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vendredi, 08 juillet 2005

Où il est question (2)

Où il est question d'interprétation.


Notre ami Zvezdo revendique ne s’intéresser que peu aux questions d’interprétation (vous aurez compris qu’il s’agit ici de musique). Je ne suis pas sûr d’être entièrement d’accord avec lui.

Hormis les rares amateurs ayant le don d’entendre une partition à la lecture (j’ai connu quelqu’un qui, à lecture d’une recette de cuisine, pouvait sentir sur ses papilles le goût du plat décrit), le triptyque compositeur – interprète – auditeur reste indispendable à la transmission des œuvres musicales. La question posée par Zvezdo, mais présente aussi dans la critique musicale depuis qu’elle existe, n’est donc pas la place de l’interprète, qui est centrale, mais plutôt l’importance relative de son rôle, notamment par rapport aux compositeurs.


On remarquera que, bien souvent, l’attention de l’auditeur est d’abord focalisée sur l’interpète, au détriment de l’œuvre. Le manque de culture musicale en est la cause, mais il faut reconnaître que l’art de la composition est difficile d’appréhension, quoique l’écriture, à mon sens, s’entende – appelons cela l’intelligence de l’oreille.
La discussion portant sur le jeu du pianiste, du violoniste, de la chanteuse ou du chef d’orchestre est donc de prime abord plus facile. Mais est on si sûr de ce que l’auditeur perçoit d’une interprétation, au delà de la virtuoisté et de la performance. Mon expérience de divers publics me laisse à penser que la perception en est très superficielle.
L’effet est de piètre qualité, la plupart du temps.

Les compositeurs ont de leur coté eu des relations ambivalentes avec leurs interprètes, au moins depuis que l’on peut en juger par leurs écrits. Nonobstant les récriminations des uns et des autres sur la qualité technique des chanteurs ou instrumentistes, ou sur la méconnaissance de la voix et des instruments, on constatera plusieurs mouvements contradictoires ; d’une grande liberté d’improvisation données aux interprètes - tant à l’époque baroque que contemporaine – à un enfermement dans une surabondance d’indication de jeu ; d’une écoute des interprètes dans l’élaboration des œuvres à une ignorance volontaire des contraintes instrumentales, qui fera évoluer la technique et la facture.

L’interprète est bien au centre - en dehors des questions liées à leur mise en vedette -, nœud de toutes les contradictions ; il n’enlèvera rien aux chefs-d’œuvre, au mieux il permettra une nouvelle écoute des œuvres mille fois entendues, cependant son rôle est crucial pour les œuvres fragiles, méconnues ou contemporaines.

Alors, quoi ?

Comme l’auditeur le doit pour la qualité de l’effet produit et pour échapper au déterminisme de ses goûts, l’interprète se doit de respecter une éthique de la préparation. Au delà bien évidemment de la technique instrumentale en elle-même et de la stricte analyse de la partition, il doit, sous peine de contresens, connaître la langue du compositeur, et par conséquent l’histoire et la religion, la littérature et la peinture, le théatre et la philosophie. En un mot, il doit tendre vers l’authenticité. Qui sera le sujet de ma prochaine note.


<Où il est question
d'inter
prétation.

mercredi, 06 juillet 2005

Où il est question (1)

Où il est question de jugement esthétique.


Depuis longtemps, je me débats avec des idées confuses sur la question du jugement esthétique d’une œuvre d’art.
Il ne saurait être question pour moi d’admettre la validité d’une appréciation fondée sur la spontanéité ; je regarde, j’écoute, je lis – j’aime, j’aime pas.
En premier lieu, parce que cela clôt la discussion ; des goûts et des couleurs on ne discute pas. Ensuite, car il n’y a pas de goûts personnels ; la prétendue spontanéité n’est rien d’autre, la plupart du temps, que l’expression de stéréotypes et de lieux communs, accumulés en strates successives issues de l’éducation nationale, de la cellule familiale, et du grand magma médiatique ambiant.
D’autre part, l’abus de la sensibilité dans la critique d’art ne peut que conduire à l’autisme et à la stagnation : n’étant sensible qu’à ce qui provoque une résonnance en soi, on n’aime que ce que l’on aime. Où sont la découverte et la surprise ; comment apprécier l’art contemporain ?


