Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Jeu de clef (2) | Page d'accueil | De retour ... »

jeudi, 21 juillet 2005

Controverse à propos de l'éloge de la lenteur


En codicille à mes billets Où il est question 1 2 3 4, et pour apporter la contradiction à l'éloge de la lenteur de Dominique Autié, je propose ici un extrait de Vous avez dit baroque ? de Philippe Beaussant, qui me semble exprimer très clairement un point central de la question de l'authenticité et de sa perception:

Il n’y a pas d’ « Anciens » et de « Modernes ».

FurtwanglerIl y a une sensibilité artistique qui, fidèle à une tradition, aime à retrouver dans un opéra de Haendel, dans une cantate de Bach, des formes musicales, une structure de l’orchestre, un type d’émission et d’expression vocale, une utilisation des chœurs, mais aussi une certaine manière d’être ému par la musique, qui a depuis le XIXe siècle ses lettres de noblesse.
Elisabeth Schwarzkopf dans un air de la Messe en si, Victoria de Los Angeles chantant Didon, l’orchestre de Bach dirigé par Klemperer, leur apportent ce qu’ils souhaitent. Ils sont prêts à accepter que soit altérée la structure sonore conçues par Bach, son équilibre ; ils acceptent que s’empâte l’orchestre, que s’alourdisse la texture déliée du contrepoint : c’est pour eux le prix à payer pour l’émotion qu’ils attendent de l’œuvre d’art.

HerrewegheEt il y a une autre conception de l’œuvre musicale, qui est nouvelle, et qui de ce fait commence à peine à se dégager des principes un peu trop rigides dont elle a dû se corseter à ses débuts. Pour elle, le sens de l’œuvre musicale est inséparable de la restitution attentive, vigilante, de sa texture sonore. C’est là en fait une notion moderne, qui ne poserait pas aucun problème si ces musiciens n’avaient senti combien la distance qui nous sépare de la composition de l’œuvre a altéré les conditions de l’exécution, et donc cette sonorité si précieuse.
Ce n’est pas l’histoire qui les fascine, comme on le croit ; ce n’est pas l’authenticité « historique » qu’ils recherchent. Ce sont les œuvres débarassées, nettoyées de la marque que les siècles leur ont ajoutée. L’emploi d’instruments anciens n’est que le moyen de retrouver cette pureté de texture, cette finesse d’articulation, d’équilibre, de proportion sonore, sans lesquelles l’œuvre ne leur paraît pas pouvoir dire seulement ce qu’elle a à dire, et pourquoi elle a été faite.



