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lundi, 24 juillet 2006

Saint Julien et moi

J’ai récemment croisé plusieurs fois la route de Saint Julien l’Hospitalier, et je m’en vais vous narrer ces rencontres.
Dans mes recherches internautiques sur la cathédrale de Chartres, j’ai incidemment trouvé le compte-rendu d’un pèlerinage paroissial du doyenné de Meudon à Chartres. J’ai lu ce texte car le groupe de pèlerins était accompagné par Colette Deremble, qui est une des grandes spécialistes actuelles des vitraux chartrains. Devant la verrière consacrée à la légende de Saint Julien l’Hospitalier, la rédactrice (car j’imagine bien une rédactrice plutôt qu’un rédacteur) rapporte ceci :

C’est l’histoire d’un parricide par erreur, qui passe ensuite sa vie à se repentir, et à la fin rencontre le Christ.
Une copie de ce vitrail existe à Rouen : Flaubert, qui l’y avait vue, a commenté la rencontre avec le Christ en lui donnant un contenu homosexuel, ce qui est un contresens.


Je dois bien dire que je ne me souvenais pas que Flaubert s’était inspiré d’un vitrail de la cathédrale de Rouen pour écrire le second de ses Trois contes, et encore moins que ledit vitrail fût une copie de celui de Chartres.
Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est que Hervé Guibert, dans Mes Parents, souligne le caractère charnel et homosexuel donné par Flaubert à la rencontre entre Julien et le lépreux–Christ à la fin du conte, caractère qu’il ne me semble pas avoir perçu à la première lecture, et qui n’est guère souligné dans les analyses que j’ai pu lire ici ou là.

Ici, une incise : en fait, j'avais oublié dans quel livre Hervé Guibert évoque la Légende de Saint Julien l'Hospitalier. J'ai donc ouvert les cartons et suis parti à la recherche du titre perdu. Et l'ayant trouvé, je me suis aperçu que Guibert ne souligne rien du tout, il se contente de citer la fin du conte qu'on lui fait étudier au lycée. C'est seulement le contexte (le paragraphe suivant évoque un numéro spécial du Crapouillot consacré au monde de l'homosexualité) qui entraîne l'association d'idée. Relisant, à l'occasion de cette recherche, le Protocole compassionnel ou A l'ami..., je me suis demandé si Hervé Guibert avait pensé à un rapprochement entre Saint Julien, le lépreux et le SIDA (Mes Parents ont été publié en 1986)

J’en étais là de mes réflexions quand Matoo a chroniqué ses impressions de boukinage des Trois contes, sans faire référence à cette dernière scène de la Légende qui me semble, aujourd’hui, tellement frappante. J’ai hésité comme souvent à laisser un commentaire, mais d’une part je n’aime pas paraître pédant (qui l’eut crû ?), et d’autre part je n’avais pas la référence de l’ouvrage de Guibert, mes livres étant encore emballés. Comme en contrepoint, un commentateur moins puéril que moi a cité un essai de Harry Redman, Le côté homosexuel de Flaubert.

J’en serais resté là, et vous ne seriez pas en train de lire ce passionnant billet, si un dimanche matin, me promenant rue Muret, je n'étais tombé nez à nez sur Saint Julien.


Tant de coïncidences ne pouvaient que signifier que l’Hospitalier voulait que je parle de lui.

Le conte de Flaubert a suscité un nombre incroyable d’exégèse, et d’analyse comparative des sources supposées de l’écrivain, notamment la Légende dorée de Jacques de Voragine.
Flaubert lui même a semé à la fois des indices et le doute. A la toute fin du texte, il écrit :

Et voilà l'histoire de saint Julien l'Hospitalier, telle à peu près qu'on la trouve, sur un vitrail d'église, dans mon pays.


Vous noterez l’ « à peu près » et l’à peu près (« sur un vitrail d’église, dans mon pays »). La plupart des exégètes ont vu dans cette indication le vitrail de Saint Julien de la cathédrale de Rouen. En effet, Flaubert avait envisagé de l’utiliser comme illustration. Mais ce n’est pas si simple : (c’est Flaubert qui parle)

Je désirais mettre à la suite de Saint Julien le vitrail de la cathédrale de Rouen. Il s'agissait de colorier la planche qui se trouve dans le livre de Langlois, rien de plus. Et cette illustration me plaisait précisément parce que ce n'était pas une illustration, mais un document historique. En comparant l'image au texte on se serait dit: « Je n'y comprends rien. Comment a-t-il tiré ceci de cela? »



Et oui, les différences sont nombreuses, et en particulier il est clair que l’épisode final dans lequel Saint Julien, nu, réchauffe le lépreux est une pure invention poétique, et sensuelle, de Flaubert.