Cependant, combien d’œuvres me restent fermées malgré toutes les raisons objectives de les admirer. Que de discours intelligents et profonds, que de démarches intellectuelles brillantes, n’engendreront que déception face à l’objet de ces discours et démarches.
La technique, la virtuosité, la connaissance du contexte, l’histoire, la filiation et la descendance, tout cela ne suffit pas pour asseoir le jugement esthétique.

Alors, quoi ?

Comme souvent, le salut vient de la lecture. Tout s’éclaire, tout s’articule parfaitement, tous les arguments sont bien balancés, rien à rajouter.
Ici, et encore une fois, il s’agit de Renaud Camus, dans deux entrées de Etc. :

EFFET. Défense de l’effet, en particulier pour son rôle (capital) dans le jugement esthétique. Plutôt que sur l’exposé des raisons prétendument objectives d’aimer ou d’admirer les œuvres, les juger sur l’effet qu’elles produisent vraiment (et d’abord sur soi-même). Ne pas céder à l’intimidation par les motifs (ce que Barthes appelait, dans un autre contexte, la « chantage au mérite »). Une œuvre n’est pas admirable parce qu’elle présente toutes les raisons d’être admirable (la perfection de son architecture, par exemple, s’agissant d’une œuvre littéraire). Elle est admirable parce qu’elle produit un effet inoubliable.
[…]
Bien entendu il y a effet et effet, et des degrés de qualité dans les effets. Ainsi on sera extrêmement reconnaissant à une saga romanesque qui vous aide à traverser une longue nuit difficile dans un couloir d’hôpital – on n’en conclura pas pour autant qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre de l’art ou de la pensée universelle, même si d’autres livres qui pourraient prétendre à ces titres ne se montrent, eux, dans les mêmes circonstances, d’aucun secours.
Il est évident qu’une critique par l’effet est menacée d’être extrêmement réactionnaire, esthétiquement, car les œuvres vraiment novatrices risquent de ne pas produire, dans un premier temps, et même dans un deuxième, d’effet heureux. Une esthétique de l’effet implique donc une éthique de la préparation, chez le lecteur, l’auditeur, le spectateur, l’amateur, etc. : eux doivent veiller, par la curiosité, par l’ouverture d’esprit, par l’étude même et l’application, éventuellement, à rendre en eux l’effet possible. Cependant, ils ne doivent jamais perdre de vue la réalité de cet effet. Si une œuvre, malgré touts leurs efforts d’appréhension, et malgré toutes les bonnes raisons qu’on leur donne de la trouver admirable, continue de ne produire en eux aucun effet positif appréciable, ils peuvent et ils doivent s’abstenir de l’admirer personnellement, même si toute l’opinion intelligente, appremment, autout d’eux, à une époque donnée, la porte aux nues […].
L’effet le plus haut (y compris pour des œuvres romanesques, philosophiques, érudites, purement intellectuelles, etc.), l’effet le plus haut serait l’effet lyrique (une sorte d’exaltation qui pousse paradoxalement, à quitter l’œuvre, à lever les yeux, à songer, à bouger, à partir en promenade, à considérer d’autres œuvres, à mettre en liaison). […]

GOÛTS. Qu’il n’y a pas de goûts, qu’il n’y a que des états culturels (vieux dada). Ce que le plus grand nombre présente comme son goût, ses goûts, ne seraient rien d’autre en fait que ce qu’à chacun dictent son âge, son milieu, le niveau de ses connaissances et de ses curiosités. Visiter une exposition de Joseph Albers, par exemple, et dire que ce qu’on y préfère, ce sont quelques dessins et peintures de jeunesse, en fait assez insignifiants, qui n’auraient valu à l’artiste que le plus profond oubli, s’il n’avait rien fait d’autre, ce ne serait pas exprimer un goût, comme on le croit, mais préciser clairement, bien qu’involontairement, où l’on en est exactement de son rapport à l’art. Etc.
Moyennant quoi le goût, chassé par la porte, s’empresse de revenir par la fenêtre, évidemment.


Je rajouterai que l'effet, le goût, le jugement esthétique devront bien sûr être passés au filtre de la bathmologie !


<Où il est question de jugement esthétique.