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vendredi, 02 mars 2007

Défense de Viollet-le-Duc

Il est de bon ton, aujourd’hui, de considérer avec un brin de condescendance le travail de restauration du patrimoine historique effectué au XIXe siècle par Viollet-le-Duc et ses semblables. En effet, notre époque se veut très soucieuse d’authenticité et ne jure que par la pierre d’origine, préférant ainsi le matériau à l’œuvre (pour simplifier).
Il est bien vrai que les édifices, à l’instar de la cathédrale de Chartres, qui ont eu la chance de traverser les siècles sans restauration importante produisent un effet plus fort (mais qu’en est-il de l’autosuggestion et de la réalité des choses ?)
Il est bien vrai aussi que le travail des sculpteurs modernes, quand ils se sont essayés à des pastiches de l’art roman, ne soutient guère la comparaison avec celui de leurs ancêtres médiévaux..

Prenons par exemple le tympan central de la façade de la basilique Sainte-Madeleine de Vézelay :


Celui-ci est dû en totalité à un collaborateur de Viollet-le-Duc, qui a travaillé d’après les vestiges très altérés du tympan original. Et justement, ce vestige est visible sur un bas-côté de l’édifice.


Quoique pratiquement effacé, le tympan roman, en particulier dans les quelques drapés encore visibles, marque une supériorité évidente.












Notons en passant la désastreuse négligence des édiles et de la population vézelienne depuis la restauration de la basilique (j’ai l’impression qu’il y aurait beaucoup à dire sur le rapport complexe des habitants du village avec le monument) qui ont laissé à l’abandon et à la destruction progressive les restes du tympan et du linteau attenant.



Alors, certes, certes, Viollet-le-Duc n’est pas toujours intervenu avec le bon goût qui caractérise, à l’évidence, notre début du XXIe siècle ; il n’a certes pas respecté scrupuleusement les règles de restauration édictées 150 ans plus tard par nos meilleurs conservateurs ; mais quand il est arrivé sur la colline de Vézelay, vers 1840, missionné par Mérimée, qu’a-t-il vu ?



Une ruine sur le point de s’écrouler, n’intéressant personne si ce n’est en tant que potentielle carrière de pierre.

Et à force d’un travail acharné, il a rendu la vie à ce monument majeur de l’humanité.


Alors, il me semble que l’on peut lui dire merci.

Commentaires

Je suis du même sentiment mi-figue mi-raisin... et l'époque explique beaucoup. Malgré tout, je trouve que le château de Pierrefonds est, dans ses intérieurs, un invraisemblable ratage.

Disons qu'on peut toujours reprocher à l'époque (victorienne / Restauration) de s'être grandement méprise sur le Moyen-Âge. (Mais la nôtre se plante gravement sur le 18ème siècle, alors...)

Écrit par : Guillaume | vendredi, 02 mars 2007

L'hommage est justement rendu et vous avez raison de souligner que Viollet-le-Duc est trop facilement raillé aujourd'hui. L'"idéologie" de la restauration a bien sûr évolué en 150 ans, mais plutôt que de raisonner en opposition, il faut considérer l'évolution de la théorie ; on doit donc rendre grâce à VLD d'avoir sensibiliser les gens à cette démarche, d'avoir déffricher en quelque sorte (cf. son article "Restauration" dans son Dictionnaire raisonné).

Pour autant, il est un peu naïf de l'absoudre de tous ses défauts. Si son sauvetage de la Madeleine de Vézelay est incontestable techniquement (consolidation des maçonneries, reprise en sous-oeuvre des piles, mise hors d'eau, etc...), son parti architectural et l'application de sa fameuse théorie :
"Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné."
a produit des non sens irréversibles.

Il est vrai que la restauration de la Madeleine donne à voir au public un état beaucoup plus complet et entier d'une église médiévale que si on s'était borné à restaurer à la mode d'aujourd'hui en se contentant de mettre en valeur des vestiges. Le public préfère du concret, du prêt-à-voir, et j'imagine que l'industrie touristique locale aussi, mais le danger est que peu de gens, en fin de compte, sont capables, comme vous, d'isoler les parties XIXe des parties authentiques. VLD ment donc à beaucoup de gens qui ne sont pas très éclairés en art roman (par exemple) en leur disant : "Voici un édifice roman complet".

Ce concept de "disneylandisation" (pardon pour ce terme mais il commence à être autorisé) que l'on retrouve dans beaucoup de vieilles restaurations du XIXe et du début du XXe est la conséquence directe de l'enseignement de VLD. Il a produit les restaurations les plus populaires aujourd'hui (Pierrefonds bien sûr, mais également beaucoup de Châteaux de la Loire, dont Chaumont est l'exemple le plus frappant), mais les véritables esthètes, ou même les simples amateurs vrais en sont trop souvent déçus.

La doctrine a donc changé aujourd'hui, comme vous le souligniez, et l'on en vient même à dérestaurer les précédentes restaurations du XIXe quand c'est possible (cf. l'exemple célèbre du chevet de St Sernin à Toulouse qui commence à faire école chez les Architectes en Chef des Monuments Historiques). La tendance actuelle, plus scientifique qu'artistique certes, m'apparaît personnellement comme préférable, mais il est évident que ce n'est pas la panacée et il est important avant tout de rester ouvert aux différentes évolutions (notamment techniques ou en matière de connaissance artistique), ce que n'était pas vraiment VLD...

Vaste sujet en vérité !

