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samedi, 19 mars 2005

Autoportraits



Tout a pour origine une lecture, comme d’habitude (lire, c’est vivre). Aujourd’hui, il s’agit de Bach, dernière fugue d’Armand Farrachi, et en particulier les pages ultimes sur l’ultime contrepoint de l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, une quadruple fugue à trois sujets qui clôt fortuitement ce chef d’œuvre inachevé – ou plus justement chef d’œuvre d’inachèvement.
L’auteur y tente une méditation, quasi métaphysique, sur cette fugue et l’Art de la fugue, méditation bien trop romantique à mon goût, quoique attirante. Il faut reconnaître que ce travers a ses quartiers de noblesse :

«Ueber diese Fuge, wo der Nahme B.A.C.H. im Contrasubject angebracht worden, ist der Verfasser gestorben» («Sur cette fugue, où le nom de B.A.C.H. est utilisé comme contre-sujet, est mort l’auteur») écrivit une main apocryphe et anonyme sur les portées restées vides du manuscrit.

Je n’ai nulle intention de m’engager dans un analyse de l’Art de la fugue, d’autres que moi ayant plus de talent pour cela.
Non, encore une fois, le dieu lare, esprit de l’escalier, se joue de moi à la lecture de ces quelques phrases :
«En s’avançant dans la quinzième fugue, et craignant de s’être trop identifié à son travail, une nouvelle idée retient néanmoins le vieux Cantor : devenir la fugue qu’il écrit. En la signant des quatre lettres B A C H, soit si bémol la do si bécarre, il finirait magistralement son travail, comme un peintre d’autrefois aimait à se représenter dans un coin du tableau, ce qu’il avait souvent fait par jeu dans l’improvisation mais jamais dans la gravure »

Le parallèle entre le compositeur et le peintre est séduisant. Cependant, la présence de Bach dans son œuvre me paraît au premier abord si puissamment incarnée – physiquement, symboliquement, sensiblement, mais jamais ostensiblement – , qu’aucun tableau de peinture ne me semble pouvoir soutenir la comparaison – trop d’évidences ou trop d’anecdotes.

Mais le colimaçon cheminant lentement ne se laisse pas abuser par les premiers abords.


Comme vous êtes des lecteurs cultivés, vous avez reconnu le miroir des Epoux Arnolfini de Jan van Eyck. En voici la confirmation :
«Johannes de Eyck fecit hic»

La présence du peintre dans son tableau, oserais-je le dire, est aussi riche, complexe et incarnée que celle du compositeur dans l’Art de la fugue.

Naturellement, cette présence est en premier lieu tautologique : le peintre a peint, les modèles ont posé. Mais le peintre s’est peint ; autoportrait central, quoique caché, au deuxième plan d’un reflet. Enfin le peintre est aussi témoin, attestant par sa présence le mariage des époux Arnolfini. Et se peignant témoignant, le peintre disparaît ainsi du tableau, au contraire de Vélasquez dans les Ménines.

Présence absente du peintre, incarnation symbolique du compositeur.

(à suivre)

16:15 Publié dans Bach, Peinture | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Le talent c'est de la daube ai-je écrit ailleurs… il va falloir que j'y refléchisse un peu mait'nant, nan ?

Écrit par : Urf | dimanche, 20 mars 2005

Votre première réticence devant ce passage du livre d’Armand Farrachi, que je ne lirai pas, était, me semble-t-il, la bonne. Si l'on tient absolument à faire plus qu'écouter inlassablement, en honnête homme dont l'oreille n'est pas trop insensible, ce bloc de mystère qu'est L'Art de la fugue, il existe quelques solides balises pour conforter le cheminement : l'énorme, sévère, exhaustive étude d'Alberto Basso (sobrement intitulée Jean-Sébastien Bach) dont la traduction est disponible en deux copieux volumes aux éditions Fayard (1984-1985). Une lecture qui décourage la métaphore pour traiter de l'œuvre du Cantor.
Plus allègre, plus inventif et enthousiaste, admirable d'érudition et de finesse, Le Moulin et la Rivière, Air et variations sur Bach, de Gilles Cantagrel, également chez Fayard (1998) : les perspectives ouvertes par l'auteur sont d'une eau tout autre que le rapprochement d'une grande banalité que propose ici Armand Farrachi (banalité, parce que les variations sur un nom, un mot des Écritures, la composition en acrostiche sont monnaie courante à l'époque (cf. le genre des leçons de ténèbres, par exemple).
Je préfère m'en tenir à la formule lapidaire de la pianiste russe Tatiana Nikolaïeva – qui nous a légué l'un des enregistrements les plus précieux, à mon oreille du moins, de L'Art de la fugue : "Cette musique est très secrète". (Enregistrement Hyperion, CDA66631, 1992).

Écrit par : Dominique Autié | dimanche, 20 mars 2005

Dominique, je ne vous conseille certainement pas de lire Armand Farrachi, mais l'esprit de l'escalier peut aussi se déclencher à partir de lectures médiocres. Et je vais persister, puisque ma prochaine note aura pour thème le parallèle entre les cathédrales inachevées et l'Art de la fugue (métaphore que fait aussi Alberto Basso, donc vous me pardonnerez, j'espère).
Cette musique reste très secrète, de toutes les façons; lieu commun dont vous avez su faire apparaître la profondeur (in "Le Clavier bien tempéré", un peu de publicité ne fait pas de mal, non?)

Écrit par : Philippe | dimanche, 20 mars 2005

Le miroir est "speculum sine macula" symbole de la Vierge qui sanctifie l'union des époux. En y figurant le peintre se donne-t-il comme un témoin dépositaire de la grace divine?

Écrit par : Tlön | lundi, 21 mars 2005

Ce tableau est un puits sans fond quand on commence à l'analyser. Je me demande si Arasse en parle quelque part ? (je ne crois pas)

Écrit par : Philippe | lundi, 21 mars 2005

On va essayer de rechercher, mais je ne crois pas non plus..

Écrit par : Tlön | lundi, 21 mars 2005

Bonjour,

J'ai eu plaisir à découvrir les quelques morceaux/transcriptions de Bach dans votre lecteur. Voici le mien (j'ai assez bien résisté jusqu'à présent à la tentation de le "remplir" de Bach) mais...

http://www.webknot.net

Léon

Écrit par : Léon | mardi, 06 septembre 2005