Commentaires

J’ai lu avec un plaisir toujours vif vos billets, mais la question de l’authenticité n’est pas en tant que telle la clé de mon approche – très personnelle, peu conviviale, formulée hors de toute compétence estampillée, je le dis tout de suite pour que vos lecteurs ne se sentent pas pris en otage par notre débat !
Dans la stricte optique de l’authenticité telle que vous l’avez évoquée ici, le texte de Philippe Beaussant est sans reproche. Toutefois, comment ne pas rappeler qu’en toile de fond persiste le non-dit qui pipe cette analyse : l’adoption par l’Occident, en prélude à la chute de l’Ancien Régime et en éclaireur de la révolution industrielle, du tempérament puis, à terme, de la gamme égale. Si l’on n’enseigne pas ce point d’histoire en introduction à toute glose consacrée à l’interprétation de la musique occidentale (en amont comme en aval de Bach), vous savez comme moi qu’on ne dit rien. Les notices des disques que nous écoutons sont farcies de cette pédagogie tronquée.
Par ailleurs – mais c’est un autre débat –, examiner la notion d’authenticité dans le cas de la musique baroque, c’est aussi prendre position, implicitement, sur la définition même du baroque. Deux « écoles » s’opposent à ce sujet, celle qui s’appuie sur un strict historicisme (le baroque, c’est 1600-1750, à plus ou moins cinq ans) ; l’autre, qui réfère à l’analyse d’Eugenio d’Ors pour qui le baroque est un « système surtemporaire ».
Ce second regard m’a toujours été évident, au-delà de toute argumentation. D’autre part, les tonalités anciennes étant à jamais perdues, je choisis résolument, il est vrai, de me vautrer dans l’harmonique, par simple goût personnel (point sur lequel Beaussant a parfaitement raison : c’est ma manière à moi « d’être ému par la musique »).
Comme tout ce qui précède est d’excellent aloi et risque de ne pas vraiment paraître sujet à controverse à vos (nos) lecteurs, j’en terminerai par une banderille.
J’ai sous les yeux l’exemplaire du livre de Philippe Beaussant que vous citez. Je me souviens l’avoir reposé après avoir lu – trop tard ! le livre était acheté – la notice sur l’auteur qui figure en page 4 de couverture : on y apprend que Philippe Beaussant, après une carrière d’enseignant, a créé en 1977 l’Institut de musique et danse anciennes, et qu’il est aujourd’hui [l’ouvrage a paru en 1994] conseiller artistique au Centre de musique baroque de Versailles. Philippe Beaussant est donc, peu ou prou, l’employeur et le mécène à la fois de Philippe Herreweghe. Cet homme nous parlant de l’interprétation de la musique baroque, c’est un peu René nous entretenant de la tessiture de Céline (Dion), non ?

Écrit par : Dominique Autié | jeudi, 21 juillet 2005

-Schwarzkopf dans la messe en si ! quelqu'un aurait-il réussi à l'arrêter de minauder ? Il mériterait toute notre reconnaissance...Il faudra que je te demande à l'occasion les références de ton disque Furtwängler dans la passion selon Saint Matthieu, ça commence à sérieusement exciter ma curiosité...

- Je vais passer pour un teigneux mais j'ai du mal à comprendre comment on peut écrire :"Ils sont prêts à accepter que soit altérée la structure sonore conçues par Bach, son équilibre ; ils acceptent que s’empâte l’orchestre, que s’alourdisse la texture déliée du contrepoint : c’est pour eux le prix à payer pour l’émotion qu’ils attendent de l’œuvre d’art." C'est quand même un jugement a posteriori, non ? Le "retour à l'authenticité" en dit sans doute autant sur notre époque que les orchestres crémeux des années 20-30 sur la leur, non ?

Écrit par : zvezdo | jeudi, 21 juillet 2005

on n'échappe pas à son temps : il y aurait une petite comparaison amusante à faire avec les films en costume ; plus ça se veut une reconstitution authentique, plus ça porte la marque de son époque

Écrit par : guillaume | jeudi, 21 juillet 2005

N'étant pas spécialiste de musique j'en reste à ce point qui pour moi reste non élucidé. A supposer que l'on restitue "intégralement" l'oeuvre (la restitution attentive, vigilante, de sa texture sonore) qu'en est il de l'auditeur, qui par définition, est dans une position "anachronique" (cf Heurts et malheurs de l'anachronisme - Histoires de peintures - Daniel Arasse). J'ai écouté d'autres musiques, j'ai plus ou moins lu de la glose autour de l'ouvre etc... A la limite la meilleure restitution serait celle qui se priverait d'auditeur.
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre...

