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samedi, 17 février 2007

Visitation[s]

[Marie] entra dans la maison de Zacharie, et salua Élisabeth.
Dès qu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint Esprit.
Elle s'écria d'une voix forte : Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni.
Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi ?
Car voici, aussitôt que la voix de ta salutation a frappé mon oreille, l'enfant a tressailli d'allégresse dans mon sein.

Evangile selon Saint Luc (1.40-44) Traduction Louis Segond 1910


Dans une église consacrée à Marie, et recelant des reliques aussi éminentes que le voile de la Vierge, qui aurait été porté, dit la tradition, lors de l’annonciation, il est somme toute normal que les épisodes principaux de sa vie soit représentés de nombreuses fois.
C’est le cas de la visitation, rencontre entre Marie et Elisabeth, alors enceinte de Jean-Baptiste, que l’on retrouve figurée depuis le XIIe jusqu’au XVIe siècle dans la cathédrale de Chartres.

L’anecdote est mince, et les sculpteurs et maîtres-verriers ont manifestement dû être confrontés à la difficulté de distinguer les deux femmes. Les solutions trouvées sont d’ailleurs variées.

Au XIIe siècle, le sculpteur du tympan méridional du portail royal a couronné Marie, ce qui n’est pas courant, voire anachronique (si l’on se place dans la cohérence du texte biblique et des traditions chrétiennes, bien entendu), dans un épisode évangélique.
L'on remarque aussi, mais il faut être très près pour le voir, qu'Elisabeth passe son bras autour de la Vierge, comme on le verra plus tard dans un vitrail, et que celle-ci est seule à être auréolée.

A la même époque, le verrier de la baie centrale de la nef, au verso de la façade ouest, est moins explicite. La Vierge se reconnaît cependant par les couleurs bleu et rouge de ses vêtements, auxquelles elle est souvent associée.

De son côté, Elisabeth est habillée de façon plus terne, et son visage, à défaut d’annoncer sa vieillesse, est marqué par des sourcils froncés.

Au début du XIIIe siècle, dans le déambulatoire sud, la distinction est encore plus difficile, n’était la présence d’une couronne sur une sorte de console au dessus du personnage de gauche, qui semble identifier Marie. D’autre part, le personnage de droite a une attitude d’accueil de sa visiteuse, qui indique qu’elle est probablement la maîtresse de maison, Elisabeth.

L’état de conservation du vitrail haut du transept nord ne permet guère de se prononcer sur l’identification de la Vierge et de sa cousine. Tout au plus, pourrait-on imaginer qu’Elisabeth, à droite, ouvre les bras pour accueillir Marie.

A la place d’honneur, dans l’axe du chœur, au centre d’une verrière qui vient d’être restaurée, entre une annonciation et une glorification, la visitation suivante resplendit de tous ses feux. C’est encore une fois l’attitude d’Elisabeth, à droite, passant son bras autour de Marie, qui permet de distinguer les protagonistes de la scène.


Revenant à la sculpture, mais restant au XIIIe siècle, c’est pour la première fois l’âge qui va signer la différence entre les cousines. En effet, ce sont ses traits marqués, autour de la bouche et des yeux, qui permettent de reconnaître, à droite, Elisabeth, au portail du transept nord.

A partir de cette époque, c’est la vieillesse d’Elisabeth (Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge Luc 1.18 Segond 1910) qui sera mise en scène, parfois jusqu’à la caricature, en particulier dans la peinture. Il en est ainsi de la visitation de la clôture du chœur, due au ciseau de Jean Soulas entre 1521 et 1535.

dimanche, 10 décembre 2006

Une image de Chartres par semaine (20) - Bleus

Le bleu de Chartres est double : à gauche le bleu roman (XIIe), à droite le bleu gothique (XIIIe). Mais aucune alchimie mystérieuse, simplement une histoire d'oxydes métalliques...

lundi, 24 juillet 2006

Saint Julien et moi

J’ai récemment croisé plusieurs fois la route de Saint Julien l’Hospitalier, et je m’en vais vous narrer ces rencontres.
Dans mes recherches internautiques sur la cathédrale de Chartres, j’ai incidemment trouvé le compte-rendu d’un pèlerinage paroissial du doyenné de Meudon à Chartres. J’ai lu ce texte car le groupe de pèlerins était accompagné par Colette Deremble, qui est une des grandes spécialistes actuelles des vitraux chartrains. Devant la verrière consacrée à la légende de Saint Julien l’Hospitalier, la rédactrice (car j’imagine bien une rédactrice plutôt qu’un rédacteur) rapporte ceci :

C’est l’histoire d’un parricide par erreur, qui passe ensuite sa vie à se repentir, et à la fin rencontre le Christ.
Une copie de ce vitrail existe à Rouen : Flaubert, qui l’y avait vue, a commenté la rencontre avec le Christ en lui donnant un contenu homosexuel, ce qui est un contresens.


Je dois bien dire que je ne me souvenais pas que Flaubert s’était inspiré d’un vitrail de la cathédrale de Rouen pour écrire le second de ses Trois contes, et encore moins que ledit vitrail fût une copie de celui de Chartres.
Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est que Hervé Guibert, dans Mes Parents, souligne le caractère charnel et homosexuel donné par Flaubert à la rencontre entre Julien et le lépreux–Christ à la fin du conte, caractère qu’il ne me semble pas avoir perçu à la première lecture, et qui n’est guère souligné dans les analyses que j’ai pu lire ici ou là.