- J'ai froid!
Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque éteinte, il murmura :
– Ton lit!
Julien l'aida doucement à s'y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
– C'est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
– Déshabille-toi, pour que j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme une lime.
Il tâchait de l'encourager ; et l'autre répondait, en haletant :
– Ah! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! Toute ta personne.
Julien s'étala dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent comme les rais du soleil; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient.
Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s'envola, le firmament se déployait ; – et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel.


Le flot de littérature qu’a engendré ce conte de Flaubert est impressionnant (entre autres Michel Butor ou Marcel Schwob, que je signale pour faire plaisir à Tlön), et passionnant. Je ne me risquerai pas à ajouter ma prose à tout cela, aussi je me contenterai de quelques images.


L’épisode de la traversée du fleuve par le lépreux et Saint-Julien
Cathédrale de Rouen


La même scène – Cathédrale de Chartres

Colette Deremble, dans son magistral ouvrage sur les vitraux de Chartres (Corpus vitrearum), fait remarquer à juste titre que les imagiers de Chartres, comme ceux de Rouen quelques années après, ont supprimé de la légende une grande partie de ce qu'elle comportait de fantastique et de merveilleux. C'est ainsi que la prophétie du Cerf, qui annonce à Julien qu'il sera parricide, ou la métamorphose du Christ en lépreux n'apparaissent pas dans les verrières chartraines ou rouennaises. Et paradoxalement, c'est ce fantastique et ce merveilleux que Flaubert réintroduit dans le conte, alors qu'il prétend s'être inspiré d'un vitrail d'église.

Mais il faut bien dire, de toutes les façons, que Saint Julien l'Hospitalier, avant d'être un superbe texte de Gustave Flaubert, est en premier lieu une invention des chanoines chartrains, expert en marketing, habile fusion de la vie de Saint Julien du Mans et d'une légende populaire locale, destinée à attirer les pélerins, alors que Chartres, confrontée à une concurrence féroce, ne disposait pas dans son patrimoine d'évêque sanctifié.

Et nous revenons ainsi à notre Saint Julien de la rue Muret, lointaine résurgence de la foi populaire. Regardez attentivement et vous apercevrez dans le coin à droite de la statue naïve une petite photographie de Jean-Paul II.
Approchez plus près, et lisez le texte, corrigé de ses fautes d'orthographe (vaicu pour vécu, tuer pour tué) :


jeudi, 08 juin 2006

At the Tate Modern


Il appert de la lecture de la chronologie Le Jour ni l'Heure, que le 1er mai 2005 Renaud Camus et moi (ainsi que Pierre J. et Ph.) avons visité ensemble (ou plus exactement, en même temps) la Tate Modern à Londres.


mardi, 23 mai 2006

Broglie


« Nous sommes faits pour lire certaines phrases » : j’ai déjà cité cet extrait du journal 2002 (Outrepas) de Renaud Camus ; je suis fait en effet pour lire certaines de ses phrases (les paysages, la syntaxe, les goûts, le paraître, la courtoisie…).
Cependant, je le lis depuis si longtemps qu’il m’arrive régulièrement de me demander si tel goût, ou telle opinion, m’est personnel, ou si je suis sous son influence.
Ai-je ainsi découvert Magnasco sur les cimaises du musée des Beaux-Arts de Bordeaux (alors que je n’étais pas encore bordelais), avant ou après avoir lu que ce peintre faisait partie de l’exposition des anachronistes, rêvée par lui ?
Ai-je lu Michel Chaillou avant ou après avoir découvert que le Sentiment géographique faisait partie de ses ouvrages de prédilection ? (avant dans les deux cas, je crois, mais je n’en suis pas sûr)

La lecture du Répertoire des délicatesses du français contemporain m’offre l’occasion de vérifier que Renaud Camus et moi partagions les mêmes obsessions, certaines à tout le moins, bien avant que je ne le lise.
Il s’agit en l’occurrence de l’entrée Broglie dudit répertoire, où l’auteur critique la prononciation courante du village de l'Eure qui porte ce nom (bro-gli, comme glycine) sur la raison que ce toponyme a pour origine la famille de Broglie, d’ascendance italienne (prononcez breuil).


Il se trouve que la même famille a donné son nom à la place de Strasbourg bordée par l’Hôtel de ville, le Théâtre et autres bâtiments officiels, et sur laquelle se tient depuis des siècles le christkindelsmärik. Place centrale à tout point de vue, donc. Et que tous les autochtones et touristes prononcent consciencieusement bro-gli. Dès mon arrivée à Strasbourg, pour y étudier la topographie, et bien avant de connaître Renaud Camus, je me suis attaché à porter autour de moi la bonne parole de la prononciation correcte de la place Broglie (breuil), sans grand succès, cela va sans dire.


Pourtant juste avant cette époque, à la fin des années Giscard, la fameuse affaire de Broglie, ministre assassiné dans des conditions mystérieuses (le sont-elles restées, d’ailleurs ?) avait défrayé la chronique. Et je n’ai jamais entendu alors prononcer par aucun journaliste ou amateur de faits divers, le nom de la victime autrement que breuil, et jamais bro-gli. Sans doute, personne à Strasbourg n'avait fait le rapprochement.


