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mardi, 09 août 2005

Claude Le Lorrain, au delà des apparences

Je décrirai certainement plus tard les raisons qui me font, aujourd’hui, aimer Chardin, Fragonard, et d’autres artistes des XVIIe et XVIIIe siècles français, alors que je fus longtemps réfractaire à la peinture de cette époque. Pour l’instant, la présente note évoquera uniquement Claude Le Lorrain, au delà des apparences.

La poésie qui émane des grands paysages du Lorrain, en particulier des tableaux de la dernière période de sa vie, tient évidemment à sa manière de peindre la lumière, le soleil et les arbres, mais plus encore à son art de peindre l’air et ses vibrations.
Il y aurait grand tort cependant à ne pas considérer à sa juste valeur le sujet, biblique ou mythologique, à le juger comme un détail, aveuglé que l’on serait par l’opposition classique, mais bien trop facile, entre l’intelligent Poussin et l’inculte Lorrain. Ainsi, l’exposition Poussin, Chardin, Watteau, David…, entre autres mérites, offrait l'occasion de mettre en évidence, en particulier par la vision de deux chefs-d’œuvre, que le sujet pour Le Lorrain, est rien moins qu’anecdotique ou pittoresque. Avec peu de mots, Guillaume a magnifiquement décrit le sentiment lyrique que l’on éprouve devant La répudiation d’Agar :

Passé le seuil de la maison massive, ton geste qui nous chasse, père, montre le monde ouvert sous le soleil levant.
Le peintre a peint le soleil de face avec l'éblouissement. Son oeil voile l'arche et l'eau. Il argente la brume et les feuillages. Il blanchit la montagne et la mer. Et voit la terre et la lumière égales.

Dans ce commentaire, il esquisse aussi en quoi le peintre est éminent fidèle à l’esprit du texte biblique, alors même qu’il paraît en trahir la lettre.

Sara vit rire le fils qu'Agar, l'Égyptienne, avait enfanté à Abraham;
et elle dit à Abraham: Chasse cette servante et son fils, car le fils de cette servante n'héritera pas avec mon fils, avec Isaac.
Cette parole déplut fort aux yeux d'Abraham, à cause de son fils.
Mais Dieu dit à Abraham: Que cela ne déplaise pas à tes yeux, à cause de l'enfant et de ta servante. Accorde à Sara tout ce qu'elle te demandera; car c'est d'Isaac que sortira une postérité qui te sera propre.
Je ferai aussi une nation du fils de ta servante; car il est ta postérité.
Abraham se leva de bon matin; il prit du pain et une outre d'eau, qu'il donna à Agar et plaça sur son épaule; il lui remit aussi l'enfant, et la renvoya. Elle s'en alla, et s'égara dans le désert de Beer Schéba.
(Genèse 21.9-14 Bible de Segond 1910)

Dans ce paysage luxuriant, où est en effet le désert, dans lequel Agar et son fils vont endurer la soif, jusqu’à ce que l’ange de Dieu leur vienne en secours ? Les arbres, le soleil levant, la mer et la montagne ne sont ils là que pour contribuer à la beauté du tableau, au mépris de toute vraisemblance ? Mais que voyons nous : la maison d’Abraham est froide, sombre et hostile, Sara à son balcon épie la scène d’un regard peu amène. L’avenir d’Ismaël n’est manifestement pas là. En revanche, en quittant cette demeure peu avenante, il est appelé à fonder une grande nation. Par delà les épreuves du désert de Beer Schéba, le destin du fils d’Agar est radieux. Et c’est cet au-delà que dépeint Le Lorrain dans la nature hospitalière de la Répudiation. Rien de gratuit, en vérité. Placé tout à coté sur les cimaises du Grand-Palais, le Paysage avec l’apparition à Marie-Madeleine « Noli me tangere » ne pouvait que m’attirer. Outre la qualité intrinsèque du tableau, j’ai déjà dit mon intérêt particulier pour cet épisode des évangiles (Un dernier détail, Outils de jardin, Corps présent – Corps absent, Noli me tangere – Ne me touche pas – Ruhre mich nicht).