Écrit par : Tlön | jeudi, 21 juillet 2005

Je retrouve mes vingt ans avec ces polémiques ! Je ne pensais pas qu’elles pouvaient encore avoir une quelconque actualité.
Je ne tiens pas cependant (je crois l’avoir déjà dit) à transformer les commentaires en forum. Mais, quand même, je ne peux résister à produire quelques arguments :
Evidemment, on n’échappe pas à son temps, et l’interprétation « à l’ancienne » (j’emploie ce terme pour simplifier) est de notre époque, et, avec le goût du patrimoine et de sa conservation, elle dit sans doute beaucoup sur notre siècle, en occident. Mais justement, ce qu’elle dit, n’est ce pas une forme plus grande de respect (et d’abord de connaissance) des siècles passés ?
Comme je l’ai dit dans les notes précédentes et leurs commentaires, la recherche d’une certaine (et relative, et fragile) vérité sonore concerne en premier lieu l’interprète (et le musicologue). Pour moi, la question d’un auditeur « historique » ne se pose pas, c’est un faux débat. La recherche de la vérité sonore est à destination d’un auditeur moderne, seul à même de l’apprécier, et de la juger, à condition qu’il est fait, à mon sens, les efforts nécessaires pour se débarasser de ses préjugés (hérités de la deuxième moitié du XIXe siècle).
Quant à la phrase que cite Zvezdo, elle serait un jugement a posteriori si elle concernait les auditeurs des années 30. Or elle concerne bon nombres d’auditeurs d’aujourd’hui (et plus encore des années 1990, où fut écrit le livre de Beaussant), qui préfèrent un type d’interprétation traditionnelle (encore une fois pour simplifier) en connaissance de cause, ou le plus souvent en méconnaissance de cause. Ce sont souvent ces derniers qui taxent les baroqueux d’intégrisme et d’archaïsme, alors que ce sont eux les intégristes (car ils dénient le droit aux interprètes de choisir d’autres voies que celles qu’ils connaissent) et les archaïques (car ils sont imprégnés de schémas hérités du XIXe).
Préférer Furtwangler à Herreweghe en connaissance de cause me paraît respectable, si l’on ne dénit pas à Herreweghe son droit à rechercher la vérité sonore de Bach (et la vérité de la pulsation et du rythme), et si l’on reconnaît qu’il en est plus proche que Furtwangler.
Il s’agit là, je pense, d’un point de désaccord fondamental avec Dominique Autié.
Sur la question du « baroque », il me paraît incontestable qu’il y a une cohérence à la période 1600-1750, en matière de réthorique, de théatre, de musique, de danse, d’architecture, au-delà des différences dans le temps et dans l’espace. La conception orsienne parle d’autre chose, et mériterait une autre appellation pour éviter les faux débats.
Enfin sur le tempérament, c’est précisément les recherches menées depuis le début du XXe siècle sur l’interprétation de la musique ancienne qui ont remis sur le tapis les accords d’avant l’égalité. Cette question a certes moins été médiatisée que d’autres (le diapason ou les instruments anciens), mais n’en est pas moins présente (notamment chez nombre d’organistes). Je vois là une légère contradiction, cher Dominique !

Pour finir par une note plus personnelle, il est curieux que je sois allé cette année, à l’instigation de Zvezdo, pour la première fois au festival de Saintes (une sorte de signal-phare), au moment même où je rédigeais ces quelques billets, bien imparfaits, mais importants pour moi.

Écrit par : Philippe[s] | jeudi, 21 juillet 2005

Je ne rentre pas dans votre discussion où je ferais pâle figure ; une question toutefois : l'évolution du goût en matière d'interprétation n'est-elle pas liée, en partie au moins, au progrès (ou en tout cas à l'évolution) de la technique d'enregistrement. On est de notre temps, et notre oreille aussi. Les orchestres, mettons jusque dans les années 50, étaient contraints, indépendamment de l'esthétique sonore du temps, de "jouer" d'une certaine façon (idem pour les chanteurs quant à leur technique vocale). Bref, les techniques d'enregistrement influent-elles sur l'esthétique du jeu ?

