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dimanche, 02 juillet 2006
Nativités
L'art pictural occidental nous a habitué à voir la Vierge assise, ou agenouillée, portant son nouveau-né, ou le contemplant à distance. La nature divine du Christ est mise en avant, ainsi que la virginité de Marie (l'immaculée conception), qui, n'ayant pas réellement accouché, n'a aucunement besoin de repos.
Au contraire, les églises orientales insistent sur l'incarnation du Christ, qui s'est fait homme et se sacrifiera pour notre salut, en représentant dans les icônes la mère de Jésus allongée, se reposant après l'accouchement qui fut réel.
On ne peut que constater que, sur la plupart des cathédrales romanes, et les premières cathédrales gothiques, la parturiente est allongée, marquant la prévalence à l'époque du dogme de l'Incarnation.
Vous aurez sans doute noté la différence d'attitude de la Vierge dans les deux dernières représentations : sa main droite (à Vézelay) ou sa main gauche (à Santa Maria de l'Estany) semble protéger son sexe. La nativité du porche droit du portail royal de Chartres montre la même pose, de façon plus visible (il s'agit là d'une magnifique oeuvre de l'art roman finissant) :
Il n'est guère imaginable que l'école de Chartres, une des plus éminentes de l'époque médiévale, n'ait pas participé à la querelle qui s'est développée au XIIe siècle autour de la nature de la conception du Christ. Ne pourrait-on pas voir dans cette image de Marie, se reposant après l'accouchement, et qui semble, en même temps, dire par ce geste de la main droite qu'elle n'a pas connu la semence de l'homme, une prise de position en faveur de l'immaculée conception, mais teintée d'une volonté consensuelle de maintenir le dogme de l'incarnation ?
Mes lecteurs qui seraient plus versés que moi en matière de théologie, d'histoire des religions ou d'iconographie médiévale voudront bien nous apporter leurs lumières...
11:50 Publié dans Chartres | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
"Il ne fut pas conçu d'un homme, mais par l'incarnation du Saint-Esprit qui descendit par l'oreille de la jeune fille à l'intérieur du glorieux vase de son corps. [ ... ] De même que le rai du soleil luit au travers de l'eau claire et de la verrière sans les abîmer, de même sortit le Fils de Dieu du ventre de la jeune fille sans détériorer sa virginité. [ ... ] Et à sa naissance fut brisée la première malédiction que Dieu proféra : 'Tu enfanteras dans la douleur', car il naquit si naturellement qu'il n'y eut jamais douleur ni angoisse."
Joseph d'Arimathie, §38, edition Pléiade
Composé entre 1226 et 1230, ce texte mèle différentes écoles, et n'est pas encore totalement définitif sur l'Immaculée Conception (la conception par l'oreille vient d'Arménie). Est-ce que l'image de la naissance "comme un rayon de lumière à travers un vitrail" a en retour inspiré des artisans vitriers ?
Écrit par : Bladsurb | dimanche, 02 juillet 2006
Très belle anthologie d'images, déjà, et de nombreuses pistes passionnantes. De mon point de vue d'inculte, la stylisation serpentine de l'icône de Novgorod est la plus époustouflante révélation.
Écrit par : Guillaume | dimanche, 02 juillet 2006
Très beau billet ! Rappelons que le dogme de l'Immaculée conception n'a été définitivement conceptualisé qu'au XIXème siècle. Avant, on s'était pas mal étripé sur le sujet.
Parce que le problème était le suivant :
- la Vierge est pure de tout péché (c'est en cela qu'elle est vierge, et non pas parce qu'elle n'aurait pas été déflorée) ;
- mais pour avoir des enfants, elle doit être soumise au cycle des menstruations ;
- or le sang des menstrues est la marque de la faute originelle d'Ève ;
- si Marie est affligée de cette marque, elle n'est plus pure de tout péché ;
- si elle n'en est pas affligée, elle ne peut avoir d'enfant…
Damnaide ! comment sortir de ce sac de noeuds ?
Avec le dogme de l'Immaculée Conception que le Concile de Trente affirma en XVIème siècle mais qui ne devint populaire qu'au XIXème grâce, notamment, à sa réaffirmation par Pie IX.
Ite misa est !
Écrit par : KA | lundi, 03 juillet 2006
La position allongée de la Vierge ne préfigure-t-elle pas aussi sa Dormition.
"La vierge ne mourut, ni de vieillesse, ni de maladie ; elle fut emportée par
la véhémence du pur amour ; et son visage fut si calme, si rayonnant, si heureux, qu' on appela son trépas la dormition."
Huysmans - L'Oblat
Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dormition
Écrit par : Tlön | lundi, 03 juillet 2006