Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« De la nécessité du regard | Page d'accueil | Die... die... die... »

samedi, 18 mars 2006

De l'art de Kathleen Ferrier, ou de son absence


Il m’a été reproché récemment ici-même d’avoir abandonné le ton polémique de mes débuts de commentateur de blogue. Un détour tortueux typique de l’esprit d’escalier me donne l’occasion d’y renouer, un peu.

Je suis tombé en effet sur cet hommage à Kathleen Ferrier sur le blogue de Daniel Morvan, qui cite un texte d’Yves Bonnefoy, que je rapporte ici :

À LA VOIX DE KATHLEEN FERRIER

Toute douceur toute ironie se rassemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s'était voilée.

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s'est perdu
Comme si au delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.

Ô lumière et néant de la lumière, ô larmes
Souriantes plus haut que l'angoisse ou l'espoir,
Ô cygne, lieu réel dans l'irréelle eau sombre,
Ô source, quand ce fut profondément le soir !

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L'extrême joie et l'extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l'éternel.



Ce texte lu autrefois dans Hier régnant désert m’avait déjà agacé, comme m’avait agacé une des Vidas que Christian Garcin avait consacré à la chanteuse :

Mais cette voix. Peut-on ne pas songer qu’elle vient d’une autre rive, qu’elle fut révélée au monde après un séjour douloureux dans les profondeurs de l’oubli, de la mort ?
Bruno Walter avait été l’ami de Mahler. Lorsqu’il l’entendit chanter, il déclara avoir enfin trouvé la voix que Mahler avait cherchée toute sa vie. Une voix qui, sans passer par le crible de l’analyse, émeut totalement, sans rémission. Une voix pure et sobre, profonde et envoûtante. Pudique. Nue.
Vidas 2. Kathleen Ferrier (extraits) Christian Garcin


C’est peu de dire que je ne souscris pas à l’admiration universelle et inconditionnelle vouée à la grande Kathleen. Ses interprétations m’ont toujours semblé d’une incommensurable mollesse, s’appuyant certes sur un beau timbre et des graves impressionants, mais sans aucune caractérisation, chantant tout sur le même ton et de la même façon, et provoquant chez moi un immense ennui.

Yves Bonnefoy et Christian Garcin, dans leurs hommages appuyés, ne peuvent masquer cet ennui (la voix mêlée de couleur grise, la lumière du glaive s'était voilée, une voix sobre, pudique), qu’ils ont dû tout de même ressentir, par delà cette mystique sirupeuse des deux rives, sans nulle doute inspirée par la vie tragique de la chanteuse et son timbre si grave, plutôt que par son art.

11:25 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (9)

Commentaires

Tout de même dans les Kindertotenlieder, les graves. J'ai entendu ça, j'avais 19 ans, dans la nuit à la montagne, loin de la fille que j'aimais, je ne savais pas ce que c'était (qui, quoi) je fus fasciné, je suis incapable d'écouter une autre version

Écrit par : Tlön | samedi, 18 mars 2006

C'est bizarre mais personne ne prend la défense de la dame !

Écrit par : Tlön | vendredi, 24 mars 2006

J'entends bien que l'on puisse être fasciné par les graves de la dame, surtout à la montagne. Mais où sont la compréhension du texte, poétique et musical, l'émotion issue de la musique, et pas de la performance de l'organe vocal, la sensibilité, l'intelligence...

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 24 mars 2006

Woua ! Woua ! comme disait mon grand-père ....

Bon ! Je ne sais pas si on peut forcer qui que ce soit à aimer une voix - question trop intime pour être résolue - mais je puis apporter le témoignage de Bruno Walter - ami, disciple de Mahler - qui a fait chanter toutes les plus grandes chanteuses de son temps et qui disait que personne ne l'avait plus impressionné que Ferrier (humainement et artistiquement) !

Si tu veux une contralto aux intonations molles prend plutôt la batave Aafje Hejnis, belle voix mais quelque peu monotone (voix pour service d'église).

De toutes les manières on peut aussi bien critiquer n'importe quel interprète puisque chacun entend son idéal musical d'une manière abstraite in fine ou in petto.

Écrit par : P.D | vendredi, 24 mars 2006

L'interprétation et sa réception par un auditeur ne sont pas que pure subjectivité, tout de même (ni pure objectivité, évidemment).
On encense tellement Ferrier (et sa vie émouvante et tragique renforce sa légende) que je prétends que beaucoup l'aime parce qu'il faut l'aimer (une sorte d'argument d'autorité: Walter, Bonnefoy et d'autres encore: comment dire autre chose ?).

Écrit par : Philippe[s] | vendredi, 24 mars 2006

Certains préfèrent Christa Ludwig dans le Chant de la Terre (dir Klemperer) moi je n'ai jamais beaucoup apprécié Ludwig plus mezzo d'ailleurs et trop nasalisante à mon goût.

Il y a d'autres très bonnes versions Maureen Forrester par exemple.

On aime ou pas un grain de voix ... je ne vois aucun moyen d'objectiver quoi que ce soit là-dedans. Et puis, n'est-ce pas il nous faut toujours du nouveau n'y en eut-il plus au monde (comme disait le bonhomme La Fontaine) alors peut-être certains sont fatigués d'avoir trop écouté Ferrier !

Tiens ! Moi je n'aime pas trop son Amour et la vie d'une femme (Schumann avec Bruno Walter au piano) ! Trop chargé d'affects ...

Écrit par : P.D | vendredi, 24 mars 2006

"Tiens ! Moi je n'aime pas trop son Amour et la vie d'une femme (Schumann avec Bruno Walter au piano) ! Trop chargé d'affects ..."

C'est John Newmark au piano. Pas terrible d'ailleurs.

Je n'aime guère les pures voix, d'habitude, et je comprends d'autant mieux le malaise de Philippe[s] avec cette interprète que tout le monde adore.

Pour ma part, j'aime énormément aussi, même si je ne clame pas que son Abschied est insurpassable. Nun hast du mir den ersten Schmerz getan, dans le Frauenliebe, est vraiment une expérience de l'anéantissement.

Je vois bien ce qu'il veut dire par "mollesse", il est vrai que la diction reste imparfaite, et que les pièces sont plus habitées par le timbre et son intensité que par un rapport précis au texte. Néanmoins, conclure à l'absence d'art serait hâtif : la progression psychologique est toujours campée, par-delà les mots.

Écrit par : DavidLeMarrec | samedi, 25 mars 2006

Non ! J'ai précisé Bruno Walter car c'est la version live au festival d'Edimbourg !

D'autres contraltos célèbres Margarete Klose et Marian Anderson

Écrit par : P.D | samedi, 25 mars 2006

« Entre le projet poétique de "Hier régnant désert" [Bonnefoy] et l’essence de la voix de Kathleen Ferrier, il y a une convergence profonde qui donne tout son sens au poème dédié à la cantatrice. Pour Bonnefoy, la voix de Kathleen Ferrier est […] une voix de femme mûre qui a intériorisé la durée. Cette intériorisation coïncide avec le consentement de la conscience poétique au temps, qui est l’enjeu de "Hier régnant désert". À cet égard la figure de Kathleen Ferrier est une figure de femme initiatrice : sa voix est le lieu spirituel d’une initiation à la dimension temporelle… »

Michèle Finck, "Yves Bonnefoy, Le simple et le sens", José Corti, 1989, p. 363.

Écrit par : Angèle Paoli | jeudi, 27 avril 2006