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mardi, 06 mars 2007

Des bœufs et des lions

Devant des sanctuaires majeurs comme Chartres ou Vézelay, l’homme moderne, qui a perdu, la plupart du temps, les repères religieux, et, quasi systématiquement, les repères symboliques qui lui permettraient de comprendre le monument, est partagé entre deux attitudes opposées, l’une, littérale, ne voyant dans l’ornementation des cathédrales et abbayes qu’une « bible de pierre », destinée à raconter de belles histoires édifiantes à des illettrés, l’autre, spéculative, interprétant les signes de manière ésotérique, astrologique ou numérologique, souvent à travers un filtre druidique ou celtique.

La cathédrale de Chartres se prête particulièrement bien à ces dérives, avec son labyrinthe, la symbolique des nombres de son portail royal, sa vaste crypte plongeant dans les profondeurs du temps et son voile de la Vierge. Les chanoines y ont mis aussi du leur, puisque désireux de restaurer le lustre d’un pèlerinage déclinant en lui donnant une antiquité lointaine, ils ont amplifié, sinon créé de toutes pièces, au XVIIe siècle, la légende de druides adorant une vierge enfantant, sur le site du sanctuaire marial actuel. Cette légende perdure encore, quoiqu’elle ait été démonté depuis longtemps par les historiens.
Bien qu’ayant perdu toute aura pendant des siècles, Vézelay fait aussi l’objet de contes celtiques, comme par exemple récemment dans le roman d’Henri Vincenot les Etoiles de Compostelle.

La vérité n’est pas dans un juste milieu, mais plutôt dans un au-delà (atteindre à l’invisible par le visible). Au-delà de la lecture littérale des images, il faut chercher la lecture théologique, spirituelle, voir politique, des symboles ; au-delà du bric-à-brac ésotérique, il faut trouver les éléments de permanence et d’inspiration des civilisations.

Un des plus merveilleux, peut-être, est la résurgence au XIIe siècle, au sommet des voussures du Zodiaque du portail central de la nef de Vézelay, de la symbolique égyptienne dans les trois médaillons du chien, de l’acrobate et de la sirène, associant la résurrection du Christ à la renaissance apportée chaque année par le Nil (il faut lire Christiane Desroches-Noblecourt à ce sujet)


Mais l’objet de cette note est en fait de mettre en lumière un autre exemple de continuité des civilisations, exemple peu connu tiré du petit ouvrage si profondément pensé de l’abbé Guy Villette, la Cathédrale de Chartres, œuvre de haut savoir.

En effet, celui-ci donne une explication fort probante à la présence de deux bustes, l’un d’un bœuf, l’autre d’un lion, sur la façade occidentale de la cathédrale, au sommet de deux pilastres engagés encadrant la porte centrale et, au revers, la baie du vitrail de l’enfance du Christ.




Guy Villette démontre, textes à l’appui, que ces deux têtes rappellent les deux colonnes (Yakîn et Boaz) présentes à l’entrée du temple de Salomon et symbolisent la stabilité (le bœuf) et la force (le lion) de l’église.
« Comme stabilité et force encadraient l’entrée du saint temple de Salomon, ainsi leurs symboles animaliers, bœuf et lion encadrent celle de ce […] temple » (UT : FUIT : INTROITUS : TEMPLI : SCI : SALOMONIS, SIC : EST : ISTIUS : IN MEDIO : BOVIS : ATQ : LEONIS : inscription gravée sur l'un des voussoirs du portail de l'abbatiale de Moreau à Champagné-Saint-Hilaire (Vienne) (aujourd'hui détruite))

Ainsi, le portail royal chartrain, déjà marqué par l’héritage des philosophes grecs présent dans la représentation romane des arts libéraux aux voussures du tympan de l’incarnation, s’est vu enté de deux symboles soulignant la filiation de la seconde alliance à l’égard de la première, et posant le christianisme en fils et héritier d’Israël.

Cette utilisation du bœuf et du lion n’est certes pas isolée, elle est cependant peu courante, ou en tout cas elle est fort peu mise en évidence et documentée.
Aussi, je fus heureux de les découvrir sur cet autre de mes monuments fétiches qu’est la basilique de la Madeleine de Vézelay, de chaque coté de la porte principale du Narthex.




Certes les sculptures de cette façade sont dues pour l’essentiel à la restauration de Viollet-le-Duc, mais, contrairement à ce qu’il a pu faire ultérieurement, celui-ci a conservé le programme initial, quand il n’a pas tout simplement copié les éléments qui restaient suffisamment en bon état.
L’on peut donc considérer que ce bœuf et ce lion ont bien été voulu par les maîtres d’œuvre roman, comme un lien avec le temple de Jérusalem.

