nous avons eu droit à une démonstration d’une reconstitution de viola da braccia, et à la présence d’une trompette naturelle sans trous dans le concerto brandebourgeois n° 2. Nos amis, mélomanes, mais peu au fait de l’histoire de l’interprétation de la musique ancienne au cours du XXe siècle, furent assez étonnés du résultat et émirent même l’hypothèse d’une sorte de gachis. Je leur rétorquai qu’il s’agissait là, en quelque sorte, du prix à payer pour que, dans vingt ans, des spectateurs puissent apprécier sans souffrir cet instrument dans ce concerto. Il faut se souvenir en effet que la plupart des ensembles jouant sur intruments anciens, ou copies d’ancien, dans les années 60 n’étaient guère avares de fausses notes, ce qui n’est plus du tout le cas de la grande majorité des orchestres d’aujourd’hui. C’est grâce à des interprètes ayant le souci de l’authenticité que de telles évolutions sont possibles.
Mais précisément, qu’est donc que l’authencité ?

Notons tout d’abord que la notion d’authentique dépend du moment et du lieu. Suzhou, la Rome baroque ou Viollet-le-Duc nous en offriraient maints exemples.
Je parle donc ici et maintenant, et essentiellement de musique, ce qui implique une acception de l’authenticité très liée à la mise en exergue d’une certaine conception du patrimoine - les lieux de mémoire.
Précisons d’autre part que je ferai ici abstraction des lieux communs et des stéréotypes attachés à la musique ancienne, dont je renonce même à faire la liste.


Dans une tentative de définition, je retiens de la lecture du Trésor de la langue française informatisé : original, fidèle, conforme à la réalité, pur. Mais l’approche par la vérité du son me semble la plus opérante (Vous avez dit baroque ? Philippe Beaussant). En effet, il s’agit bien de d’intéresser aux vibrations de l’air à Saint-Thomas de Leipzig et à Saint-Marc de Venise, et aux résonnances dans les tympans.
C’est de la vérité du son que découlent toutes les questions techniques (diapason, tempérament, rythme, articulation, prononciation, instrumentarium…), et ses questions sont donc subalternes, quoique primordiales. Par conséquent elles ne m’intéresseront pas ici, malgré leur prévalence dans la majorité des discussions et polémiques

Il y a en fait une vérité du son pour chaque époque, pour chaque lieu, pour chaque compositeur, pour chaque œuvre, à l’extrême pour chaque interprétation particulière d’une oeuvre à l’époque du compositeur. Elle est bien entendu inatteignable, et nous serions bien en peine de la reconnaîttre si d’aventure elle se présentait à nos oreilles, car la vérité de l’émission devrait entrer en résonnance avec la vérité de la réception, bien plus hors d’atteinte s’il est possible.
Cependant, tous les efforts doivent être faits, et ils le sont, pour approcher cette vérité ; la recherche des sources, leur analyse, leur interprétation, leur vulgarisation sont du ressort du musicologue, mais le musicien y a sa part, plus expérimentale et pragmatique. Cette démarche ne se cantonne pas à la musique, mais s’ouvre au contraire à tous les domaines de l’art et de la pensée ; il en est ainsi pour le geste baroque qui touche à la musique et à la danse, au théatre, à l’architecture, à la religion et à la réthorique.

Aujourd’hui, il y aurait une grande absurdité à prétendre que Wilhem Furtwängler est plus près de la vérité du son de Johann-Sebastian Bach que Gustav Leonhardt. Toute la musicologie prouve le contraire, et elle a encore progressé avec les successeurs de Leonhardt.
Cela rend-il nulle et non avenue l’interprétation de la Passion selon Saint Matthieu par Furt ? Non, bien sûr ; il s’agit d’ailleurs de la version que j’écoute de préférence actuellement.

Alors, quoi ?

Revenons aux questions de jugement esthétique et d’interprétation, avec un soupçon de bathmologie.

