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lundi, 25 septembre 2006

Géographie intérieure

Il en est des villes comme des êtres humains ; certaines se dévoilent aux premiers regards des visiteurs, de façon spectaculaire, telle Le Puy et ses dykes ;


d’autres ont des charmes discrets et bien cachés, qu’il faut aller chercher au fond des cours derrière des portes bien fermées, telle Lyon, ses traboules et ses balcons Renaissance ;


Chartres, quant à elle, annonce de loin ses flêches irréprochables, au dessous des champs et des forêts, à des kilomètres à la ronde, de manière on ne peut plus ostentatoire.


L’on pourrait alors croire que la platitude règne autour de sa cathédrale ; que nenni : il faut en effet s’approcher pour découvrir sa géographie intérieure, faite de vallées et de tertres abrupts.


Avec l'aimable autorisation pour les dessins du croquis de côté

21:15 Publié dans Chartres | Lien permanent | Commentaires (2)

samedi, 02 septembre 2006

Chacun son tour


Les groupes se bousculent devant le portail Nord de la cathédrale.

16:55 Publié dans Chartres | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 28 août 2006

Pasteur, Proust, Mitterrand

Le monument dédié à Louis Pasteur par la ville de Chartres n'est pas un chef-d'oeuvre notable de la sculture française. Il présente cependant quelques particularités dignes d'être relevées.

En premier lieu, le sculpteur, Paul Richer, a représenté, dans le coin supérieur droit de son haut-relief, un intéressant profil de la cathédrale, vue dans le lointain depuis le Nord-ouest.


En effet, la scène se passe à Saint-Germain-la-Gâtine (aujourd'hui commune de Berchères Saint-Germain) en 1878.
Mais de quoi s'agit-il ? En effet, la question dût se poser aux commanditaires du monument, en 1903, qui voulaient commémorer l'action de Louis Pasteur contre la maladie du charbon qui décimait les troupeaux de moutons beaucerons.
Certes, le chercheur avait bien testé son vaccin en juillet 1881 à Barjouville au Sud de Chartres, mais il ne s'agissait, dans le but de convaincre des paysans réticents ou incrédules, que d'une réédition de sa célèbre expérience initiale en mai-juin de la même année à Pouilly-le-Fort, près de Melun. Il fallait trouver un fait pour lequel la Beauce pût se prévaloir d'une antériorité, ou d'une singularité.
Et ce fait existe, puisqu'en août 1878, Pasteur et son équipe avait réalisé quelques expériences dans la ferme de M. Maunoury à Saint-Gemain-la-Gâtine, qui lui ont permis des avancées décisives dans sa lutte contre la maladie du charbon, en particulier dans ses modes de propagation (n'étant un spécialiste ni de Pasteur, ni des moutons, vous excuserez les éventuelles approximations).
C'est cela qui est représenté sur le monument chartrain.


La vie de ce monument est intéressante.
Il fut d'abord inauguré, bien sûr, le 7 juin 1903 ; et à cette occasion, un discours fut prononcé par Adrien Proust, natif d'Illiers et père de Marcel.
Placé sur la place Saint-Michel, rebaptisé place Pasteur, les allemands le fondent en 1942 pour récupérer le matériau. Reconstitué après la guerre, il fut de nouveau inauguré, le 8 octobre 1950, par François Mitterrand, alors ministre de l'Outre-Mer.
Enfin, tout récemment, dans le cadre des travaux engagés par le maire de Chartres dans le Coeur de ville, le monument a été déplacé et la place Pasteur est redevenue place Saint-Michel.
Le maire de Chartres de 1881 à 1894, qui exerçait la profession de vétérinaire, en a l'air tout dubitatif :


Dernière remarque, Louis Pasteur ne figure pas dans la scène, mais seulement en buste au-dessus !

08:00 Publié dans Chartres | Lien permanent | Commentaires (2)

samedi, 29 juillet 2006

Une auréole

La cathédrale de Chartres a eu à subir peu de dégradations révolutionnaires, seules quelques statues ayant été mutilées ou détruites à cette époque. Ces dégâts sont cependant très sensibles au portail Nord, et particulierement sur le porche de la porte gauche.