Ici, une incise : en fait, j'avais oublié dans quel livre Hervé Guibert évoque la Légende de Saint Julien l'Hospitalier. J'ai donc ouvert les cartons et suis parti à la recherche du titre perdu. Et l'ayant trouvé, je me suis aperçu que Guibert ne souligne rien du tout, il se contente de citer la fin du conte qu'on lui fait étudier au lycée. C'est seulement le contexte (le paragraphe suivant évoque un numéro spécial du Crapouillot consacré au monde de l'homosexualité) qui entraîne l'association d'idée. Relisant, à l'occasion de cette recherche, le Protocole compassionnel ou A l'ami..., je me suis demandé si Hervé Guibert avait pensé à un rapprochement entre Saint Julien, le lépreux et le SIDA (Mes Parents ont été publié en 1986)

J’en étais là de mes réflexions quand Matoo a chroniqué ses impressions de boukinage des Trois contes, sans faire référence à cette dernière scène de la Légende qui me semble, aujourd’hui, tellement frappante. J’ai hésité comme souvent à laisser un commentaire, mais d’une part je n’aime pas paraître pédant (qui l’eut crû ?), et d’autre part je n’avais pas la référence de l’ouvrage de Guibert, mes livres étant encore emballés. Comme en contrepoint, un commentateur moins puéril que moi a cité un essai de Harry Redman, Le côté homosexuel de Flaubert.

J’en serais resté là, et vous ne seriez pas en train de lire ce passionnant billet, si un dimanche matin, me promenant rue Muret, je n'étais tombé nez à nez sur Saint Julien.


Tant de coïncidences ne pouvaient que signifier que l’Hospitalier voulait que je parle de lui.

Le conte de Flaubert a suscité un nombre incroyable d’exégèse, et d’analyse comparative des sources supposées de l’écrivain, notamment la Légende dorée de Jacques de Voragine.
Flaubert lui même a semé à la fois des indices et le doute. A la toute fin du texte, il écrit :

Et voilà l'histoire de saint Julien l'Hospitalier, telle à peu près qu'on la trouve, sur un vitrail d'église, dans mon pays.


Vous noterez l’ « à peu près » et l’à peu près (« sur un vitrail d’église, dans mon pays »). La plupart des exégètes ont vu dans cette indication le vitrail de Saint Julien de la cathédrale de Rouen. En effet, Flaubert avait envisagé de l’utiliser comme illustration. Mais ce n’est pas si simple : (c’est Flaubert qui parle)

Je désirais mettre à la suite de Saint Julien le vitrail de la cathédrale de Rouen. Il s'agissait de colorier la planche qui se trouve dans le livre de Langlois, rien de plus. Et cette illustration me plaisait précisément parce que ce n'était pas une illustration, mais un document historique. En comparant l'image au texte on se serait dit: « Je n'y comprends rien. Comment a-t-il tiré ceci de cela? »



Et oui, les différences sont nombreuses, et en particulier il est clair que l’épisode final dans lequel Saint Julien, nu, réchauffe le lépreux est une pure invention poétique, et sensuelle, de Flaubert.

- J'ai froid!
Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque éteinte, il murmura :
– Ton lit!
Julien l'aida doucement à s'y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
– C'est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
– Déshabille-toi, pour que j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme une lime.
Il tâchait de l'encourager ; et l'autre répondait, en haletant :
– Ah! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! Toute ta personne.
Julien s'étala dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent comme les rais du soleil; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient.
Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s'envola, le firmament se déployait ; – et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel.


Le flot de littérature qu’a engendré ce conte de Flaubert est impressionnant (entre autres Michel Butor ou Marcel Schwob, que je signale pour faire plaisir à Tlön), et passionnant. Je ne me risquerai pas à ajouter ma prose à tout cela, aussi je me contenterai de quelques images.


L’épisode de la traversée du fleuve par le lépreux et Saint-Julien
Cathédrale de Rouen


La même scène – Cathédrale de Chartres

Colette Deremble, dans son magistral ouvrage sur les vitraux de Chartres (Corpus vitrearum), fait remarquer à juste titre que les imagiers de Chartres, comme ceux de Rouen quelques années après, ont supprimé de la légende une grande partie de ce qu'elle comportait de fantastique et de merveilleux. C'est ainsi que la prophétie du Cerf, qui annonce à Julien qu'il sera parricide, ou la métamorphose du Christ en lépreux n'apparaissent pas dans les verrières chartraines ou rouennaises. Et paradoxalement, c'est ce fantastique et ce merveilleux que Flaubert réintroduit dans le conte, alors qu'il prétend s'être inspiré d'un vitrail d'église.

Mais il faut bien dire, de toutes les façons, que Saint Julien l'Hospitalier, avant d'être un superbe texte de Gustave Flaubert, est en premier lieu une invention des chanoines chartrains, expert en marketing, habile fusion de la vie de Saint Julien du Mans et d'une légende populaire locale, destinée à attirer les pélerins, alors que Chartres, confrontée à une concurrence féroce, ne disposait pas dans son patrimoine d'évêque sanctifié.

Et nous revenons ainsi à notre Saint Julien de la rue Muret, lointaine résurgence de la foi populaire. Regardez attentivement et vous apercevrez dans le coin à droite de la statue naïve une petite photographie de Jean-Paul II.
Approchez plus près, et lisez le texte, corrigé de ses fautes d'orthographe (vaicu pour vécu, tuer pour tué) :