Écrit par : Vrai Parisien | vendredi, 22 juillet 2005

Ce n’est aucunement faire pâle figure que d’évoquer les questions touchant à l’enregistrement et à sa restitution !
Pour répondre strictement à la question que vous posez, il conviendrait d’interroger des interprètes des années 1950, 1960, 1970 et de confronter leurs réponses. Ce qu’un simple « audiophile » peut évoquer concerne plutôt les techniques d’enregistrement et les supports dont son oreille mesure l’évolution.
Tout d’abord, il est frappant que les premiers enregistrements stéréophoniques (commercialisés en 1958 – à vérifier, mais c’est cela, à un ou deux ans près, pas plus) n’ont apporté aucune amélioration acoustique spectaculaire à la qualité étonnante des bandes analogiques et monophoniques du milieu des années 1950. Il suffit d’écouter, pour s’en convaincre, les enregistrements de jazz de cette époque.
En revanche, les techniques de mixage me semblent avoir pris, depuis une vingtaine d’années, une part considérable dans la nature de ce que nous écoutons. Aujourd’hui, ce travail consiste le plus souvent à araser toute l’information sonore qui tient à la dimension « organique » des la musique : voix, vie matérielle des instruments (soufflerie des orgues, plaintes du bois, des cordes, imperfections de l’interprétation « live »…). À la demande, je suppose, des services de marketing des maisons de disques, l’ingénieur du son produit un son propre (clean, light, soft) qui correspond à ce qu’on fantasme des goûts de la cible. Façon de parachever le sale boulot de formatage d’une musique contrainte par la gamme égale !
J’en veux pour preuve les enregistrements Philips des années 1960 à 1980. Ceux qui n’ont pas été remixés en digital (mentionnés, donc, AAD sur la pochette) offrent une texture, une épaisseur, une profondeur étonnantes. Il est probable qu’à cette époque, au sein d’une équipe technique faite de professionnels de haut niveau, passionnés par leur travail, une sorte d’équilibre avait été trouvé entre les performances des matériels et une « éthique » de la restitution. L’enregistrement des Nocturnes de Chopin par Claudio Arrau (prise de son à Amsterdam en 1977-1978), ayant pourtant subi un mixage digital pour son édition en CD, restitue les craquements du piano et le bruit des boutons de manchette d’Arrau sur l’ivoire des touches…
En réalité, avec Philippe[s], c’est de cela que nous parlons quand nous nous rencontrons à Toulouse : du bruit des boutons de manchette d’Arrau en 1977. Tout le reste est bien trop abstrait pour nous !

Écrit par : Dominique Autié | vendredi, 22 juillet 2005

Merci pour cette réponse ; quant aux boutons de manchettes d'Arrau, je m'en souviendrai pour briller en société...

Écrit par : Vrai Parisien | vendredi, 22 juillet 2005

dans quel enregistrement entend-on les boutons de manchettes d'arrau? je m'en régale à l'avance...

Écrit par : gvgvsse | mercredi, 03 août 2005

ah zut c'etait marqué... je suis vraiment un nase...

Écrit par : gvgvsse | mercredi, 03 août 2005

sinon pour revenir au sujet principal, j'ai vraiment l'impression que la période la pire de l'enregistrement est le début du numérique. Les enregistrements DDD des années 80 sont une horreur. j'imagine qu'à l'époque, on ne maitrisait absolument pas le numérique. il faut attendre 1990/1995 pourqu'enfin les enregistrements numériques deviennent aussi bons que ceux des années 60/70.

Écrit par : gvgvsse | mercredi, 03 août 2005

La question de l'authenticité ne fait plus débat (enfin je pense). Jochum, Parrott et Leonhardt figurent au même rang dans ma discothèque (et quoi de moins "authentique" que la messe en si par Parrott ? C'est pourtant ma version préférée).

Écrit par : Benjamin | mardi, 16 août 2005

Pour beaucoup de gens, la question de l'authenticité se pose encore. Certes plus dans les mêmes termes que dans les années 80 (quoique...).
En tout cas pour moi, et c'est tout l'objet des notes que j'ai rédigé à ce sujet, l'authenticité au sens courant du terme est une notion qui doit être dépassée, tant par l'auditeur que par l'interprète, mais qui doit aussi continuer à être le moteur de la recherche et de l'accroissement des connaissances

Écrit par : Philippe[s] | mardi, 16 août 2005