En effet, alors que les autres porches ont encore la majorité de leurs statues, celui-ci en est complètement dépourvu.
On remarque cependant un objet étrange en forme de soucoupe. Qu'est ce que c'est ?


Regardons Saint Pierre juste à côté :


Bon sang, mais c'est bien sûr, c'est une auréole !

La littérature, fondée sur des descriptions du XVIIIème siècle, nous dit qu'il s'agit de l'auréole de l'Eglise, qui faisait le pendant de la Synagogue, comme on peut le voir, entre autre, au portail sud de la cathédrale de Strasbourg.
Deux différences toutefois : d'une part, les positions respectives sont inversées, et d'autre part l'Eglise, à Chartres, ne porte pas un calice comme à Strasbourg, mais une modèle réduit de bâtment ecclésial.
On peut en voir une représentation sur le vitrail de la passion typologique :

















Muni de ces informations, voici la reconstitution que je vous propose :


20:55 Publié dans Chartres | Lien permanent | Commentaires (3)

lundi, 24 juillet 2006

Saint Julien et moi

J’ai récemment croisé plusieurs fois la route de Saint Julien l’Hospitalier, et je m’en vais vous narrer ces rencontres.
Dans mes recherches internautiques sur la cathédrale de Chartres, j’ai incidemment trouvé le compte-rendu d’un pèlerinage paroissial du doyenné de Meudon à Chartres. J’ai lu ce texte car le groupe de pèlerins était accompagné par Colette Deremble, qui est une des grandes spécialistes actuelles des vitraux chartrains. Devant la verrière consacrée à la légende de Saint Julien l’Hospitalier, la rédactrice (car j’imagine bien une rédactrice plutôt qu’un rédacteur) rapporte ceci :

C’est l’histoire d’un parricide par erreur, qui passe ensuite sa vie à se repentir, et à la fin rencontre le Christ.
Une copie de ce vitrail existe à Rouen : Flaubert, qui l’y avait vue, a commenté la rencontre avec le Christ en lui donnant un contenu homosexuel, ce qui est un contresens.


Je dois bien dire que je ne me souvenais pas que Flaubert s’était inspiré d’un vitrail de la cathédrale de Rouen pour écrire le second de ses Trois contes, et encore moins que ledit vitrail fût une copie de celui de Chartres.
Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est que Hervé Guibert, dans Mes Parents, souligne le caractère charnel et homosexuel donné par Flaubert à la rencontre entre Julien et le lépreux–Christ à la fin du conte, caractère qu’il ne me semble pas avoir perçu à la première lecture, et qui n’est guère souligné dans les analyses que j’ai pu lire ici ou là.

Ici, une incise : en fait, j'avais oublié dans quel livre Hervé Guibert évoque la Légende de Saint Julien l'Hospitalier. J'ai donc ouvert les cartons et suis parti à la recherche du titre perdu. Et l'ayant trouvé, je me suis aperçu que Guibert ne souligne rien du tout, il se contente de citer la fin du conte qu'on lui fait étudier au lycée. C'est seulement le contexte (le paragraphe suivant évoque un numéro spécial du Crapouillot consacré au monde de l'homosexualité) qui entraîne l'association d'idée. Relisant, à l'occasion de cette recherche, le Protocole compassionnel ou A l'ami..., je me suis demandé si Hervé Guibert avait pensé à un rapprochement entre Saint Julien, le lépreux et le SIDA (Mes Parents ont été publié en 1986)

J’en étais là de mes réflexions quand Matoo a chroniqué ses impressions de boukinage des Trois contes, sans faire référence à cette dernière scène de la Légende qui me semble, aujourd’hui, tellement frappante. J’ai hésité comme souvent à laisser un commentaire, mais d’une part je n’aime pas paraître pédant (qui l’eut crû ?), et d’autre part je n’avais pas la référence de l’ouvrage de Guibert, mes livres étant encore emballés. Comme en contrepoint, un commentateur moins puéril que moi a cité un essai de Harry Redman, Le côté homosexuel de Flaubert.

