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mercredi, 01 juin 2005

Sixte fatale

Mon billet en sablier du mardi


C'est l'histoire d'un ténor qui veut le fauteuil d'une basse....et qui a trouvé l'arme fatale: la sixte majeure !
Mais, reprenons depuis le début, car les racines de la haine entre ces deux chanteurs sont profondes.

En fait, tout avait bien commencé ; Laurent, le ténor, et François, la basse, s’étaient rencontrés à la maîtrise de la cathédrale de Paris. Ils étaient à l’époque tous les deux sopranos, et ils sympathisèrent très rapidement, leur isolement parmi les enfants de bourgeois parisiens les ayant rapproché. En effet, leurs parents, de milieux modestes et provinciaux, s’étaient saigné aux quatre veines pour que les deux enfants puissent assouvir leur passion de la musique au sein du plus prestigieux chœur d’enfant de France.

C’est ainsi que dans les années cinquante, ils participèrent à la grande aventure du renouveau de la musique dite baroque, interprétée sur instruments anciens et selon des techniques redécouvertes par des musicologues passionnés n’hésitant pas à affronter la poussière des bibliothèques et des archives désertées depuis longtemps.
Laurent et François chantèrent notamment lors de la fameuse Messe en Si qui fit tant de bruit le 5 octobre 1955, avec la Grande Porcherie et la Cuisine du Roy dont c’étaient les grands débuts sous la direction de Jean-Pascal Magloire.

La mue venant, leurs professeurs de chant incitèrent les deux amis à perséverer dans la musique baroque, secteur d’avenir dans lequel il n’y avait de problème d’emploi, et où leur moyens vocaux limités seraient largement suffisants. Mais, révolte de la jeunesse trop longtemps soumise, leur choix se porta sur le grand répertoire de l’opéra romantique.

Hélas, la piètre qualité de leurs voix les limita à des scènes de troisième zone dans les provinces françaises et européennes. Afin d’être plus forts face à l’adversité, ils décidèrent de toujours travailler ensemble – peut-être y-avait-il autre chose entre eux, mais la chronique ne le dit pas. En tout cas, c’est grâce à cette indivision qu’ils réussirent à se forger une petite réputation et à intéresser quelques directeurs de théatre.

Voilà une liste de leurs prestations dénichée sur opéradatabase :
La Traviata au Grand-Théâtre de Katovice – François : Giorgio Germont, Laurent : Alfredo Germont
Boris Godounov au Théâtre du peuple de Dniepropetrovsk – François : Boris Godounov, Laurent : le faux Dimitri
Tristan und Isolde au Théâtre municipal de Bad-Godesberg – François : le roi Marke, Laurent : Tristan
Faust au Palais des Sports de Bordeaux – François : Méphistophélès, Laurent : Faust
Elektra à l’auditorium de Maastricht – François : Clytemnestre, Laurent : Electre


Mais l’antagonisme des personnages qu’ils interprétaient, et la médiocrité de leur carrière minèrent petit à petit leur amitié, et ils finirent par se détester profondément, se rejetant mutuellement la responsabilité de leur situation déplorable. Mais impossible de se séparer sous peine de ne plus trouver de contrats.
Cette situation dura jusqu’à leur retraite, qu’ils prirent l’année dernière. Malheureusement, leurs moyens limités les obligèrent à s’installer ensemble à la casa del rosaio, fondée par Riccardo Zvezdo pour les artistes nécessiteux.

Le drame devait arriver, le drame arriva.

François, la basse, avait toujours interprété pendant toute sa carrière des rôles de vieux barbons ; et par mimétisme, il paraissait plus vieux et plus fragile que Laurent, dont les rôles avaient toujours été des jeunes héros fringants. Aussi, le personnel de la maison de retraite était au petit soin pour François, lui réservant notamment le fauteuil le mieux placé devant la fenêtre, près du rosier nain qui avait donné son nom à la casa. Cela avait le don d’exaspérer Laurent, qui décida d’en finir une fois pour toute, et d’une manière particulièrement perverse.

En effet, François avait été traumatisé pendant ses études à la maîtrise de la cathédrale de Paris par les fausses notes émises par les instruments anciens qui accompagnaient régulièrement le chœur. Son système auditif avait été détraqué, et il avait développé une allergie à l’intervalle de sixte majeure, qui le faisait souffrir horriblement et qui l’avait obligé à demander à tous les chefs d’orchestre qu’il avait cotoyés, de jouer faux toutes les sixtes majeures.
Notons qu’aucun auditeur, aucun critique, ni aucun directeur de théâtre n’a jamais remarqué la supercherie.

Plus machiavélique que Machiavel, Laurent avait confectionné sur son Ipod une série de sixtes majeures tirées du répertoire, avec l’aide d’un blog-trotter célèbre. Il profita d’une sieste post-prandiale de François devant le rosier pour lui enfoncer les écouteurs dans l’oreille interne.
La souffrance fut intense, mais de courte durée. Le crime parfait !

Et Laurent put enfin s’installer dans le fauteuil tant convoité.

Commentaires

Alors là je dis excellent!!!!!!!!!

Écrit par : luciole | mercredi, 01 juin 2005

Excellent, je le dis moi aussi !

Je trouve que les musiciens/musicologues et assimilés ont fait des textes excellents.
J'apprends par la même occasion que M.Zvezdo tient une maison de retraite pour artistes nécessiteux, je vais lui demander de m'envoyer sa documentation...

Écrit par : samantdi | mercredi, 01 juin 2005

tiens, je croyais que c'était un certain GV qui avait fondé cette maison de retraite....encore un cousin éloigné que je connais pas, ce Riccardo zvezdo

C'est bien, le baiser de Tosca ? En Schmid, je n'ai vu que l'histoire qui se passait en demi-saison dans un grand hôtel en Suisse, j'aurais bien aimé aimer, mais c'était quand même assez gnangnan....

Écrit par : zvezdo | mercredi, 01 juin 2005

Merci, merci
Si j'avais bien pensé à la casa de Giuseppe V., je ne connais pas le baiser de Tosca de Daniel Schmid (en tout cas je ne m'en souviens pas)

Écrit par : Philippe[s] | jeudi, 02 juin 2005

Je connais une autre histoire de fauteuil convoité, qui met aux prises deux personnages (je n'ose pas écrire "deux héros") prénommés Jacques, celui qui pour l'heure s'y assied, et Nicolas, qui rêve à son tour d'y poser son séant. On dit que Jacques se fait un peu dur d'oreille, depuis quelque temps ; c'est peut-être à trop écouter son Ipod...

Écrit par : Vrai Parisien | vendredi, 03 juin 2005

Je propose d'installer ta maison de retraite qui sent la rose rue Lecanuet à Rouen....ce sera plus pratique pour Laurent....

Écrit par : zvezdo | samedi, 04 juin 2005