Mes lecteurs seraient-ils intéressés par une chasse au bœuf et au lion sur les façades romanes de France et d'Europe, et voudraient-ils bien faire part ici de leurs découvertes ?

Commentaires

Il y aurait une autre explication à cette présence (je ne suis pas du tout spécialiste mais je me hasarde quand même...), c'est que le lion et le boeuf sont deux des animaux-symboles des quatre évangélistes, le lion étant l'emblème de saint Marc et le boeuf celui de saint Luc. N'y aurait-il pas à proximité les deux autres : l'animal-homme (saint Matthieu) et l'aigle (saint Jean).
Voir par exemple l'association des quatre, autour du Christ en majesté, au-dessus du portail de St Trophime à Arles :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Arles-StTrophime-Facade-7634-0040.jpg

Écrit par : fuligineuse | mercredi, 07 mars 2007

La particularité du boeuf et du lion de Chartres et de Vézelay (mais pas uniquement, probablement, et c'est l'objet de mon appel au peuple), c'est précisément qu'ils ne sont pas accompagnés des deux autres membres du tétramorphe (dans ce tétramorphe, c'est plutôt le taureau que l'on associe à Luc, mais la différence entre un boeuf et un taureau n'est pas toujours évidente !).
D'ailleurs, dans cette image classique de l'Apocalypse, les "quatre vivants" tiennent la plupart du temps un livre (ou parfois un phylactère) pour souligner leur association aux quatre évangélistes (ce qui n'est pas le cas du boeuf et du lion).
Quelques autres exemples de l'Apocalypse avec tétramorphe:
http://www.romanes.com/Semur-en-Brionnais/Saint_Hilaire_de_Semur-en-Brionnais_0006.html
http://www.romanes.com/Angouleme/Cathedrale_Saint_Pierre_d_Angouleme_0012.html
http://www.romanes.com/Chartres/Cathedrale_de_Chartres_0024.html

Écrit par : Philippe[s] | mercredi, 07 mars 2007

Et, en plus, vous êtes amoureux de Chartres ? Je pense que je vais venir plus souvent vous rendre visite ici...

Écrit par : Didier Goux | mercredi, 07 mars 2007

Bon blog anniversaire, au fait.
Je sens en toi de la graine de théologien.

Écrit par : VS | mercredi, 07 mars 2007

il ya des lions à Laon ? (mais on n'est plus dans le roman)

Écrit par : zvezdo | mercredi, 07 mars 2007

Z> Roman ou gothique, peu importe (d'ailleurs le boeuf et le lion de Chartres sont gothiques) (les lions sont lents à Laon)

VS> Ciel !

Écrit par : Philippe[s] | mercredi, 07 mars 2007

Didier Goux> Amoureux de Vézelay, aussi, de Strasbourg, de Venise, de Bach et de bien d'autres choses qui transparaissent ici, j'espère.
Bienvenue.

Écrit par : Philippe[s] | jeudi, 08 mars 2007

Je crois que Rostropovich a enregistré ici les Suites de Bach.

Écrit par : pat | samedi, 22 septembre 2007

http://www.youtube.com/watch?v=r9fpmgpNDwc

Écrit par : Philippe[s] | dimanche, 23 septembre 2007

Un prélude à tant de musiques splendides dans de superbes endroits.

Écrit par : note d'azur | jeudi, 27 septembre 2007

je viens d'aller voir la cathédrale de Chartre pour la première fois. J'étais un peu, heu, blasée, suite aux romans plus ou moins récents où elle est un des piliers. je suis entrée comme touriste.
Je ne suis plus une touriste. Cette cathédrale est, pfft, comment dire, magique ? J'ai visité moult églises et cathédrales, mais ici, c'est indescriptible... Elle est... Je ne sais pas. Envoutante. Intelligente. Vivante. Mystérieuse. Toutes ces personnes qui ont créé, sculpté, pensé, ironisé, rigolé, contesté, calculé, mathématisé, astronomisé, astrologisé, christianisé, christianisoyé, viatlisé, popularisé, informé, éduqué, et tout cela avec des sculptures, des vitraux magnifiques, comment dire, j'ai été envoutée...
Je suis envoûtée... Je veux y eller encore, et tout voir. Et tout lire à son sujet.

Écrit par : Licordam | mercredi, 12 août 2009