Écrit par : paleiochora | vendredi, 02 mars 2007

La tendance actuelle, plus scientifique qu'artistique comme vous le soulignez, me paraît aussi bien préférable.
Mais je ferai deux remarques :

1) Un monument est vivant, il est le résultat d'une intention initiale, et du passage du temps. Les ajouts, les retraits, les modifications sont issus de contingences matérielles (on détruit un trumeau pour laisser passer un cortège), d'une vision idéologique du passé (l'admiration ou la détestation du moyen-âge), d'une conception de la fonction du bâtiment qui évolue (la lumière ou les images dans une église). Il est illusoire de croire que les interventions du XXIe siècle ne sont pas du même ordre, et seraient en quelque sorte "objectives", je dirai même qu'il est dommage d'être dans cet état d'esprit car l'on se prive de laisser de véritables traces de notre époque (il y a des contre-exemples, bien sûr).

2) La critique du travail de VLD, de ses collègues et de leurs suiveurs est légitime, mais je trouve que l'on oublie trop que sans eux, nous n'aurions que des tas de cailloux à admirer (Mérimée et VLD ont dû lutter contre leurs contemporains pour sauver Vézelay). Je ne l'absous pas de ses défauts, et j'aurais d'ailleurs tendance à considérer que la Madeleine est ce qu'il a fait de mieux (en ce sens qu'étant son premier chantier, c'est là qu'il a poussé le moins loin sa théorie).

Après, on peut discuter à l'infini : vaut-il mieux Saint-Front de Périgueux que l'abbaye de Cluny ?

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 02 mars 2007

Passionnant billet, que j'aurais été ridicule de vouloir concurrencer en faisant, lors de ma récente traversée de l'Yonne, un détour par Vézelay (désolé si je préfère visiter des monuments moins "reconstitués"...) ; ceci dit, la démarche de VLD est peut-être, au bout du compte, plus respectueuse de l'histoire que certaines modes actuelles (l'accumulation de gadgets faisant référence à Marie-Antoinette dans les boutiques des châteaux que j'ai récemment visités m'exaspère !).

Écrit par : L'Amateur | vendredi, 02 mars 2007

Pour répondre à votre question entre Saint-Front et Cluny, mon opinion personnelle est sans hésiter Cluny. Le rare, mais néanmoins éloquent, vestige qui demeure de l'abbaye et la bonne mise en valeur du site permettent au visiteur (qui veut bien y consacrer un peu plus que la demi heure alloué par les cars de touristes) de bien appréhender ce que fut cet important édifice.
Mais j'avoue que Saint-Front est plus facilement carte-postalisable... que les retombées touristiques doivent être plus tangibles.
Merci en tout cas d'avoir initié ce beau débat.

Écrit par : paleiochora | samedi, 03 mars 2007

Voilà longtemps que je voulais abonder ici. :) Profitons de la brève fenêtre de tir !

Il est exact que Viollet-Le-Duc irrite fort les gens de bon goût, les professionnels de l'architecture et bien d'autres, par son attirance pour le kitsch, et l'à-peu-près (des histoires croustillantes de toitures à l'envers circulent, mais je n'ai jamais pu les vérifier de moi-même) ; mais je dois avouer un penchant très sérieux pour son travail. Sans lui, en effet, point de Vézelay, et Carcassonne dans quel état ? Pierrefonds n'existait déjà plus, et tant et tant d'autres chantiers, y compris par ses disciples ou présentés tels, particulièrement Abadie dans le Sud-Ouest. Certes, on pourrait se passer du château d'Hendaye, et la façade de Sainte-Croix n'est pas une parfaite imitation, mais quelle pitié de perdre ce témoignage ! Puyguilhem ne serait plus non plus, et tant et tant...

Quant au goût du maître, plutôt douteux côté décoration, il ne me semble en fin de compte pas si éloigné du goût médiéval pour la polychromie et la vive superposition de couleurs qui nous semblent incompatibles. Nous trouvons si élégantes ces pierres claires et nues...

En somme, il me semble plutôt qu'il s'agit d'un repoussoir facile à identifier, un peu à la façon des peintres pompiers, un moyen de prouver sa clairvoyance artistique à peu de frais. Oui, on perçoit aisément certains ajouts, pour certains certains peu heureux - et en tout cas peu authentiques.
Mais en effet, considérons d'abord sa clairvoyance sur les monuments à sauver - et sauvés.


Par ailleurs, la doctrine de la fidélité (qui sévit aussi bien en musique...)

Écrit par : DavidLeMarrec | lundi, 16 avril 2007

(...)

Par ailleurs, la doctrine de la fidélité (qui sévit aussi bien en musique...) non seulement peut être discutée (j'y suis plutôt favorable cependant), mais pose des problèmes insolubles en termes architecturaux. On peut exécuter plusieurs versions d'une musique : Les Contes d'Hoffmann avec dialogues ou avec récitatifs, avec Stella chantée ou avec Stella muette, avec apothéose finale ou non, avec sextuor apocryphe ou non, avec des airs différents pour Niklausse ou Dappertutto...
Mais sur un ensemble architectural, il faut choisir un état du monument. Que fait-on si des chefs-d'oeuvre d'autres époques sont venus se greffer sur l'original ? On privilégie en général le plus ancien, mais comment déterminer si un hôtel classique vaut mieux qu'une villa gallo-romaine ou qu'un village néolithique, tous empilés ? Quel est le degré jugé d'aboutissement qui prévaudra ?
Lorsque tout est détruit comme à Hissarlik, il est peut-être plus aisé de ne pas choisir, encore que le déblaiement s'accompagne nécessairement de destructions...

Écrit par : DavidLeMarrec | lundi, 16 avril 2007

Quand on ne parle pas de Bach, on peut donc être d'accord ! (ou presque, car j'avoue avoir du mal avec les excès kitch de Viollet-Le-Duc)

Écrit par : Philippe[s] | mardi, 17 avril 2007