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lundi, 10 septembre 2007

Capriccio (1607 - 1942)

On ne peut probablement rêver meilleur début, pour une saison d’opéra, que Capriccio (mais toutes les maisons d’opéra ne peuvent pas, tout de même, ouvrir chaque année avec Capriccio).


Les débats policés, quoique animés, entre le poète, le compositeur et le directeur de théâtre (dans un rôle d’organisateur de spectacle et de metteur en scène), menés dans le salon distingué de la Comtesse Madeleine sont pleins d’intelligence, d’humour et d’ironie et renvoient au public lyrique ses travers, comme dans un miroir, à peine déformant. Mais ils se concluent, en définitive et malgré la mélancolie teintée d’amertume de la maîtresse de maison laissée seule pour le souper, par l’apothéose de l’opéra, fusion de la poésie et de la musique, du théâtre et du chant. Apothéose de l’opéra straussien par là même, puisqu’il s’agit de sa dernière œuvre pour le genre (composée en 1941-1942).

Prima la musica o prima le parole : cette controverse nous vient de loin (fort probablement dès lors que l’on a chanté des textes sacrés) et une de ses occurrences a conduit, au début du XVIIe siècle à Florence, au sein de la camerata Bardi, à la création de l’opéra. Il s’agissait, pour ces intellectuels florentins, d’affirmer la primauté du sens sur la beauté sonore, à une époque où les excès de la polyphonie rendaient inintelligibles la poésie, qu’elle fut profane ou sacrée (que l’on songe à certain motet à quarante voix de Thomas Tallis). La monodie accompagnée et les premiers opéras, au sens moderne du terme, qui en résultèrent, s’ils furent alors révolutionnaires, nous paraissent bien pauvres aujourd’hui et il a fallu qu’un génie musical s’en mêle pour qu’un premier chef-d’œuvre émerge de cette démarche littéraire et passablement théorique.
En 1607 en effet, Monteverdi propose à la cour de Mantoue son Orfeo, qui laisse loin derrière lui les premières tentatives de Peri et Caccini.

Après ce premier coup de maître dans l’alliance du théâtre et du chant, le genre de l’opéra ne cessera d’alterner des périodes de désaffection pour le texte et de retour en grâce (de Gluck à Wagner et Debussy). En versant dans une certaine forme de pessimisme, l’on pourrait bien considérer que Capriccio constitue le pendant de l’Orfeo, le dernier souffle d’une forme d’art arrivé à épuisement, une mise en abyme, tant dans le livret que dans la partition, de toute l’histoire du théâtre lyrique, et ce en pleine seconde guerre mondiale, au milieu de l’Allemagne nazie.

Car comment faire abstraction du contexte historique de la composition, quand on assiste à une représentation de Capriccio, sans pour autant que ce contexte n’envahisse le sens et la scène de façon exagérée ?
Robert Carsen, à Garnier, dans une production en train de devenir un classique du lieu (et qui est d’ailleurs complètement inexportable), se contente de l’évoquer par la silhouette du chauffeur de Mademoiselle Clairon, comme un rappel d’un officier de la Wehrmacht ou de la Waffen SS.

Mais il y a peut-être plus subtil, et plus profond.

En effet, tout la mise en scène de Carsen est construite sur une vertigineuse mise en abyme de l’opéra Garnier lui-même, et tout spécialement du foyer de la Danse, reproduit en second plan pendant les premières scènes, puis ensuite en premier plan (dans un effet cinématographique de zoom) et en trompe-l’œil dans un miroir, et apparaissant enfin en réalité au fond de la scène.
Or, de quoi s’agit-il ? Si le foyer de la danse a été conçu officiellement comme une salle de répétition du corps de ballet, il était en vérité le lieu où les dignes représentants de la haute bourgeoisie et l’aristocratie venaient se payer leurs danseuses (une sorte de marché aux bestiaux).
Il me semble que l’on pourrait voir (entre autres, tant le travail de Carsen est riche et intelligent) dans l’utilisation de cet endroit emblématique comme une – discrète – allégorie de l’asservissement de l’art et des artistes au pouvoir et aux puissants (et ainsi à la situation même de Richard Strauss, passablement ambigüe pendant le troisième Reich).