J’en serais resté là, et vous ne seriez pas en train de lire ce passionnant billet, si un dimanche matin, me promenant rue Muret, je n'étais tombé nez à nez sur Saint Julien.


Tant de coïncidences ne pouvaient que signifier que l’Hospitalier voulait que je parle de lui.

Le conte de Flaubert a suscité un nombre incroyable d’exégèse, et d’analyse comparative des sources supposées de l’écrivain, notamment la Légende dorée de Jacques de Voragine.
Flaubert lui même a semé à la fois des indices et le doute. A la toute fin du texte, il écrit :

Et voilà l'histoire de saint Julien l'Hospitalier, telle à peu près qu'on la trouve, sur un vitrail d'église, dans mon pays.


Vous noterez l’ « à peu près » et l’à peu près (« sur un vitrail d’église, dans mon pays »). La plupart des exégètes ont vu dans cette indication le vitrail de Saint Julien de la cathédrale de Rouen. En effet, Flaubert avait envisagé de l’utiliser comme illustration. Mais ce n’est pas si simple : (c’est Flaubert qui parle)

Je désirais mettre à la suite de Saint Julien le vitrail de la cathédrale de Rouen. Il s'agissait de colorier la planche qui se trouve dans le livre de Langlois, rien de plus. Et cette illustration me plaisait précisément parce que ce n'était pas une illustration, mais un document historique. En comparant l'image au texte on se serait dit: « Je n'y comprends rien. Comment a-t-il tiré ceci de cela? »



Et oui, les différences sont nombreuses, et en particulier il est clair que l’épisode final dans lequel Saint Julien, nu, réchauffe le lépreux est une pure invention poétique, et sensuelle, de Flaubert.

- J'ai froid!
Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque éteinte, il murmura :
– Ton lit!
Julien l'aida doucement à s'y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
– C'est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
– Déshabille-toi, pour que j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme une lime.
Il tâchait de l'encourager ; et l'autre répondait, en haletant :
– Ah! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! Toute ta personne.
Julien s'étala dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent comme les rais du soleil; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient.
Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s'envola, le firmament se déployait ; – et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel.


Le flot de littérature qu’a engendré ce conte de Flaubert est impressionnant (entre autres Michel Butor ou Marcel Schwob, que je signale pour faire plaisir à Tlön), et passionnant. Je ne me risquerai pas à ajouter ma prose à tout cela, aussi je me contenterai de quelques images.


L’épisode de la traversée du fleuve par le lépreux et Saint-Julien
Cathédrale de Rouen


La même scène – Cathédrale de Chartres

Colette Deremble, dans son magistral ouvrage sur les vitraux de Chartres (Corpus vitrearum), fait remarquer à juste titre que les imagiers de Chartres, comme ceux de Rouen quelques années après, ont supprimé de la légende une grande partie de ce qu'elle comportait de fantastique et de merveilleux. C'est ainsi que la prophétie du Cerf, qui annonce à Julien qu'il sera parricide, ou la métamorphose du Christ en lépreux n'apparaissent pas dans les verrières chartraines ou rouennaises. Et paradoxalement, c'est ce fantastique et ce merveilleux que Flaubert réintroduit dans le conte, alors qu'il prétend s'être inspiré d'un vitrail d'église.

Mais il faut bien dire, de toutes les façons, que Saint Julien l'Hospitalier, avant d'être un superbe texte de Gustave Flaubert, est en premier lieu une invention des chanoines chartrains, expert en marketing, habile fusion de la vie de Saint Julien du Mans et d'une légende populaire locale, destinée à attirer les pélerins, alors que Chartres, confrontée à une concurrence féroce, ne disposait pas dans son patrimoine d'évêque sanctifié.

Et nous revenons ainsi à notre Saint Julien de la rue Muret, lointaine résurgence de la foi populaire. Regardez attentivement et vous apercevrez dans le coin à droite de la statue naïve une petite photographie de Jean-Paul II.
Approchez plus près, et lisez le texte, corrigé de ses fautes d'orthographe (vaicu pour vécu, tuer pour tué) :