Cependant Marie se tenait dehors près du sépulcre, et pleurait. Comme elle pleurait, elle se baissa pour regarder dans le sépulcre;
et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds.
Ils lui dirent: Femme, pourquoi pleures-tu? Elle leur répondit: Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
En disant cela, elle se retourna, et elle vit Jésus debout; mais elle ne savait pas que c'était Jésus.
Jésus lui dit: Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c'était le jardinier, lui dit: Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai.
Jésus lui dit: Marie! Elle se retourna, et lui dit en hébreu: Rabbouni! c'est-à-dire, Maître!
Jésus lui dit: Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères, et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur, et qu'il lui avait dit ces choses.
(Jean 20.11-18 Bible de Segond 1910)

Le sujet principal, la rencontre de Jésus ressuscité et de Marie Madeleine, est curieusement traité de façon anecdotique, les personnages sont minuscules, excentrés sur la gauche de l’œuvre. Tout le centre est occupé par la ville de Jérusalem, et le coté droit, au delà d’un arbre monumental, par le saint Sépulcre et le mont Golgotha.
La perplexité augmente si nous nous rapprochons. Les plus grands artistes se sont ingéniés à représenter le mouvement du « ne me touche pas », avec un excès de sensualité parfois. Or que voit on ici ; Jésus immobile parle à Madeleine agenouillé à une distance qui ne lui permet en aucun cas de toucher son Maître. Le Lorrain, affecté d’un tremblement de la main handicapant, aurait-il reculé devant la difficulté de la tâche ? Regardons d’autres détails. Le texte biblique parle de deux anges, un seul figure ici : que de désinvolture ! Et que font ces femmes au pied de l’arbre ?

Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus.
Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre, de grand matin, comme le soleil venait de se lever.
Elles disaient entre elles: Qui nous roulera la pierre loin de l'entrée du sépulcre?
Et, levant les yeux, elles aperçurent que la pierre, qui était très grande, avait été roulée.
Elles entrèrent dans le sépulcre, virent un jeune homme assis à droite vêtu d'une robe blanche, et elles furent épouvantées.
Il leur dit: Ne vous épouvantez pas; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié; il est ressuscité, il n'est point ici; voici le lieu où on l'avait mis.
Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée: c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.
Elles sortirent du sépulcre et s'enfuirent. La peur et le trouble les avaient saisies; et elles ne dirent rien à personne, à cause de leur effroi.
Jésus, étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, apparut d'abord à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept démons.
Elle alla en porter la nouvelle à ceux qui avaient été avec lui, et qui s'affligeaient et pleuraient
(Marc 16.1-10 Bible de Segond 1910)

Si l’on considère la composition du Lorrain à la lumière de l’évangile selon Saint-Marc, la cohérence et la nécessité de chaque détail se fait alors évidente : Madeleine, avec son pot d’aromates, à genoux devant Jésus qui apparaît à elle seule ; Marie et Salomé éloignées de cette scène, mais dont la présence est indispensable à la compréhension du tableau ; le jeune homme vêtu d’une robe blanche, qui a annoncé la bonne nouvelle ; le tout organisé en trois plans distincts, sur l’arrière fond de la ville sainte, dans une progression chronologique retrouvée des Histoires des peintres dits "primitifs".

«Vous avez là enfin un homme accompli, a dit Goethe, un homme dont les conceptions sont aussi belles que les sentiments et dont l'âme renfermait un monde tel qu'il n'est point facile de le rencontrer. — Ces images sont de la plus haute vérité sans que ce soit nul vestige du réalisme. Claude Lorrain connaissait par coeur, dans les moindres détails, le monde réel, et il l'employait, comme moyen, pour exprimer cet autre monde dont sa belle âme était le siège. Tel est l'idéalisme légitime; il se sert de la réalité de manière que les parcelles visibles de vérité produisent l'effet de la réalité même.»
Entretiens de Goethe et Eckermann

Au-delà des apparences…

23:55 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (2)

vendredi, 05 août 2005

Haut patronage

Après avoir lu les premières pages de La Lutte avec l'Ange de Jean-Paul Kauffmann, j'ai décidé de placer ce blog sous le Haut Patronage de Jacob.

 

"Jacob est un personnage qui symbolise à merveille l'esprit de l'escalier. Avec lui, les événements surviennent presque toujours à retardement, quand apparemment il n'est plus temps."

mardi, 02 août 2005

Choses vues
















Mur peint, mur écrit


Il ne manquait plus que Pierre Boulez en fond sonore.


21:15 Publié dans Brève | Lien permanent | Commentaires (9)