8 septembre 2007 – Opéra Garnier – Capriccio – Richard Strauss – Die Gräfin Solveig Kringelborn – Der Graf Olaf Bär – Flamand Charles Workman – Olivier Tassis Christoyannis – La Roche Jan-Hendrik Rootering – Die Schauspielerin Clairon Doris Soffel – Eine Italienische Sängerin Elena Tsallagova – Ein Italienischer Tenor Juan Francisco Gatell – Monsieur Taupe Robert Tear – Der Haushofmeister Jérôme Varnier – Acht Diener Jason Bridges, Igor Gnidii, Mihajlo Arsenski, Etienne Dupuis, Bartlomiej Misiuda, Johannes Weiss, Vincent Delhoume, Mark Richardson – Orchestre de l'Opéra national de Paris – Direction musicale Hartmut Haenchen – Mise en scène Robert Carsen – Décors Michael Levine – Costumes Anthony Powell – Lumières Robert Carsen et Peter Van Praet – Chorégraphie Jean-Guillaume Bart


Vous trouverez ici (tant que le lien est valable) une image caractéristique du spectacle, qui permettra d'illustrer mon propos.

vendredi, 07 septembre 2007

Partition Tableau Façade

Qui saura reconnaître la partition et le tableau dissimulés dans cette façade harmonique, quoique libre (voire ondulatoire) ?


Compléments du 9 septembre :


Le couvent dominicaine de La Tourette (sis sur la commune d'Eveux dans les monts du Lyonnais) est l’œuvre de Iannis Xenakis autant que celle de Le Corbusier. Le concept de façade ondulatoire doit en particulier tout au mathématicien – musicien – architecte, qui faisait alors partie de l’atelier corbuséen (les rapports entre Le Corbusier, ses chantiers et ses collaborateurs est assez intéressant à observer).
Ces façades forment une partition (largeur entre les montants verticaux, hauteurs des montants horizontaux) ; la jeune guide de La Tourette nous a affirmé qu’il s’agissait de Metastasis, ce que je suis bien en peine de confirmer.


C’est elle aussi qui a évoqué Mondrian devant d’autres façades, ce qui paraît assez plausible (notamment vu de l’extérieur, en arrière-plan de la première photographie, avec les couleurs).

jeudi, 06 septembre 2007

I have a dream

La prise de pouvoir de la psychanalyse, au début du XXe siècle, a fait basculer définitivement l’interprétation des rêves du côté de l’intime et de l’introspection, alors que pendant des siècles, et à tout le moins pendant le Moyen-âge, le songe fut un moyen d’expliquer le monde et ses mystères, de prédire le futur ou de deviner le passé.
Dans un contexte théologique, la Bible et la vie des Saints fourmillent de rêves, permettant la médiation de l’homme et de Dieu (ou du Diable), sous une forme peut-être plus acceptable pour le quidam que de véritables apparitions.

C’est ainsi que les vitraux de la cathédrale de Chartres nous montrent de nombreux dormeurs (notons cependant immédiatement que les concepteurs du programme de la vitrerie chartraine n’ont guère versé dans la rêverie légendaire et fantastique, se concentrant sur leurs objectifs théologiques et politiques).

A tout seigneur, tout honneur, Charlemagne est enjoint, dans un songe, par Saint Jacques de délivrer son tombeau à Compostelle.


Dans la même verrière, Charlemagne de songeur devient songé, puisqu’il apparaît à l’empereur byzantin Constantin, lui annonçant son aide contre les sarrasins.


Des bons rois (selon l’Eglise), passons aux mauvais rois dans le vitrail de Saint Etienne. Le mauvais roi songe en effet au Diable.


Du vitrail et des rois à la sculpture et aux mages, ou aux rois mages, avertis en songe, au portail Nord, de ne pas retourner vers Hérode.


S’il est un homme aux songes dans la Bible, c’est bien Joseph, le fils de Jacob. Dans le vitrail qui lui est consacré (en tant que préfigurateur de Jésus), le songe aux étoiles est figuré (11 étoiles, la lune et le soleil).


Mais c’est surtout comme interprète des rêves d’autrui qu’il est représenté, tout d’abord ceux des serviteurs de Pharaon…


...puis celui de Pharaon lui-même.


Bien entendu des saints locaux sont aussi honorés. Tout d’abord Saint Savinien, légendaire évêque de Sens, auquel apparaissent en songe Saint Pierre et Saint Paul.


