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mardi, 23 mai 2006

Broglie


« Nous sommes faits pour lire certaines phrases » : j’ai déjà cité cet extrait du journal 2002 (Outrepas) de Renaud Camus ; je suis fait en effet pour lire certaines de ses phrases (les paysages, la syntaxe, les goûts, le paraître, la courtoisie…).
Cependant, je le lis depuis si longtemps qu’il m’arrive régulièrement de me demander si tel goût, ou telle opinion, m’est personnel, ou si je suis sous son influence.
Ai-je ainsi découvert Magnasco sur les cimaises du musée des Beaux-Arts de Bordeaux (alors que je n’étais pas encore bordelais), avant ou après avoir lu que ce peintre faisait partie de l’exposition des anachronistes, rêvée par lui ?
Ai-je lu Michel Chaillou avant ou après avoir découvert que le Sentiment géographique faisait partie de ses ouvrages de prédilection ? (avant dans les deux cas, je crois, mais je n’en suis pas sûr)

La lecture du Répertoire des délicatesses du français contemporain m’offre l’occasion de vérifier que Renaud Camus et moi partagions les mêmes obsessions, certaines à tout le moins, bien avant que je ne le lise.
Il s’agit en l’occurrence de l’entrée Broglie dudit répertoire, où l’auteur critique la prononciation courante du village de l'Eure qui porte ce nom (bro-gli, comme glycine) sur la raison que ce toponyme a pour origine la famille de Broglie, d’ascendance italienne (prononcez breuil).


Il se trouve que la même famille a donné son nom à la place de Strasbourg bordée par l’Hôtel de ville, le Théâtre et autres bâtiments officiels, et sur laquelle se tient depuis des siècles le christkindelsmärik. Place centrale à tout point de vue, donc. Et que tous les autochtones et touristes prononcent consciencieusement bro-gli. Dès mon arrivée à Strasbourg, pour y étudier la topographie, et bien avant de connaître Renaud Camus, je me suis attaché à porter autour de moi la bonne parole de la prononciation correcte de la place Broglie (breuil), sans grand succès, cela va sans dire.


Pourtant juste avant cette époque, à la fin des années Giscard, la fameuse affaire de Broglie, ministre assassiné dans des conditions mystérieuses (le sont-elles restées, d’ailleurs ?) avait défrayé la chronique. Et je n’ai jamais entendu alors prononcer par aucun journaliste ou amateur de faits divers, le nom de la victime autrement que breuil, et jamais bro-gli. Sans doute, personne à Strasbourg n'avait fait le rapprochement.


La lecture au pied de la lettre, aggravée par la méconnaissance de l'histoire et de l’étymologie, a manifestement nui à la bonne prononciation des mots, noms propres ou noms communs. Pourtant ni la lettre, ni la lecture ne sont guère correctes, en général.

Commentaires

Ce nom et l'erreur de prononciation associée sont l'une des hontes les plus cuisantes que, provinciale inculte parmi des étudiants raffinés, j'ai éprouvées lors de mes études littéraires, .

Écrit par : VS | mardi, 23 mai 2006

Puisque l'heure est aux aveux, j'avoue avoir cru que l'affaire de Broglie et l'affaire de Breuil était deux affaires distinctes. Ce qui à l'époque me confortais dans mon gauchisme!!!

Écrit par : Tlön | mardi, 23 mai 2006

A Broglie, bourgade où il m'arrive de travailler, se situe le château de la famille De Broglie.
Les locaux prononcent bro-gli le nom de leur commune et breuil celui de la famille.

Sinon, j'ai relevé dans le texte ci-dessus une toute toute petite petite coquille un tout petit peu malvenue dans ce contexte :
on n'écrit pas "éthymologie" mais "étymologie"…

;-)

Écrit par : KA | mardi, 23 mai 2006

Mêmes remarques avec Guise, ce qui a, dit-on, permis d'arrêter un espion...

Écrit par : RPH | mardi, 23 mai 2006

Par snobisme, Proust abonde dans les exemples. Bien prononcer les Noms implique en effet que l'on "connaît" les personnes qui les portent: "Viparisi" pour Villeparisis, "Uzé" pour Uzés, "Béar" pour Béarn, "Latrémouille" pour Latrémoïlle, si je me rappelle bien

Écrit par : selian | mercredi, 24 mai 2006

Je viens de voir que "Pappy Boyington" postulait au rang de chef d'escadrille !
On ne peut que lui conseiller le slogan suivant : Avec moi, c'est zéro faute.

Écrit par : Tlön | mercredi, 24 mai 2006

Tiens, tu lis le forum de l'in-nocence, toi ?

Écrit par : Philippe[s] | mercredi, 24 mai 2006

Yes !!!!! Sir!!!!

Écrit par : Tlön | mercredi, 24 mai 2006

Le site des lecteurs aussi...mais là c'est plus cryptique!

Écrit par : Tlön | mercredi, 24 mai 2006

J'imagine déjà la tête d'Arlette Chabot quand il va s'agir de débattre de la différence entre Cratyle et Hermogène.

Écrit par : Stéphane | mercredi, 24 mai 2006

Et la Huitième de Boulez ? hein, comment ça se prononce ?

Écrit par : zvezdo | mercredi, 24 mai 2006

Très intéressant, cette histoire "bro-gli"/"breuil".
Il y a deux vers célèbres d'Aragon, sur cette question de prononciation, autour du mot Weber :
"Moi je prononce We-bère
Et je vais voir la mer."

Écrit par : Alain (Georges) Leduc | dimanche, 04 juin 2006

je ne savais pas qu'Aragon avait répondu à Nerval.
Comment prononce-t-on donc Guise? et Luynes qui paraît-il fait partie des cas? Ce serait intéressant au reste de les recenser, je suppose que RC les connaît à peu près tous.
VS, à reconnaître ses anciennes naïvetés (entre autres : voir les dernières remarques de son blog), m'apparaît de plus en plus charmante.

Écrit par : Patrick | samedi, 02 septembre 2006