Tout interprète moderne, selon moi (au fait qui suis-je pour proférer de tels conseils depuis ma chaire blogosphérique bien usurpée), devrait, pour parler la langue du compositeur, réfléchir à cette question de vérité du son, sous peine de répéter les stéréotypes appris au conservatoire, qu’ils soient jadis romantiques, ou aujourd’hui «baroqueux» - ceux-ci n’étant pas moins redoutables que ceux-la .
Mais d'autre part, les grandes œuvres demandent des interprètes intelligents. Furtwängler était de son époque, voire encore de la précédente, pour ce qui concerne la vérité du son. Mais il atteint largement à la vérité de la foi de Bach, luthérienne et humaine, pleine d’émotion et de sentiment, tandis que l’approche calviniste de Leonhardt - notamment dans la Messe en si – reste désincarnée, rigoureuse et froide.

La réflexion, le travail, la sensibilité de l'interprète n'est cependant pas tout, car il reste la réception de tout cela par l’auditeur, qui n’est pas moins concerné, à mon avis, par la question de l’authenticité :

Comme s'il n'était pas moins difficile, ni moins dangereux d'échapper aux idées convenues, aux sentiments acquis, aux mœurs banales d'être, en un mot, authentique que de vaincre un instant la distance ou la pesanteur.
PAULHAN, Les Fleurs de Tarbes


Ayant fait l’effort d’approcher de la vérité du son et de la langue du compositeur, ayant échappé aux idées convenues, aux sentiments acquis, aux stéréotypes et à la banalité, l’auditeur peut alors authentiquement faire le choix de Furtwaengler dans Bach.


<Où il est question
d'authen
ticité.

Commentaires

Essayer de retrouver le "son" — quoique les instrument dits d"époque" le permettent dans une certaine mesure — revient à se demander comment l'on prononçait le français au XVe siècle. Les écrits restent et je trouve ctte recherche (bien que pas du tout expert) un peu illusoire, comme une démarche davantage scientifique qu'artistique.
Dans l'esprit "allemand" comme il le revendique, Furtwängler n'est peut être pas loin de Bach (jamais entendu), et Bach jamais très loin de Dieu.
Quant à la subtilité entre approches "luthérienne" ou "calviniste"…

Écrit par : sk†ns | lundi, 11 juillet 2005

C'est évidemment une démarche tout autant musicologique qu'artistique.
Je ne souhaite pas ici entamer un débat sur ces questions, mais j'indiquerais deux éléments objectifs pour répondre à Skoty:
- La musique ne peut se passer d'interprètes, contrairement à tous les autres arts (y compris le théatre, mais sauf la danse)
- Les compositeurs (la plupart en tous cas, et les plus grands) ont composé en fonction des moyens à leur disposition (avec leurs qualités et leurs défauts), et en fonction de leur environnement intellectuel (confer l'importance de la réthorique pour la musique baroque).

Le fait de retrouver la vérité du son me semble une démarche parfaitement artistique, et pas uniquement archéologique. Ce qui n'empêche pas dapprécier Furt, mais pour d'autres raisons que la vérité du son.

Écrit par : Philippe[s] | lundi, 11 juillet 2005

L'illusion n'est pas tant du coté de l'emetteur que de celui du récepteur. Je ne pourrais jamais entendre Bach comme un auditeur du temps de Bach.
Borges a déja tout dit dans son Pierre Ménard

Écrit par : Tlön | lundi, 11 juillet 2005

Cette série est absolument passionnante !

De toute façon, à part Leonhardt, d'un radicalisme extrême au point de renoncer à toute collaboration scénique, les chefs se réclament d'une inspiration authentique, si on veut, mais surtout de l'expression contemporaine d'une sensibilité qui leur est propre, et qui ne se limite nullement à leur recherche musicologique.
On reproche à Harnoncourt des phrasés trop hachés, mais ce ne sont pas des phrasés "authentiques", simplement ses phrasés à lui - que j'aime beaucoup au demeurant.

Merci pour cette indispensable mise au point.

Écrit par : DavidLeMarrec | lundi, 11 juillet 2005

P[s] : je crois que nous tendons vers une forme de vérité.

Écrit par : sk†ns | mardi, 12 juillet 2005