Et puis évidemment le célèbre Saint Martin de Tours, auquel apparaît le Christ.


Mais il est un autre dormeur, dans les images de Chartres. C’est Jessé, du flanc duquel sort l’arbre portant les rois de Juda et, au sommet, le Christ.


Il s’agit là bien sûr du célèbre arbre de Jessé illustrant à la fois la prophétie d’Isaïe (Un rameau sortira de la souche de Jessé, / un rejeton jaillira de ses racines. / Sur lui reposera l'esprit du Seigneur ) et la généalogie du Christ de l’évangile selon Saint Matthieu.



Mais alors, le Christ, et le christianisme par conséquent, ne serait donc qu’un songe de Jessé ?

mercredi, 05 septembre 2007

Trente ans après (1)

Le Corbusier partage avec Picasso le triste privilège d’être l'archétypal représentant moderne de son art, connu du plus grand nombre (je doute qu’il y ait un seul compositeur de la même notoriété).

Cette reconnaissance est dans l’ensemble plutôt à connotation négative, les deux reproches les plus couramment adressés à Corbu étant d’une part « son caractère dogmatique, totalitaire, voulant imposer aux gens des manières de vivre », et d’autre part le fait qu’ « il a engendré les cités dortoirs des années 60 et la kirielle de problèmes sociaux qui en a résulté » (ces deux assertions classiques et paresseuses sont tirées (et non corrigées) d’un blogue consacré à l’art contemporain dont la reconnaissance blogosphérique m’a toujours étonné et semblé largement surestimée). Les plus informés parmi ses détracteurs mettent en avant la monstruosité du Plan Voisin, qui proposait la destruction d’une grande partie de Paris et son remplacement par des tours, en omettant d’y voir la part d’utopie prospective, et plus encore celle de provocation contenues dans cette vision urbanistique (vision que par ailleurs je ne partage absolument pas, car fondée sur l’automobile comme moyen unique de déplacement).

Mais d’un autre côté, Le Corbusier est quasiment une idole des écoles d’architecture, qu’il convient de ne jamais remettre en cause.

Cependant, il me semble qu’un retour en grâce auprès du grand public est en train de s’opérer par la voie patrimoniale et touristique.
L’ensemble des réalisations du Corbu et de son atelier à Firminy est à cet égard un bon exemple. Je ne ferai pas d’exposé historique (vous trouverez toutes les informations nécessaires ), mais je vais simplement narrer mon expérience personnelle (c’est le propre des blogues, après tout).

Maison de la culture de Firminy

J’ai en effet passé toute mon enfance non loin de Firminy, où j’allais très régulièrement (et où j’ai passé mes années de lycée). J’ai en particulier assisté à plusieurs spectacles à la Maison de la culture (une des œuvres de Le Corbusier, la seule ici en fait qu’il a pu suivre presque entièrement), et j’y ai passé un désastreux examen de fin d’année de piano. Je n’ai jamais eu l’impression, à cette époque, d’habiter (au sens de la machine à habiter) un bâtiment remarquable, et personne ne me l’a fait apprécier, car personne ne semblait l’apprécier.
Au contraire, la Maison de la culture ou l’Unité d’habitation (sans parler des fragments de l’église) étaient englobées dans la détestation vouée au quartier, que l’on ne disait pas encore sensible, aux tours et aux barres et à l’architecture moderne.

Eglise Saint-Pierre de Firminy

L’Unité d’habitation et l’église ont échappé de peu à la désaffectation et à la démolition, avant d’être classées monuments historiques et réhabilitée (pour la première) et terminée (pour la seconde).
Cet achèvement, exceptionnel à bien des égards, est un symbole éminent de la prise de conscience collective de la valeur patrimoniale et du potentiel touristique de l’ensemble pensé là (à défaut de vraiment construit) par Le Corbusier. Le même phénomène se produit, à une échelle moindre, à la Cité Frugès de Pessac.

Des touristes, et qui plus est des touristes étrangers, et des visites guidées à Firminy-Vert, qui l’eût crû il y a trente ans !

Touriste dont je fus, pendant mes dernières vacances, trente ans après, vous l’aurez compris.

Unité d'habitation Firminy


(Mes impressions de visite dans une prochaine note)


mardi, 04 septembre 2007

Le mystère du quadrilatère carnute