La lecture au pied de la lettre, aggravée par la méconnaissance de l'histoire et de l’étymologie, a manifestement nui à la bonne prononciation des mots, noms propres ou noms communs. Pourtant ni la lettre, ni la lecture ne sont guère correctes, en général.

mardi, 21 mars 2006

Music


Vendredi. L’un accumule jusqu’à faire disparaître l’anecdote sous la peinture, littéralement. L’autre épure jusqu’à faire disparaître la peinture. J’ai vu l’un et l’autre à Art Paris 06 au Grand Palais - l’un, Eugène Leroy à la Galerie de France, l’autre, Zoran Music à la Galeria d’Arte Contini. Tous deux démontrent, par des moyens techniques radicalement opposés, la force irremplaçable de la peinture.


Samedi. Je suis encore et toujours à Venise. J’achète Seule Venise de Claudie Gallay.

Dimanche. Je lis Seule Venise d’une seule traite dans le train. La narratrice découvre Zoran Music, par l'entremise de la lecture de La Barbarie ordinaire de Jean Clair. La rencontre du peintre, dans un café vénitien, est très émouvante.

Lundi. Jean Clair est l’invité de Kathleen Evin sur France Inter, à l’occasion de la publication de son Journal atrabilaire. A la fin de l’émission, on entend la voix de Zoran Music « J’aurais voulu que la lumière sorte de la toile ».



jeudi, 16 février 2006

Correspondances, concordances, coïncidences

1er acte. Je suis obsédé depuis l’été 2004 par ce vers de Pierre-Jean Jouve (et ceux qui le précèdent) : La vie est vaine La vie est admirable la vie est admirable elle est vaine. La vérité m'oblige à dire que je dois cette obsession au jeune Waves.

2ème acte : Octobre 2005, je suis fortement tenté de proposer dans la RadioBach le chœur d’entrée de la cantate BWV 26 Ach wie flüchtig, ach wie nichtig, tant il ressortit, pour moi, au fétiche, au même titre que Ihr werdet weinen und heulen (BWV 103) ou Lass, Fürstin, lass noch einen Strahl (BWV 198). Cependant, la version que j’en possède présente trop de lacunes techniques, quoique faisant montre d’une énergie remarquable. J’y renonce.


3ème acte : Février 2006, je lis, enfin – c’est un plaisir que j’ai longtemps retardé pour mieux le savourer –, Le moulin et la rivière de Gilles Cantagrel. Je m’aperçois alors que Ach wie flüchtig, ach wie nichtig Ist der Menschen Leben! signifie Ah combien fugitive, combien vaine est la vie humaine!

Epilogue (ajout du 17 février). Hier soir, Radio Classique diffusait la cantate de Telemann Ach wie nichtig, ach wie flüchtig. Curieusement, dans sa propre cantate, Jean-Sébastien Bach a interverti nichtig et flüchtig.

mardi, 14 février 2006

Rome, piazza Sant’Ignazio ou les merveilles de l’Internet

Voulant conseiller à un vrai amateur, en partance pour Rome, la visite d’une petite place éminemment théâtrale, mais dont le nom m’échappait sur l’instant, je me tournai vers Gougueule et lui demandai de m’indiquer dans quelle église le père di Pozzo avait peint ces fameuses fresques en trompe-l’œil qui font sa renommée (la sienne et celle de l’église, qui donne sur la place en question).

Sant’Ignazio, fut la réponse.


Poussant plus loin, et cherchant à conforter mes souvenirs par un cliché qu’un quelconque touriste n’aura sûrement pas manqué de placer sur son site ou sur son blogue, je découvris que l’architecte de ladite place se nomme Filippo Raguzzini. Entraîné par le désir d’en savoir plus, et surtout de confirmer le caractère théâtral de cette architecture, avec son décor et ses coulisses, que j’avais alors très fortement ressenti, je lançai Gougueule sur les traces d'il signor Raguzzini.
Et sur quoi tombai-je ?

Je vous le donne en mille, en cent, en dix, en un ; sur le Journal romain de Renaud Camus, mis en ligne par la société de ses lecteurs, et précisement sur l'entrée du samedi 2 novembre 1985, deux heures et demie.

Evidemment, me direz-vous ; cependant…
Bien sûr, j’ai lu le Journal romain, il y a un temps certain – Renaud Camus y évoque, à propos de la piazza Sant’Ignazio, les corniches formant un cadre et les désagréments provoqués par les automobiles (une cause d’énervement de l’ordre du fétiche, pour moi).
Mais comment aurais-je pu faire toutes ces connexions et tous ces rapprochements sans Internet et tous ces internautes, et sans l’initiative bienvenue de numérisation entreprise par la SLRC ?

Nous vivons une époque moderne.


Ici, de très intéressantes photos de Sant'Ignazio.